A la troisième journée de la manifestation, "Mahmoud Darwich, une vie de poésie", la vie et l’œuvre du poète disparu ont été disséqués lors de trois tables rondes successives animées par ses traducteurs, éditeurs, amis et compagnons de combat. Pourtant le danger d’en faire une icône figée et de précipiter ainsi sa disparition a été souligné par Breyten Breytenbach, poète sud-africain, très applaudi. «Il faut faire attention. Il est là, il s’approche, il commence à rester figé, il s’en va», a déclaré le grand poète sud-africain qui a passé 7 années de sa vie en prison, incarcéré pour sa lutte anti-apartheid. Breytenbach a attiré l’attention des participants sur les dangers inhérents aux hommages rendus aux disparus. «Sa disparition entraîne des actes illimités d’intimité.(…) Nous le mangeons tous ensemble et il n’est plus là pour dire si cela lui plaît. Au fur et à mesure, il perd de sa substance, de ses particularités. Il devient une figure de fixation. La tentation est grande de lisser, d’arrondir les angles, de le garder comme on le veut…C’est dangereux». Cette intervention qui semble avoir réveillé l’auditoire a déclenché une tempête d’applaudissements. Il a souligné que l’impact de Mahmoud Darwich se situait bien au-delà de la langue et du monde arabes. «Il nous a marqué depuis 50 ans. Il ne faut pas le laisser mourir en en faisant une icône». Le poète sud-africain a souligné que Mahmoud Darwich, n’était captif ni de son époque, ni de sa langue, ni de sa terre. Il ne se vautrait pas dans l’entendu et allait toujours plus loin. Il se posait des problèmes et des défis et, être profondément spirituel, il traversait les temps et les siècles. "Comment faire pour devenir un captif amoureux ou un étranger intime lorsqu’on est devenu la voix de son peuple ?". Cette situation complexe, Mahmoud Darwich la résolvait à travers son métier. En étant dans le vrai, du côté des pauvres, c’est-à-dire de ceux pour qui la vie reste palpable… La magnifique intervention de Breyten Breytenbach qui a également exprimé sa grande joie d’être en Algérie "dans la partie la plus au Nord de notre continent". a été parmi les dernières d’une rencontre d’une grande richesse artistique, scientifique et émotionnelle. S’exprimant dans un arabe châtié, Luz Gómez Garcia, traductrice de Mahmoud Darwich en espagnol et Francesca Corrao, sa traductrice italienne ont captivé l’assistance, autant par l’exposé de leurs difficultés à traduire le verbe poétique du poète palestinien que par le charme de leur accent. Mohammed Bennis, poète marocain, Abbas Beydoun, poète libanais, Inaâm Bioud , poétesse et traductrice algérienne, Rachid Boudjedra, Adel Karachouli, traducteur de Darwich en langue allemande, Farouk Mardam-Bey son éditeur en France, Hakim Miloud, poète algérien, se sont succédé pour exprimer, dire, expliquer Darwich. Selon leurs souvenirs de l’homme singulier et leur perception de son œuvre. Rachid Koraïchi, l’artiste plasticien qui a partagé avec Darwich des tranches de vie et une œuvre commune, exposée au M.A.M.A , a ému l’assistance en retraçant les étapes de ce compagnonnage artistique. Le jeune espoir palestinien Najwan Darwich, qui participe à une résidence d’écriture partagée avec Abdallah el-Hamel, écrivain et journaliste de Tindouf, a secoué l’assistance par ses propos d’un humour et d’une verve iconoclaste. L’assistance a cependant eu à regretter l’absence d’Elias Sanbar, écrivain et traducteur palestinien qui a dû s’envoler vers d’autres cieux , pressé par ses responsabilités à l’Unesco.