Le Midi Libre - Culture - «C’est un autre moi qui écrit»
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Entretien avec l’écrivain Hamid Grine
«C’est un autre moi qui écrit»
27 Avril 2008

Dans ses romans, Hamid Grine décrit des personnages qui sont un peu les frères jumeaux des Algériens moyens, avec leurs défauts et leurs qualités. Comme nul n’est parfait, c’est en plongeant dans le moi profond des personnages qu’il construit ses fictions. L’intrigue n’est là que comme support à l’analyse, à l’introspection.

Midi Libre: Il y a une part de biographie dans vos écrits. On sent que le vécu et les souvenirs constituent la matière première de vos romans. Quelle importance accordez-vous au vécu ?
Hamid Grine : L’expérience est un matériau nécessaire à toute œuvre littéraire. Si on n’a rien vécu, comment pourrait-on écrire ? comme parler d’amour si on n’a pas aimé, comment parler de la souffrance si on n’a pas souffert, comment parler de l’amitié si on ne l’a pas expérimentée. Comment parler des autres si on n’a pas vécu avec eux ? J’aime bien cette profession de foi de Shopenhauer : "La plupart des livres durent peu. Ceux-là seuls vivent, où l’auteur s’est mis lui-même. Dans toutes les grandes œuvres, on retrouve l’auteur. Dans mon œuvre à moi, je me suis fourré tout entier. Il faut qu’un écrivain soit le martyr de la cause qu’il défend, comme je l’ai été. " S’il est nécessaire d’avoir vécu, il est tout aussi nécessaire de savoir recycler ce vécu pour le raconter d’une manière plaisante. Parfois, géniale quand je pense à Proust, le Proust d’Alberine disparue. Jamais avant lui et même après lui n’a parlé avec autant de justesse des ressorts du couple, de l’amour, de la souffrance amoureuse de la jalousie. Toute l’œuvre de Proust a été écrite à partir d’une pièce où il vivait presque en reclus. Mais n’est pas Proust qui veut.

Des différences de style peuvent apparaitre entre «La Dernière prière» et «Nuit de henné». Le premier roman n’est-il pas une sorte de quête initiatique de la part d’un héros qui a perdu ses repères ?
C’est vrai, Hawas est un héros à la recherche de lui-même, partagé entre ses passions terrestres et sa foi pantelante. Même sur le plan philosophique c’est un théoricien comme beaucoup de philosophes ; d’ailleurs, il se veut disciple des stoïciens, mais au moindre coup de vent, il oublie tous les préceptes qu’il a dévorés. Le stoïcisme exclut le libertinage ? Hawas est un libertin. L’acceptation de ce qui ne dépend pas de nous ? Hawas se révolte, s’impatiente... En fait, rien d’un stoïcien... Que voulez-vous, l’éternel paradoxe entre ce qu’on veut être et ce qu’on est. Quant à Maamar Hbak de "La nuit du henné", c’est un petit format aux masques superposés.

«Nuit de henné» est un roman qui traite d’événements qui se sont déroulés dans les années 80. On a appris que le roman a été achevé il y a de cela 14 ans. Quelle place tient la gestion du temps dans vos écrits ?
Il a été achevé, il y a 4 ans, mais revu et corrigé juste avant sa publication. Je gère mon temps comme je peux. Je tiens à distance autant que possible les bouffeurs de temps, ceux qui ont envie de bavarder du soleil, de la pluie et des autres. Je pense que le temps est irremplaçable, c’est pour cela qu’il faut savoir en cueillir chaque instant, car chaque instant qui part est perdu à jamais. J’aime maîtriser mon temps. La possession de soi-même commence par la gestion de son temps. Qui ne sait pas le gérer ne sait pas vivre. Je veux dire vivre comme il l’entend. Et non comme l’entendent les autres, les intrus.

Dans «Nuit de henné», vous démystifiez d’un côté la suprématie de l’homme par rapport à la femme, et de l’autre, l’importance des superstitions. On y retrouve les contradictions de la société algérienne (bureaucratie, machisme…). La libération de la société passera-telle par l’émancipation de la femme ?
Sans aucun doute. Je pense que le salut de l’Algérie viendra des femmes où ne viendra pas. Elles sont plus entières que les hommes. Regardons nos parents. Et soyons sincères : qui a été le plus admirable, le plus combatif, le plus aimant, le plus présent, le plus courageux, la mère ou le père ? Je suis certain que dans la plupart des cas, c’est la mère. Je suis convaincu que l’homme est d’abord le fils d’une mère. Le père ? Souvent, il ne pense qu’à son bonheur, d’abord. C’est pour toutes ces raisons que notre société ne sera vraiment développée que quand la femme sera légalement l’égale de l’homme. Sur tous les plans.

Nuit de henné, cueille le jour avant la nuit, pourquoi cette insistance sur la nuit ? La nuit n’est-elle pas le meilleur moment de la journée, aussi bien pour se reposer que pour réfléchir ?
Oui, pour moi, c’est le moment de réfléchir, de méditer, d’entrer en moi-même et souvent d’écrire. Je ne suis perturbé par rien : ni appels téléphoniques, ni obligation de faire la conversation. Rien : je suis avec moi-même. Et je ressens tout au centuple : le bruissement des arbres qu’un léger vent fait frissonner; le gazouillis des oiseaux... Je vois ma journée défiler devant mes yeux. Je me vois moi-même. Est-ce que j’étais 8/10 ou 1/10? Je me promets alors de me corriger pour le lendemain. Je me promets, promesses souvent vaines hélas...

Chroniqueur, essayiste, journaliste, cadre dans une grande société, comment arrivez-vous à concilier entre ces différentes facettes de votre personnalité ?
Avec une bonne gestion du temps. Le jour je le consacre à mon entreprise, mettons jusqu’à 21h (réponse aux coups de fils compris); le soir, je le consacre à l’écriture, je veux dire à moi-même; je fais le vide dans ma tête. Et c’est un autre moi-même qui se consacre à l’écriture.

Maamar Hbaq, tout un programme. Voilà un cadre qui a fait des études universitaires, mais qui reste prisonnier de croyances anciennes. L’université algérienne est-elle coupée des réalités, voire de la modernité ?
J’ai toujours pensé que l’université nous apporte une toute petite base, le reste dépend de notre éducation et de notre formation propre. Si on veut avancer dans la vie, on ne doit compter que sur soi-même et non sur l’université qui nous donne quelques repères méthodologiques. Sans plus. Il arrive qu’on rencontre des enseignants d’exception qui nous propulsent dans une autre dimension. Qui nous font entrevoir un savoir insoupçonné. Je n’en ai pas beaucoup vu dans ma vie. Mes amis, non plus. Et vous ? il n’y a plus ni Socrate, ni Sénèque... Ne soyons pas trop pessimistes : disons qu’ils sont cachés quelque part. Ils attendent leur heure. Quant à Hbak, il est comme beaucoup d’Algériens. Conservateur quand ça l’arrange et chantre de la modernité quand il faut séduire. C’est une posture marketing.

«La Dernière Prière» a été traduit en arabe et diffusé dans les pays arabes. Quels sont les échos que vous avez eus des ventes et des critiques à son sujet ?
‘’La Dernière Prière’’ mais aussi ‘’Cueille le jour avant la nuit’’. De très bons échos. Surtout de lecteurs algériens. Je n’ai pas encore eu le feed-back de mes éditeurs algériens. Concernant ‘’La Dernière Prière’’, je peux vous dire que la traductrice libanaise ainsi que son époux ont beaucoup apprécié le roman. Surtout Hawas. Sans doute pour des motifs différents.

Hawas, le héros de ce roman, jette un regard à la fois critique et pessimiste sur la société algérienne. Ses références au stoïcisme et ses digressions sur le Bien et le Mal sont-elles toujours d’actualité, ou bien pensez-vous qu’elles sont dépassées de nos jours ?
Toujours d’actualité, je pense. Le roman (ainsi que ‘’la Nuit du henné’’) a été réédité, ça signifie que beaucoup de lecteurs se sont retrouvés dans les sujets qu’il traite. Le stoïcisme est une école éternelle de perfection de l’âme. Le bien et le mal existeront tant qu’existera le monde. Pessimisme ? Plutôt lucidité. Il faut voir la vie telle qu’elle est, car elle n’est pas toujours facile, en essayant de faire son possible pour la rendre vivable sans pour autant renier ses principes.

En tant que journaliste, quel regard portez-vous sur les médias algériens ? Celui de votre héros Hawas ?
Il y a d’excellents journaux, d’autres moins bons... Disons que la vision de Hawas, à quelques nuances près, est mienne. Cependant, je persiste à penser que le métier de journaliste, quand il est bien fait, est le plus beau au monde. C’est un art.

Et en tant qu’écrivain, que pouvez-vous dire de la littérature algérienne?
Que du bien. Je pense que chaque écrivain, quel que soit son statut ou son produit est digne de respect. L’important est d’essayer de faire avancer les choses dans ce pays. Les écrivains, petits ou grands, font avancer les choses ne serait-ce qu’en donnant du plaisir à quelques lecteurs. Aucune oeuvre n’est vaine. L’inertie, elle, fait mal. Car elle fige. C’est pour cette raison que je salue tous ceux qui ont écrit ne serait-ce qu’un livre. Ils ont fait aboutir un projet. Et c’est ça le plus important. Amitiés

Par : Ahmed Benallam

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