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31 Juillet 2008

Aïcha les scandales
Aïcha-Ies-scandales. On l’appelle ainsi parce qu’elle est seule, c’est-à-dire sans homme pour la protéger. Aïcha n’a ni père, ni frère, ni mari, ni fils ou cousin pour la protéger c’est-à-dire pour lui interdire des choses. Aïcha est, comme la brebis sans pasteur, l’errance même. Premier scandale.
Aïcha va partout où la portent ses pas ; elle ne considère aucun espace comme interdit, ni même réservé aux autres, c’est-à-dire aux hommes. Elle va au marché, même si elle n’a rien à vendre ni à acheter. Elle passe devant les cafés et ne fait pas de grands détours pour les éviter. Il lui arrive souvent de s’arrêter, là, dans la rue, comme ça, pour rien, comme un homme. C’est pour cela qu’on l’appelle aussi Aïcha-rajel, Aïcha-l’homme ! Second scandale.
Aïcha va nue, c’est-à-dire qu’elle ne se voile pas. Elle va dans les rues, le visage découvert, les yeux regardant droit chaque chose et surtout chaque être, c’est-à-dire chaque homme. Scandale des scandales : elle ne détourne pas le regard, ne baisse pas les yeux devant un homme. De plus elle ose adresser la parole la première, elle ose parler à des hommes inconnus ! Aïcha est une SDF et une SHP, (sans homme protecteur).
Je vous le dis, c’est un scandale cette Aïcha ! Aïcha-Ies-
scandales, elle va partout, regarde chaque homme droit dans les yeux et dit ce qu’elle a à dire. Elle a une langue bien acérée et des yeux effrontés.
Un matin, Aïcha se tient à un carrefour. Elle voit venir un jeune homme fier comme un pacha. Il se rengorge dans le gilet brodé qu’il étrenne. Aïcha le voit venir et ne baisse pas le regard.
- Hum ! fait le jeune homme en arrivant devant Aïcha.
- Hum toi-même ! lance Aïcha qui attaque aussitôt. Toi, la prunelle des yeux de sa mère et le sourcil des yeux de sa sœur, dis-moi : le beau gilet brodé que tu portes, il est à toi ou à ton voisin?
- Viens chez nous et tu verras notre situation.
- C’est déjà tout vu.
Le jeune homme s’en va et fait dire à sa mère qu’il veut épouser Aïcha. La mère essaie de lui expliquer:
- Tu ne peux épouser une fille comme Aïcha qui est partout accompagnée par le scandale, qui ne baisse pas le regard et que personne ne peut faire taire.
- Qu’à cela ne tienne ! Je saurai, moi, comment la traiter; je saurai la faire taire et réfréner son pas.
- Et à qui la demander, cette Aïcha sans personne, sans SHP !
- Au cheikh, n’est-il pas le père de tous les orphelins et de tous les mineurs, des enfants comme des femmes!
Aïcha veut bien accompagner son prétendant et sa mère chez le cheikh. C’est un vieil homme presque aveugle et tremblant de tous ses membres.
- Ma fille je veux bien être ton tuteur. Sois assurée que jamais je ne t’abandonnerai, aussi longtemps que je vivrai !
- Comment peux-tu t’occuper de moi alors que tu trembles et qu’on doit te tenir la main pour te guider ? Comment peux-tu parler de demain alors que tu as déjà un pied dans la tombe !
Le vieux cheikh suffoqué en perd la parole et renvoie tout le monde d’un geste de la main. C’est Aïcha qui accorde elle-même sa main et qui fixe la dot et les conditions du mariage. Au jour fixé pour la noce, Aïcha est habillée et parée. Elle accepte un léger voile sur la tête, mais refuse net qu’on le descende sur son visage. On a beau lui parler de la tradition et du mauvais œil, rien n’y fait. Toutes les invitées peuvent donc voir tout de suite le visage de Aïcha. Elles remarquent ainsi qu’elle ne baisse pas les yeux et plante son regard droit dans les yeux de ceux qui sont devant elle. Et les commentaires apitoyés vont bon train:
- Notre voisine aura beaucoup à faire avec sa bru ! Que Dieu soit avec elle! Non! sa vie ne sera pas facile.
Une jeune fille du voisinage vient saluer Aïcha. Elle louche de façon effroyable.
- Salut à toi, notre mariée!
- Salut à toi, dont un œil fait la cuisine pendant que l’autre verse l’huile!
La jeune fille s’en va pleurant et se plaint à sa mère. Celle-ci décide qu’il faut tout de suite montrer à Aïcha quelles sont les limites à ne pas franchir et vient lui rendre visite avec toutes ses filles et même ses jeunes garçons.
- Salut à toi, notre mariée à la langue de serpent!
- Salut à toi, ma voisine qui vient me voir, suivie de sa portée comme une chienne prolifique!
La voisine s’enfuit et va voir la belle-mère d’Aïcha. Celle-ci se dit qu’elle a affaire à forte partie et décide de jouer la douceur:
- Aïcha ma fille, la voisine se plaint de toi. Je lui ai dit que tu ne dois pas mesurer la portée de tes paroles.
- Mère ! Par l’endroit d’où sont sortis tes enfants, je ne lui ai rien dit de méchant !


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