Joyaux architecturaux et témoins du passé glorieux d’Alger, les palais qui se dressent encore au milieu des ruines de La Casbah servent, désormais, de sièges d’administration ou de musées, pour les plus chanceux...
Une affectation qui leur fait perdre leur faste et les intègre comme des édifices quelconques dans la ville. Construits et occupés par des dignitaires ottomans comme Hassen Pacha, Mustapha Pacha ou des Raïs (capitaine de la flotte algérienne sous la régence ottomane), ces palais ont autant servi de résidences de notables que de hauts lieux de l’exercice du pouvoir politique durant la régence.
Après plusieurs opérations de restauration, ces palais, aujourd’hui tous sous tutelle du ministère de la Culture ou celui des Affaires religieuses, assurent une autre fonction qui ne garantit pas toujours leur préservation. Parmi les mieux entretenus, le palais de Mustapha Pacha, construit en 1798,
D’abord résidence principale du dignitaire ottoman du même nom, puis bibliothèque nationale sous occupation française jusqu’en 1948, il abrite depuis 2007 le Musée national de l’enluminure, de la miniature et de la calligraphie. Des historiens ainsi que le directeur du musée, lui-même, avouent que la restauration de l’édifice n’a pas restitué aux lieux leur aspect initial : les éléments décoratifs (faïences, portes, barreaux de fenêtre et carrelages) souvent reconstitués à partir de matériaux modernes et "inappropriés" ont abouti à des répliques approximatives, faisant perdre à l’ensemble son authenticité. Non loin de ce palais, se dresse Dar Hassen Pacha, une autre résidence de prestige construite en 1791 pour le dey d’Alger sur le flanc de la mosquée Ketchaoua.
Elle affiche aujourd’hui une mine défraîchie, accentuant l’impression d’abandon, même si à l’intérieur les travaux de restauration, entamés voici quelques années, semblent bien avancer. Siège du premier gouvernement français, après qu’il eut subi quelques modifications architecturales, puis siège administratif du ministère des Affaires religieuses après l’indépendance, le Palais d’hiver du dey d’Alger expose aujourd’hui une face hideuse, avec une entrée obstruée par de gros amas de détritus.
En face de ce palais, s’élève un des plus vieux palais de La Casbah d’Alger et dernier témoin vivant de la Djenina (ensemble de palais rasés par l’administration française juste après la prise d’Alger), Dar Aziza dont la construction remonte à la fin du 16e siècle. Propriété dES Waqfs, il abrite aujourd’hui le siège de l’Office de gestion et d’exploitation des biens culturels (OGEBC).
Plusieurs travaux de réhabilitation y ont été menés. Les derniers datent de 2003. Boiserie entamée, colonnes, murs et planchers fragilisés par les infiltrations d’eau de pluie, il offre l’exemple d’une réhabilitation mal conçue, bien que les lieux soient, actuellement, occupés par une institution chargée de la gestion et protection des biens culturels.
Dans le même quartier, Dar Khedaoudj El Amia, une demeure du 16e siècle édifiée par un officier de la Marine, Raïs Yahia, abrite depuis 1987 le Musée des arts et traditions populaires après avoir été affectée au siège de la première mairie française d’Alger, en 1909. Après une première série de travaux de restauration, commencés à la suite du séisme de mai 2003, ce palais dont l’ensemble reste toujours fragilisé, n’est plus maintenu, sur une de ses façades, que par des poutres d’étaiement posées voilà plus de cinq ans. Livrés récemment, après plusieurs années de réfection, Dar Essouf, et Dar el Kadi, abritent aujourd’hui l’Ecole nationale de conservation des biens culturels, pour le premier, et le siège de l’Agence nationale des secteurs sauvegardés pour le second.
Ce que prévoit le plan de sauvegarde et de mise en valeur
Le plan permanent de sauvegarde et de mise en valeur de la Casbah d’Alger, fruit d’une dizaine d’années de travail d’architectes et urbanistes a été adopté en mars 2012 par les pouvoirs publics sous forme de texte de loi pour réglementer les opérations de restauration. Doté d’une enveloppe de 90 milliards de dinars, le plan prévoit de redonner à La Casbah d’Alger son visage originel, en insistant sur les sites historiques, tout en proposant une solution définitive alliant la protection d’une cité à la valeur hautement historique et culturelle au maintien d’une partie de la population qui l’habite de façon permanente depuis plusieurs générations.
Selon ce plan, il est prévu de reconstruire "à l’identique" les quelque 400 bâtisses effondrées pour renforcer l’ensemble du tissu urbain, avant de s’atteler à la restauration des maisons mauresques, mosquées et bâti colonial. Pour faciliter les opérations de restauration, l’Etat se propose de racheter leurs biens aux propriétaires avérés ou de mettre à leur disposition des logements temporaires pendant toute la durée des travaux, pour ceux qui souhaiteraient regagner leurs maisons après les travaux.
En vertu de ce plan, "aucune modification non autorisée par le ministère de la Culture ou ses offices n’est permise", alors que les "constructions récentes ou illicites" seront tout bonnement "rasées". La Casbah d’Alger, bâti colonial compris, totalise actuellement 554 bâtisses dans un en état de "dégradation avancé" dont 188 dans un état de "dégradation extrême" et présentant une menace pour leurs occupants. Près d’un millier de maisons sont, par ailleurs, "moyennement ou superficiellement dégradées".
Des centaines de bâtisses en ruine
120 bâtisses sont en ruine et 120 autres fermées ou murées, mais majoritairement squattées. Pour lutter contre l’occupation illicite des habitations et assurer la sécurité des restaurateurs, il est prévu la création d’une dizaine de postes de police à l’intérieur du périmètre de
La Casbah d’Alger qui s’étend sur 105 hectares. Assainissement, infiltration capillaire, évacuation des eaux pluviales, alimentation en eau potable et en énergie, autant de problèmes épineux auquel le plan prévoit d’apporter des solutions, en commençant par l’enfouissement de toutes les canalisations et autres câbles, avant de refaire la voirie.
Conçu pour servir de modèle pour d’autres secteurs sauvegardés en Algérie, le Plan permanent de sauvegarde et de mise en valeur de La Casbah d’Alger a bénéficié d’une première tranche de 27 milliards de dinars, environ le tiers du budget global alloué à ce projet.
600 maisons à sauver et autant d’écueils à la restauration
Quelque six cents maisons mauresques, éligibles à la restauration, résistent tant bien que mal aux affres du temps, en attendant des travaux annoncés et qui "se font attendre faute de vision, de moyens humains et de coopération multisectorielle", expliquent des architectes- deux ans après l’adoption en mars 2012 du Plan permanent de sauvegarde de La Casbah d’Alger.
L’attribution, en 2013, d’une première enveloppe financière de 27 milliards de dinars avait nourri les espoirs, vite évaporés, des habitants qui regardent leurs maisons "dépérir de jour en jour", rongées qu’elles sont par un "mal à l’issue fatale", finissent par lâcher les plus optimistes d’entre eux. Pour compléter ce tableau sombre, les quelque 400 parcelles vides (17 % du parc immobilier de la cité) et les 120 bâtisses en ruine, menacent aujourd’hui la solidité de l’ensemble du tissu urbain pour lequel aucune mesure urgente ne semble être décidée, à l’exception d’une cinquantaine de parcelles "bientôt reconstruites en priorité", selon le directeur de l’Ogebc, Abdelwahab Zekagh.
Au plan administratif, les habitants se sont retrouvés "ballottés" entre l’Office de gestion et d’exploitation des biens culturels (OGEBC) et l’Agence nationale des secteurs sauvegardés (ANSS), un organisme non encore opérationnel. C’est que le relogement définitif ou temporaire des habitants de La Casbah,qui entrave sérieusement la restauration des bâtisses, légalement occupées ou squattées mais devant être évacuées, dépend d’une commission mixte du ministère de la Culture et de la wilaya d’Alger qui entend réétudier les dossiers.
Rencontrés au siège de l’OGEBC, des habitants de La Casbah, lassés par cette situation, refusent de "renouveler (leurs) doléances auprès d’une succession d’offices et d’institutions", ressassant inlassablement leurs déboires et exigeant l’"avancement concret" des travaux de restauration. Entre-temps, les maisons de La Casbah continuent de reposer, pour les plus chanceuses, sur des poutres d’étaiement en bois, autant de béquilles entamées par l’humidité. Le constat est manifeste et se résume à ceci : chaque jour des amas de gravats de maisons "fraîchement" effondrées viennent obstruer un peu plus le dédalle de ruelles pavées de la cité où les habitants ont perdu leurs repères spacieux.
Insuffisances techniques et manque de savoir-faire
L’autre obstacle de taille à l’application du Plan de sauvegarde qui devait être entamée dès 2012 réside dans l’absence d’architectes restaurateurs et d’experts en monuments historiques, deux spécialités que n’assurent ni l’université ni les centres de formation professionnelle. Les palais de la basse Casbah, déjà restaurés, témoignent, s’il en est, des "insuffisances techniques et du manque de savoir-faire dans ce
domaine", relèvent des historiens et des archéologues.
Restaurés, il y a moins de dix ans, ces palais, transformés en sièges d’administration pour certains, présentent déjà des signes de fragilité apparents, sans parler de l’esthétique ou des finitions, pas toujours réussies. Plus ambitieux, d’autres travaux, délicats, sur les infrastructures comme la voirie, le système d’assainissement ou l’alimentation en eau potable et en énergie, sont encore au stade de l’étude. Prévus par le Plan de sauvegarde, ils relèvent presque de l’impossible pour les habitants de La Casbah d’Alger, échaudés qu’ils sont par les expériences passées, dont aucune n’a pu, pour l’heure, sauver leur cité d’un déclin inexorable.
Restaurés, mais inaccessibles aux visiteurs
Devant l’état de délabrement de la vieille médina, de nombreux observateurs s’interrogent sur l’objectif de
restaurer ces palais, comptant parmi les rares espaces accessibles de La Casbah d’Alger, pour ensuite en faire des locaux administratifs et priver du coup leur accès aux visiteurs et touristes. Extrêmement prisée par les visiteurs, la Citadelle ou Dar Essoltane, comme aiment à l’appeler les Algérois.
Fortification à l’origine, avant de servir de demeure aux deux derniers deys d’Alger, elle n’est plus, aujourd’hui, qu’un immense chantier où les travaux s’éternisent. Malgré une enveloppe globale de 220 millions de dinars et des travaux entamés en 1990 pour le restaurer, ce site - construit à l’époque des frères Barberousse - se trouve, actuellement, dans un état de "dégradation encore plus avancé".
Dominant la baie d’Alger et sa Casbah, théâtre, en 1827, du fameux "coup de l’éventail", incident qui devait précipiter l’invasion française de l’Algérie, la Citadelle peine à rester debout, au grand dam des amoureux de La Casbah, qui doivent encore attendre la fin 2015, date annoncée de la livraison d’une partie du site.