Djamel-Eddine Mechehed est documentaliste en codicologie, il est actuellement responsable de la bibliothèque des manuscrits de Mouhoub Ou-al-Habib dans la wilaya de Béjaïa. Il vient de participer au colloque international portant sur le «Patrimoine écrit de la Méditerranée» qui s’est tenu les 14, 15 et 16 décembre à Annaba. Organisé par l’association "Bled el Annab" pour la protection du patrimoine (Annaba) et l’université Badji-Mokhtar, ce colloque a réuni des chercheurs et des universitaires algériens, tunisiens, marocains, égyptiens, français et belges ainsi que des représentants des institutions traditionnelles (zaouïas de plusieurs régions du pays). L’initiative, faut-il le rappeler, a bénéficié du soutien du Centre de conservation du livre d’Arles et le Programme Manumed II, financé par Euromedhéritage. L’objectif : comment sauver les archives et les manuscrits, porteurs de legs culturel et de mémoire désormais menacés par la bêtise de l’homme.
Midi Libre : les manuscrits sont d’actualité pourquoi ?
Djamel Eddine Mechehed : Le manuscrit est un champ de recherche nouveau, il n’a jamais été exploité par des chercheurs contemporains locaux, ce n’est que récemment qu’il y a eu une prise de conscience autour de ce champ de recherche. Le manuscrit est porteur de beaucoup de réponses à beaucoup de questions, il est porteur de pensées, d’idées.
Sont-ils bien conservés et où ? Quelle langue véhiculent-ils, que faut-il faire pour en améliorer la conservation ?
Pour parler de la Kabylie qui est mon domaine d’études, ces manuscrits sont réunis dans un espace qui leur a été réservé au village de Tala Uzrar, dans le sud-est de la Kabylie, (commune de Ain Legradj), aux Beni Ouartilane. Cet espace de conservation a été constitué au XIXème siècle. Les archives sont bien conservées. Constituées de 24 disciplines, elles sont rédigées en arabe et en berbère (transcrit en caractères arabes).
Mais il y a problème, jusqu’ici on nous a dit que l’existence des manuscrits berbères n’a été attestée qu’au Maroc, comment cela fait-il qu’aucun spécialiste n’ait auparavant relevé l’existence de ceux de Beni Ouartilane ?
C’est dû au manque d’informations, mais aussi au fait qu’on ne s’intéresse pas aux zaouias. Les manuscrits de Beni Ouartilane nous ont été légués par Mouhoub Ou-al-Habib un savant local qui naquit en 1822. Sa bibliothèque recèle 66 ouvrages en arabe et 6 manuscrits en berbère (amazigh) qui datent de la période allant du XVIIIe, XIXe et XXe siècles. Un fait important que je voudrais souligner, l’un des manuscrits écrit en berbère a
été l’œuvre d’un enfant, ce qui prouve que l’enseignement en berbère a déjà existé.
Quel est le thème dont traitent ces manuscrits berbères ?
Le thème est médiéval, il est centré sur le dogme religieux, c’est-à-dire le tawhid (unicité divine) Quant aux fonds arabes, ils sont composés de 24 disciplines dont les mathématiques, l’agriculture et le droit musulman. J’ai déjà publié le catalogue de l’ensemble de ces archives qui a 1.500 entrées.
On sait à peu près que parmi les manuscrits qui ont pu être conservés, beaucoup ont appartenu à des individus. Y aurait-il des manuscrits à caractère administratif qui témoigneraient de l’existence des Etats médiévaux par exemple le royaume de Tahert ?
Nous n’avons pas de documents ou de manuscrits qui remontent à cette époque. Dans notre catalogue que j’ai publié à Londres en 2004, j’ai présenté en détail l’historique et le codicologique de chaque manuscrit de la collection. Du titre, auteur, date de la copie, de rédaction....
Auriez-vous des chiffres ?
Le nombre exact pour Beni Ouartilane est de 570 manuscrits et documents.
Pensez-vous que les conditions sont réunies actuellement en Algérie pour assurer une bonne conservation des manuscrits ?
Cela dépend de la volonté politique. Mais en dépit, par exemple, de la mise en place d’un centre de conservation des manuscrits à Adrar, tous les spécialistes s’accordent à dire que rien n’a été fait pour soustraire le patrimoine écrit de la région au pillage et à la négligence de l’homme.