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Ultime hommage à Fatma-Zohra imalayène au palais de la culture Moufdi-Zakaria
Assia Djebar, l’immortelle…
14 Fevrier 2015

A l’arrivée du cercueil, drapé de l’emblème national et porté par des agents de la Protection civile, les youyous des femmes, présentes en force, fusent dans le palais de la culture à Alger.

Toute sa vie, Assia Djebar avait tenté de rester, selon la formule de Diderot qu’elle avait faite sienne, "en dehors et au-dedans". Son oeuvre garde la trace de cet entre-deux, entre deux rives, deux langues, deux histoires, deux mémoires, un entre-deux qui fait au final sa singularité.

Un ultime hommage a été rendu jeudi dernier au palais de la Culture à Alger à celle qui prônait l’émancipation des musulmanes et le dialogue des cultures à l’écrivain Assia Djebar, décédée vendredi dernier à Paris à l’âge de 79 ans. Etaient présentes plusieurs personnalités politiques et culturelles, dont la ministre de la Culture Nadia Labidi, l’ancien chef du gouvernement Rédha Malek, les anciens ministres Lamine Bechichi et Mahieddine Amimour ainsi que l’ambassadeur de France à Alger Bernard Emié.

Des amis et des proches de la défunte étaient également présents à cette cérémonie pour se recueillir devant la dépouille de la romancière Assia Djebar. A l’arrivée du cercueil, drapé de l’emblème national et porté par des agents de la Protection civile, les youyous des femmes, présentes en force, fusent dans le Palais de la culture à Alger.

Auprès de sa dépouille, sa famille reçoit avec dignité les hommages de personnalités mais surtout d’anonymes pleurant en silence la perte "d’un monument". Dans la salle, tout ce beau monde tient à souligner à l’unanimité avoir été marqué par le talent et le combat de cette femme hors du commun, auteur prolifique et cinéaste. "La disparition d’Assia Djebar, est une perte, non seulement pour sa famille, mais pour la nation tout entière.

C’est en nous inclinant devant sa dépouille que nous réalisons le grand vide que son départ a désormais laissé", a indiqué la ministre de la Culture. Nadia Labidi a aussi mis en évidence le fait que la défunte était une "véritable école" ayant inspiré les créateurs, les étudiants et les chercheurs. Elle a rappelé que les oeuvres d’Assia Djebar, ont été traduites dans de nombreuses langues, ce qui atteste du respect qu’on lui voue et de la place qu’elle occupe dans la littérature mondiale.

Qualifiant Assia Djebar de "richesse nationale", Mahieddine Amimour a rendu hommage à "celle qui militait par la plume et (qui) n’a eu de cesse de revendiquer son algérianité", selon ses propos. L’ancien ministre Lamine Bechichi a estimé, de son côté, qu’il suffisait à "la grandeur de la romancière algérienne qu’elle eut été élue à l’Académie française".

Qui estAssia Djebar ?

Assia Djebar, de son vrai nom Fatma- Zohra Imalayène, est née en 1936 à Cherchell. C’est dans cette ville, chargée en histoire, ancienne Césarée de Mauritanie et centre rayonnant de l’hellénisme en Afrique du Nord, que la petite Fatma-Zohra vivra ses premières années, poussée vers l’excellence par un père instituteur.

Dans un environnement déjà pluriel qui mêlait le berbère ancestral, l’arabe sociétal et le français colonial, celle qui n’est pas encore Assia Djebar étudiera également le grec ancien et le latin ainsi que l’anglais. Élève brillante, elle sera la première femme maghrébine à intégrer en 1955 l’École normale supérieure de Sèvres, où elle étudiera l’histoire.

Un parcours engagé

Mais la jeune femme, sensible à la guerre d’indépendance qui secoue son pays décidera de ne pas passer ses examens à l’appel du FLN. À la place, à tout juste 21 ans, elle écrit son premier roman, La Soif ; suivront Les Impatients, Les Enfants du nouveau monde, Les Alouettes naïves, prémisses d’une longue série de romans, essais, pièces de théâtre, poèmes. Très vite, elle adopte le pseudonyme symbolique d’Assia Djebar : hommage direct aux femmes algériennes.

Après des études poussées auprès des spécialistes du monde arabe Louis Massignon et Jacques Berque, elle est nommée à l’université d’Alger dans la toute jeune Algérie indépendante. Mais, très vite, elle s’oppose à la politique officielle d’arabisation et quitte le pays. Par la suite, elle enseignera à Rabat, New York, Bâton-Rouge en Louisiane et à Paris.

Élue à l’Académie française

En 2005, elle est la première femme maghrébine à être élue à l’Académie française, au fauteuil de Georges Vedel. Elle dira avec beaucoup d’humour à cette occasion : "Je suis la cinquième femme parmi les quarante Immortels et je siège au fauteuil numéro 5. Cela me convient parfaitement, car en Islam, le 5 est le chiffre de la chance, celui de la main de Fatma." À l’occasion de sa réception à l’Académie, elle portera une antique épée algérienne d’argent et d’ivoire gravée de ses initiales en arabe et du mot "Pax", la paix. Autre honneur, elle sera élue à l’Académie royale de Bruxelles au fauteuil de Julien Green.

De la plume à l’écran

L’oeuvre plurielle qu’elle laisse mêle différentes formes d’expression et d’art. Elle a ainsi réalisé deux films, La Nouba des femmes du mont Chenoua, qui lui vaudra le prix de la critique internationale à la Biennale de Venise en 1979 et La Zerda ou les chants de l’oubli, primé au Festival de Berlin, comme "meilleur film historique" en 1983. Mais ce sont surtout ses romans, traduits dans plus de 23 langues qui marqueront la littérature mondiale au point que son nom s’est retrouvé plusieurs fois dans les possibles récipiendaires du prix Nobel de littérature.

L’hommage à la femme algérienne

L’oeuvre d’Assia Djebar peut aussi être comprise comme un immense hommage à la femme algérienne. Elle dira ainsi : "Les femmes algériennes ont été celles qui ont transmis pendant toute la colonisation l’histoire orale du peuple algérien. Elles ont participé à la construction nationale."

Et c’est leur rôle déterminant dans la guerre d’indépendance qui fera dire à un soldat français, personnage de son roman La Femme sans sépulture paru en 2002 : "Quel est donc ce peuple pour avoir de telles femmes ?" Son "Je" au féminin algérien donnera une voix au "bruissement des femmes reléguées", ces bataillons silencieux de la guerre d’indépendance qui furent oubliées ensuite après 1962.

Dans une enquête en Algérie sur ces femmes combattantes commandée par L’Express en 1962, elle écrira : "Je les ai vues, la plupart, les premiers jours de l’indépendance. Elles rendaient grâce à Dieu de ces jours arrivés ; et maintenant, elles attendent."

Par : IDIR AMMOUR

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