Il n’y a pas un seul jour qui passe, sans que des centaines, voire des milliers d’Africains prennent le chemin d’un exil volontaire, laissant derrière eux leurs terres natales, leurs familles, leurs amis, leurs lieux familiers et leurs souvenirs de toute une vie.
La jeunesse de la rive sud de la Méditerranée ne veut plus supporter l’oisiveté forcée, due au manque de travail, et, bien entendu, la misère humiliante qui en résulte. "Travailler c’est vivre", a dit Voltaire. Et ne dit-on pas que "l’oisiveté est la mère de tous les vices". Il n’y a pas en effet pire disgrâce et pire détresse humaine que la pauvreté. Cette migration vers l’Europe est, par conséquent, une évasion, une nécessité vitale, un choix entre la vie et la mort.
D’ailleurs un grand nombre de ces candidats à l’immigration n’arrivent pas à leurs destinations de rêve, soit qu’ils meurent en cours de route, soit tout simplement, en se faisant arrêter pour être ramenés au bercail. C’est dans ce contexte que la coopérative "Sindjab" de Bordj-Ménaïl, a mis le doigt dessus lundi denier, une manière de tirer la sonnette d’alarme à travers la générale de sa pièce de théâtre intitulée Wahch El Ghorba, au théâtre national Mahiedine-Bachtarzi.
D’une durée de 75 mn, le spectacle, écrit et mis en scène par Omar Fetmouche, met la lumière sur les travers de la vie en exil dans son marasme et sa cruauté, offrant pour seul horizon possible à ses postulants, l’errance et la désillusion. "Hassen", campé par Ahcène Azazni (également assistant à la mise en scène), ancien émigré habitant Paris, dans le sous-sol d’un immeuble qu’il a aménagé et qui donne sur l’entrée d’une bouche d’égout, reçoit "Fawzi", interprété par Fawzi Baït, un ingénieur d’Etat, exilé clandestin, après avoir défié les hautes mers, à la conquête de l’eldorado.
Fawzi, employé chez Hassen devant désormais s’occuper de garder et entretenir des chiens et des chats confiés par leurs maîtresses à son hôte, découvre avec stupéfaction la "gravissime dégradation des moeurs devenue menaçante", car certaines clientes ont fini par "épouser leur animal".
Devant ce dépaysement et cette perte de valeurs, les deux personnages vont vivre leurs rêves dans une série de situations fictives qu’ils se sont créées, usant du rire et de la dérision dans des scènes puisant du Théâtre populaire, durant lesquels toute tranche de vie est poussée de manière grotesque à son paroxysme.
De l’accueil - bardé de protocolesde sa bien aimée "Flora" dans son abri, à qui il a demandé la main, au mariage à l’algérienne, reconstitué dans l’ensemble de ses rites alors que Flora, en robe blanche, assise à côté de Fawzi qui s’est improvisé son parrain, n’était autre qu’une grande poupée, toutes sortes de rêves étaient permis pour peu que ceux-ci ramènent aux valeurs ancestrales.
Accusés à tort du meurtre d’une vieille femme que Fawzi avait épousé pour régulariser sa situation, les deux comparses finissent assassinés, après avoir été victimes d’une violente cabale qui a fait d’eux de dangereux terroristes. Devant un public relativement nombreux qui s’est délecté, Ahcène Azezni et Fawzi Baït, portant bien leurs personnages respectifs, ont brillé de talent et se sont donné la réplique dans un rythme soutenu, occupant tous les espaces de la scène dans un jeu probant, avec des entrées et sorties des deux côtés "cour" et "jardin" de la scène.
La scénographie, oeuvre de Tahar Khelfaoui a retracé les traits d’une habitation précaire et lugubre, dans un décor unique aux couleurs ternes, appuyée par un éclairage morne, en adéquation avec la sémantique de la trame dans le pessimisme des caractères et l’absence de dénouement. La musique signée Abdelaziz Yousfi, connu sous le nom de Bazou, a fait figure de personnage dramaturgique, se chargeant d’aller au-delà des mots pour assurer la narration et suggérer une suite à la trame avec des compositions et des arrangements intelligents aux sonorités actuelles,
concluant avec "Atass ay’ sevragh", une des plus belles pièces de Slimane Azem. Wahch El Ghorba, invite à la rupture radicale avec les idées reçues qui font de l’exil, "une alternative au mal de vie et appelle tous les déçus dans leurs espérances à se tourner vers la mère patrie, suggérée par la maman de Fawzi qui n’a cessé d’appeler son fils au téléphone", explique Omar Fetmouche. Le spectacle sera présenté demain dans la ville de Tizi-Ouzou avant de partir en tournée à l’Est du pays durant le mois Ramadhan de juillet, et une probable programmation dans l’ensemble du territoire