Le coup d’envoi de la dixième édition du Festival national de théâtre comique a été donné, mercredi dernier à Médéa, en présence d’un public très nombreux et de grandes figures du quatrième art et d’hommes de lettres.
La cérémonie d’ouverture, qui s’est déroulée au complexe théâtral de l’université Yahia-Farès de Médéa, a été marquée par un vibrant hommage rendu, à titre posthume, à cette grande figure du théâtre et auteur prolifique, pluridisciplinaire, regretté Mahboub Stambouli (1913-2002), qui a légué au patrimoine culturel national de nombreuses pièces théâtrales populaires et des milliers de ksids et champs populaires, couronnement d’un demi-siècle de travail et d’engagement pour l’art et la culture populaires algériens.
En levée de rideau de cette édition, qui mettra en compétition, durant quatre jours, huit oeuvres théâtrales, la présentation "hors compétition" de la pièce "Derb Et-tebana" (la voie lactée), lauréate du grand prix du dernier Festival national de théâtre professionnel. Interprétée par les comédiens de la coopérative
Les Amis de l’Art de Chlef, l’oeuvre retrace les tumultes d’Ali "le patriote", déclaré mort, durant la décennie noire, qui tente de récupérer son identité et, surtout, persuader son entourage qu’il fait toujours partie du monde des vivants. Outre l’entrée en compétition, dès jeudi, des huit pièces théâtrales sélectionnées pour la Grappe d’or, le programme tracé par les organisateurs de cette manifestation comprend une série de monologues, prévus
à travers les différentes résidences universitaires de Médéa, animés par des comédiens satiriques, comme Samir Mazouri, Mourad Medjram, Tewfik Mezaache, Tounès Ait-El-Hadj, Abdelkrim Briber et Lahcène Azzazni. D’autres "one-man show" seront présentés, pour la deuxième année consécutive, en plein air, en vue de permettre au plus grand public de profiter de cette manifestation et d’assurer également la promotion de cet art qui perd chaque jour du terrain face aux multimédias.
Qui est Mohamed El- Mahboub Stambouli ?
Considéré comme l’un des piliers de la culture et des arts en Algérie, ce natif de Médéa est né en 1913 et a grandi au sein d’une famille conservatrice. Sa première rencontre avec les planches remonte à 1920, alors qu’il n’avait pas encore atteint l’âge de 7 ans. Il a inscrit son parcours créateur en lettres d’or avec des réalisations artistiques remarquables et riches (pièces de théâtre, opérettes). En 1935, il a créé le club El Hilal Erryadi, dont les activités ont englobé différentes disciplines sportives ainsi que des travaux d’art et des productions théâtrales. Mohamed El- Mahboub Stambouli s’est rendu à Alger en 1939 où il s’est intéressé à l’activité politique, suite à son adhésion au PPA.
Dans le même temps, il créa une troupe théâtrale appelée Rédha El Bey. Durant cette période, il a écrit de nombreux poèmes et hymnes patriotiques pour le compte des Scouts musulmans algériens, entre autres la qassida intitulée « Min Jibalina » et une autre sous le titre « À l’appel de ma patrie, j’ai répondu présent ». Il a également écrit des pièces de théâtre parmi lesquels « Je raconte à toi » (Ahqui laka) et « Le fou de la plage » (Medjnoun Echat).
Après les événements du 8 Mai 1945 et la montée du nationalisme qui se traduisait par la revendication de la liberté et de l’indépendance, les autorités françaises ont interdit les activités de la troupe, dans laquelle il jouait et ce, jusqu’en 1948, en raison de son implication dans la lutte nationaliste. Au déclenchement de la Révolution, MohamedEl-Mahboub Stambouli a rejoint les rangs du Front de libération nationale au sein duquel il a activé.
Ceci lui a valu d’être arrêté en 1957 et ne sera libéré que trois années après. Il a par la suite exercé à la Radio nationale où il a produit de nombreuses émissions sur la poésie et la chanson. Parmi ses émissions, nous citerons « Ahlem oua Aouham » (Rêves et imaginations) « Dounya Echabab »
(Le monde des jeunes) et « Rached oua El Djouala ». En sus, il a créé une troupe de théâtre populaire qui se déplaçait de village en village. Au lendemain de l’Indépendance en 1962, Mohamed El-Mahboub Stambouli rejoint le Théâtre national algérien où il a mis en valeur toute son énergie et sa compétence artistique. Il a obtenu le premier prix de la RTA, en tant qu’auteur des paroles de la chanson intitulée « Taj Ezzine ».
Tout au long de son parcours artistique, l’écriture a été sa principale occupation. Il a écrit 5.000 poèmes (qassida), certains sont rédigés en arabe littéraire. Il a également traduit ou adapté une dizaine de pièces théâtrales internationales et des opérettes en plus de nombreux scénarios de films et récits.
Mahboub Stambouli, une anthologie oubliée
Anthologie de la culture populaire algérienne, Mohamed Mahboub Stambouli est resté, sa vie durant, "humble et réservé" n’ayant d’autres obsessions que la créativité et la perfection, ont témoigné jeudi à Médéa des proches de l’auteur du célèbre champ patriotique
"Min Djibalina". Un "éternel insatisfait, très critique vis-à-vis de ce qu’il accomplissait, pensant, toujours, pouvoir faire mieux et plus". témoigne son fils, Nadjib, journaliste, en marge d’une rencontre sur le parcours de son paternel, organisé à la maison de la culture Hassane El-Hassani.
Affirmant garder l’image d’un "infatigable créateur, en quête permanente de perfection", son fils cadet évoque, avec beaucoup de fierté, les souvenirs de ce père qui, à l’âge de 55 ans, va trouver encore du temps pour se documenter et peaufiner ses connaissances en matière d’art dramatique, transcendant ce sentiment de "suffisance" qui prime chez beaucoup d’hommes de culture, d’artistes et de comédiens qui pensent avoir atteint "les cimes de la gloire" dès la première consécration publique, alors qu’un long chemin les attend encore pour prétende à une quelconque célébrité.
Mahboub Stambouli travailler et jouer à l’ombre", loin des lumières des projecteurs ou des crépitements des appareils photo. Il avait opté pour le "retrait et l’humilité", affirme son fils Nadjib, estimant qu’il s’agit d’un choix personnel, car tout artiste ou homme de culture aspire à la renommée et la célébrité cherche une audition auprès du public, mais ce n’était jamais le cas de Stambouli, le père.
L’oeuvre monumentale qu’il a réalisée, durant plus d’un demi-siècle, n’a pas altéré ce "choix", au contraire, son "anonymat le stimulera dans sa quête perpétuelle de perfectionnement et de créativité", selon Nadjib qui pense, néanmoins, que cette retraite a été bénéfique plus à la culture algérienne qu’à l’homme qui a mis toute sa vie au service de l’art.
Autre singularité de ce pilier de la culture algérienne, sa réussite à trouver le parfait équilibre entre la religion et l’art, en parvenant, à travers ses oeuvres, à "trouver le juste milieu" entre deux domaines jugés incompatibles, mais que Mahboub Stambouli a su "réduire les oppositions et faire fusionner" grâce à l’éducation religieuse qu’il avait acquise auprès de son père, qui officiait en qualité de mufti à Médéa, au début du siècle dernier, note encore son fils Nadjib.
Le père de "Min Djibalina", célèbre chant patriotique qu’entonnaient les valeureux combattants de la glorieuse Révolution de Novembre 54, a permis l’éclosion de grands comédiens dont il avait "reconnu en eux la graine de réussite", tels que les inégalables Hassan-El- Hassani et Rouiched. Cela lui a permis aussi de se propulser au sommet de la gloire grâce à "son flaire" et l’expérience acquise sur les planches du temps où il dirigeait sa troupe théâtrale Rédha Bey, pépinière de talents et de comédiens émérites.