Projeté à la salle Ibn Zeydoun de l’Oref, dimanche, dernier jour du Panaf, le film de Djibril Diop Mambéty (1945-1998), tourné en 1992, a conservé intact son pouvoir de séduction. Monté comme une fable, il montre à quel point l’être humain est corruptible et veule. Comme l’hyène personnage méprisable des légendes sénégalaises.
Tourné en wolof, ce film qui a eu un grand succès au festival de Cannes 1992, est une adaptation à l’écran du roman de l’auteur suisse Friedrich Durrenmatt, «La visite de la vieille dame.» Dès les premières images, le spectateur fait connaissance avec Draman Drameh (Mansour Diouf), un sympathique commerçant de Colobane, patelin perdu et misérable de la région de Dakar. Epicier et vendeur d’alcool, il accorde des crédits à tous ses clients et offre à boire plus souvent qu’à son tour sous le regard sévère de son épouse. La petite municipalité est ruinée et même les locaux de la mairie reçoivent la visite des huissiers. Cela n’empêche la vie de s’écouler plutôt joyeusement dans le petit village. Un jour un courrier annonce le retour de Mme Linguère Ramatou (Ami Diakhaté), une villageoise devenue milliardaire qui a quitté le village 45 ans avant. Tout le village y voit sa planche de salut. Le poste de futur maire est promis à Draman Drameh, ancien boy-friend de la vieille dame, s’il arrive à la convaincre de faire bénéficier le village de ses largesses. Lorsque le jour J arrive, le village est en liesse. Lorsque la vieille dame arrive, accompagnée d’une suite chamarrée dont une jeune femme asiatique en uniforme, elle met un terme aux salamalecs en déclarant être venue pour s’offrir le tribunal de la ville. Sous les yeux ébahis des villageois, elle exhume de très vieux dossiers. Elle fait réapparaître les faux témoins qui, 45 ans auparavant, avaient juré l’avoir séduite et engrossée. Agée de 17 ans, elle avait quitté le village sous les quolibets et les crachats des siens lorsque Draman Drameh l’avait abandonnée à son sort, lui préférant une jeune fille fortunée. Lorsque les deux faux témoins parlent, les villageois comprennent que Linguère Ramatou est revenue régler ses comptes avec celui qui a précipité sa chute. En effet, devenue riche, la femme calomniée les a livrés à des «Noirs d’Orient» qui les ont châtrés et en ont fait des femmes. De la même manière, elle promet aux villageois 100 milliards de francs CFA s’il tuent Draman Drameh. En attendant, elle leur accorde de grands crédits. En quelques jours, la physionomie du village change complètement. Les villageois découvrent les frigos et les ventilateurs. Pris d’avidité, ils se payent les friandises les plus chères et les plus belles chaussures. Ils lancent des travaux de rénovation partout, se souciant peu des délais de paiement. Peu à peu, ils changent et se résolvent à tuer leur cher Draman Drameh. Après un simulacre de jugement, ils l’exécutent collectivement. Sa mort ouvre une nouvelle ère. Le progrès envahit le village. Des tracteurs font des travaux. Des feux d’artifices et des manèges éblouissent les administrés de la petite commune. Traité avec subtilité par le réalisateur le pouvoir de l’argent se montre total. Réalisé avec talent, ce film fable accorde une grande place à l’humour. Que la vieille dame soit l’Afrique déchue ou l’histoire, elle triomphe sur toute la ligne. Ce qui l’intéresse c’est de garder Draman Drameh, une fois mort, sur une île déserte, pour elle, toute seule. Ce film au rythme alerte et aux images fortes invite à la réflexion sur une humanité composée d’hyènes féroces et corruptibles. Djibril Diop Mambéty est mort de maladie en 1998. Comme Sembène Ousmane, il était comédien, un scénariste et un réalisateur. En 1972, il tourne Touki-Bouki (Le Voyage de l’hyène). En 1995, il commence une trilogie qu’il appelle Histoires de petites gens. Il n’en tourne que les deux premiers volets, Le Franc (1995) - qui obtient le Prix du meilleur court métrage, lors du 5e Festival du cinéma africain de Milan - et son dernier film, La Petite Vendeuse de soleil (1998). La mort a interrompu la trajectoire de ce brillant artiste. K.T.