Une pléiade de livres autour de la guerre d’Algérie ont été publiés et ne cessent de paraitre chaque jour en France. Mais l’œuvre qui marque cette nouvelle littérature reste sans aucun doute le livre de Jérome Ferrari , Où j’ai laissé mon âme , paru aux éditions Acts-Sud.
1957. A Alger, le capitaine André Degorce retrouve le lieutenant Horace Andreani, avec lequel il a affronté l’horreur des combats puis de la détention en Indochine. Désormais, les prisonniers passent des mains de Degorce à celles d’Andreani, d’un tortionnaire à l’autre : les victimes sont devenues bourreaux. Si Andreani assume pleinement ce nouveau statut, Degorce, dépossédé de lui-même, ne trouve l’apaisement qu’auprès de Tahar, commandant de l’ALN, retenu dans une cellule qui prend des allures de confessionnal où le geôlier se livre à son prisonnier…
Sur une scène désolée, fouettée par le vent, le sable et le sang, dans l’humidité des caves algéroises où des bourreaux se rassemblent autour des corps nus, Jérôme Ferrari, à travers trois personnages réunis par les injonctions de l’Histoire dans une douleur qui n’a, pour aucun d’eux, ni le même visage ni le même langage, trace, par-delà le bien et le mal, un incandescent chemin d’écriture vers l’impossible vérité de l’homme dès lors que l’enfer s’invite sur terre.
Pour accomplir cette mission, les deux frères d’armes enchaînent les arrestations arbitraires et pratiquent systématiquement la torture.
«Aucune victime n’a jamais eu le moindre mal à se transformer en bourreau, au plus petit changement de circonstances », confie le lieutenant Andreani au capitaine Degorce. Entre les deux extrêmes de la même trajectoire d’une vie, entre héroïsme et barbarie, les frontières sont poreuses et brouillées. Confronté à l’horreur et à son impitoyable logique, l’homme est contraint de se découvrir tel qu’il est : un «homme nu». Alors que le lieutenant Andreani assumera sans complexe ni scrupule cette guerre et la manière dont elle est menée, le capitaine Degorce, lui, sera rongé par ses tourments moraux. Ce dernier sera même irrésistiblement attiré par la sérénité de son prisonnier, Tahar. Sans aucun manichéisme, le roman de Jérôme Ferrari soulève une profonde réflexion sur la culpabilité, la dignité humaine, la compassion et l’honneur.
Depuis qu’il est publié par Actes Sud, Jérôme Ferrari nous offre un livre par an – Dans le secret (2007), Balco Atlantico (2008), Un dieu un animal (2009) – et réussit toujours à en maintenir la qualité à un niveau élevé.
Son dernier roman, Où j’ai laissé mon âme , «ne déroge pas à la règle et semble même le plus beau », annoncent les critiques en France. Ce livre a reçu ainsi en France des éloges interminables. Il a eu d’ailleurs deux distinctions : le Grand Prix Poncetton et le prix Roman France Télévisions.
Roman métaphysique puissant, porté par une écriture forte, Où j’ai laissé mon âme est un roman courageux et fondateur. Courageux parce que Jérôme Ferrari y aborde sans concession ni complaisance un sujet brûlant et tabou, celui de la guerre d’Algérie. Tabou et brûlant parce que passé sous silence bien que douloureusement présent dans nos consciences. À travers les pages incandescentes de cette fiction philosophique tout autant qu’historique, Jérôme Ferrari ramène à la surface, peut-être pour la première fois dans l’histoire de la littérature contemporaine, les nœuds inextricables et à vif qui unissent la Corse à l’Algérie et à l’ex-empire colonial. Fondateur, parce qu’en s’attaquant à la lourde chape de silence qui tient l’île à sa merci, le jeune et talentueux écrivain donne un coup de pied dans la fourmilière. Bien que ne se réclamant pas de la littérature
« corse », il inaugure ainsi véritablement, en Corse, une littérature de «l’après-riacquistu». "Une ère nouvelle commence, une ère hors frontières qui ouvre la voie à une double rédemption littéraire. Une rédemption qui passe en premier lieu par l’écriture et par une rédemption de l’écriture", a écrit Angèle Paoli