C’est du coté de Tafraout, au sud du Maroc, que Mohamed Khair-Eddine voit le jour en 1941, dans une famille de commerçants. Il n’oubliera jamais ces territoires de la liberté où, souvent, la misère matérielle règne. Après son cursus scolaire, il s’installe à Agadir (1961-1963). Son premier roman porte d’ailleurs le titre de Agadir. Cette fiction parue en France, le fait connaître et on le compare déjà à Rimbaud. Entre 1963 et 1965, Mohamed Khair-Eddine est à Casablanca. Puis il part à Paris (1965-1979) où il y publie beaucoup et anime pour France-Culture des émissions radiophoniques nocturnes. Il s’y marie et a un fils. Il rentre seul au Maroc en 1979, sur un coup de tête dira-t-il. En 1989, il est à nouveau à Paris où il renoue avec le théâtre. Son amour pour la littérature révèle très tôt son penchant pour la poésie. Les centres d’intérêt sont divers. Le style est très soigné. La poésie est évasion et colère. En France, il parvient à multiplier les collaborations dans des revues spécialisées (Encres Vives, Dialogues, Lettres nouvelles, Présence africaine...) et à publier la grande majorité de ses écrits. C’est aussi une période d’errance qui durera une quinzaine d’années, entre le Midi de la France et Paris. "Je vais, je cours, je cherche sans relâche quelque chose qui me fasse désirer la vie", écrivait l’auteur de Agounchich. Mohamed Khair-Eddine s’éteint à Rabat en 1995. Ses œuvres, interdites aux Maroc de son vivant, ont commencé à être rééditées en 2002. Écrivain de l’exil, exilé de l’écriture. Mohamed Khair-Eddine a longtemps cultivé cette particularité qui a façonné son mythe et singularisé son style. L’adepte de la guérilla linguistique s’est lancé très tôt dans la quête de nouvelles formes d’expressions qui révolutionnèrent, en son temps, les principes fondamentaux de l’écriture maghrébine de langue française. Parmi les œuvres importantes de Mohamed Khair-Eddine, on peut citer, entre autres, Légende et vie d’Agounchich (Le Seuil, 1984), Résurrection des fleurs sauvages (Éditions Stouky, Rabat, 1981), L’Odeur de Mantèque, le Déterreur ou encore Il était une fois un vieux couple heureux. Dans Agadir, l’auteur est très marqué par le séisme de 1960. L’auteur s’installe à Agadir en 1961 et y vit pendant un moment. Il est chargé d’enquêter auprès de la population pour le compte de la Sécurité Sociale. Ses œuvres ont été publiées, pour la plupart, aux éditions du Seuil, à Paris. C’est le cas de Corps négatif, suivi de Histoire d’un Bon Dieu, Soleil arachnide, Moi l’aigre, Ce Maroc, Une vie, un rêve, un peuple, Toujours errants. L’écrivain criait haut et fort contre et pour son pays. Aussi contradictoire que cela puisse paraître, cette dualité a pendant très longtemps singularisé l’œuvre de l’enfant terrible de la littérature marocaine. Le poète y remet en question toutes les composantes de la société. "Nous devons nous imposer, il est temps. Nous dénoncerons les malfaiteurs qui strient les chairs de notre peuple, essayer d’abolir les traditions les plus proches des ferrements. Proclamer la liberté. Ce n’est pas sans raison que je m’exile ici," écrivait en 1961, Mohamed Khair-Eddine à Abdellatif Laâbi à propos de son engagement dans la revue Souffles. En exil, le souvenir du Maroc est omniprésent. Le souvenir du pays d’origine habite presque toute son œuvre. L’éloignement a renforcé ses liens avec le pays, ses maux, ses problèmes et tissé de solides liens d’amitié avec des amis poètes et écrivains qui sont restés sur place pour mener le combat. Dans beaucoup de ses livres, Mohamed Khair-Eddine stigmatise le roi Hassan II presque de manière frontale au moment où certains auteurs se rapprochaient du palais royal. Mohamed Khair-Eddine est un écrivain peu commun qui a laissé derrière lui une production romanesque et poétique qui dépasse de loin les frontières. Son retour au Maroc n’a pas pour autant permis à ses livres d’être distribués et vendus normalement dans les librairies marocaines. L’anarchiste qu’il était, le bon vivant qu’il essayait d’incarner et l’écrivain rebelle contre tout ordre établi y compris les règles de la langue française, qu’il maîtrisait par dessus tout, n’a pas eu l’aval des détenteurs du pouvoir. Jean Paul Sartre, la référence de la littérature française, des décennies durant, a toujours apprécié les écrits de feu Khair-Eddine, qu’il considérait comme l’un des meilleurs écrivains de langue française au monde. Publié en 2002, chez le Seuil, Il était une fois un vieux couple heureux est un livre magique et reposant. C’est une critique acerbe d’une certaine modernité où les valeurs sont dissoutes mais le ton y est serein et lucide. Mohamed Khair-Eddine parle d’un vieux couple de Berbères dans le sud marocain. Malgré le dénuement dont lequel ils vivent, ils sont heureux car ils sont en harmonie totale avec la nature. Puis le vieux se met à écrire de la poésie en berbère jusqu’à ce que les radios d’Agadir et de Paris se mettent à parler de lui. D’une certaine façon, ce récit nous fait découvrir un Mohamed Khair-Eddine qui a fait la paix avec lui-même et avec le monde. Mais sa façon de raconter demeure la même: inimitable et d’une profondeur inimaginable.