Incroyable histoire que celle de Guy Beaujard, fils de gendarme français partisan de l’occupation, qui s’était rebellé contre l’ordre colonial en refusant une prometteuse carrière d’officier à l’école St Cyr pour s’engager en tant que volontaire au cœur de l’Akfadou en Kabylie où la révolution faisait rage et ce, pour apprendre aux enfants des colonisés le savoir et les connaissances leur permettant de reprendre le flambeau de la révolution.
Durant son séjour en Kabylie, Guy avait refusé de porter l’uniforme et d’être associé à toute action symbolisant l’occupation qu’il continue encore à fustiger aujourd’hui.
Cet enseignement aux antipodes des valeurs coloniales n’a pas échappé au colonel Mohand Oulhadj chef de la wilaya 3 qui l’avait remercié et encouragé à continuer sa mission tout en l’assurant de la protection du FLN. Cela à l’issue d’une émouvante rencontre en plein maquis et dans une zone interdite où Guy avait été conduit secrètement par un officier de l’ALN. Au cours de cette rencontre inédite que Guy Beaujard a décrite en des détails croustillants dans son livre « Les couleurs du temps », le colonel Mohand Oulhadj a complété l’initiation du jeune Français sur la soif de liberté du peuple algérien depuis des millénaires et lui avait surtout apporté sa vision d’un monde libre.
De retour au pays 50 ans après, Guy Beaujard a été accueilli l’après-midi du 04 octobre dernier à l’aéroport Houari Boumediene comme un enfant du pays coupé aux racines des siens par le destin. A la vue de ses anciens élèves, qui l’ont reçu avec les dattes symboles d’hospitalité algérienne, ses yeux embués trahissaient ce sentiment d’être séparé de gens qui lui ont appris l’humanité qu’il n’avait pas trouvée chez un père autoritaire et violent qui l’avait mis en prison à l’âge de trois ans « pour tentative d’incendie de la brigade de gendarmerie». Des retrouvailles où l’émotion se le disputait à la joie que Guy a éprouvée en foulant le sol de cette Algérie qu’il a toujours considérée comme sa «deuxième patrie». Au lendemain de sa visite, Guy Beaujard s’est offert une visite guidée à Tifrit Naït Oumalek où il s’est remémoré les souvenirs de son passage dans ce village adossé à Akfadou. Telle une traînée de poudre, sa visite a fait le tour du village. Les premiers à l’accueillir furent ses anciens élèves que l’instit n’a pas eu beaucoup de peine à identifier, accompagnant son souvenir d’un détail enfoui au plus profond de sa mémoire. Durant son court séjour en Kabylie, Guy Beaujard a vu Tajmaat où il avait reçu l’aval des sages en 1959. Cette Tajmaât, mode de vie et pratique qui l’a beaucoup marqué et sur la quelle il a beaucoup écrit ; "On vient à la djemâa, sans l’avouer, se dépouiller de ses impuretés, calmer ses aversions. La djemaâ permet de trouver le chemin de la paix, d’exister en se frottant aux autres. La haine et la violence s’y manifestent parfois dans la plus grande déférence et finalement toujours dans le plus respectueux silence. Invisibles, les sept péchés capitaux se côtoient avec élégance. Aller à la djemaâ, c’est aussi partir en migration, faire son pèlerinage sans atteindre la Mecque ", souligne Guy Beaujard dans son ouvrage. Guy Beaujard a visité son ancienne école et s’est recueilli sur la tombe du colonel Mohand Oulhadj où il a déposé une gerbe de fleurs en compagnie de son fils Mohand Saïd à Bouzeguène après avoir été reçu par sa famille à Alger. Guy Beaujard a aussi prononcé un discours sur ce qu’avait été la noblesse de sa mission en Kabylie, parlant des moments forts qu’il avait partagés avec cette figure charismatique de la révolution et dira la grandeur et la sagesse de cet homme qui l’avait marqué à vie par son intelligence et sa profondeur de vue. La révolution, le colonel Mohand Oulhadj dans le maquis a scellé cette histoire dans ce qu’elle avait de bouleversant humainement. Les sources de motivation pour l’écriture du scénario sont d’ordre humain, esthétique et historique compte tenu de la situation qui prévalait dans les colonies à l’époque. Des documents attestent de cette vérité qu’il fallait absolument porter sur écran.
A Tizi-Ouzou où il a été l’hôte du P/APW, Guy Beaujard, qui a dédicacé son livre, s’est intéressé à l’exposé de Mahfoud Belabbas sur la situation de l’éducation dans la région et sur les efforts déployés par cette wilaya qui détient l’un des plus forts taux d’admission au Bac au niveau du pays. L’instituteur devenu écrivain s’est ensuite arrêté à la maison de la culture Mouloud Mammeri. A Moknéa, autrefois zone interdite, que l’auteur français a dépeint en termes glorieux dans son livre. Il a été fait citoyen d’honneur par le comité de village lors d’une émouvante cérémonie durant laquelle un des anciens élèves a raconté comment il avait été soigné d’un furoncle qu’il refusait de faire traiter à l’infirmerie de la SAS d’Ifigha, où Guy s’est aussi souvenu du postier, le Chahid Aliane Mohand-Larbi qui aidait à poster des courriers confidentiels rédigés par Guy aux familles. Guy a reçu des mains des membres de l’association «Assirem» un burnous blanc symbole de pureté. Au siège de l’association, il a organisé une rencontre-débats à l’initiative de ses membres. Guy a raconté sa vie aux Andélys puis son expérience humaine à Tifrit et Ifigha. Entretemps, le «chikh» kabyle a également visité son ancienne école et la nouvelle école en amont où il a- assisté à la levée des couleurs. Il a discuté avec le directeur d’école, les enseignants et les élèves qu’il a gratifiés d’une petite leçon. Guy Beaujard s’est également rendu au village et à l’école de Moknée où il a été accueilli chaleureusement par le comité de village et les autorités locales. Il s’est prêté volontiers au jeu des questions – réponses en présence d’un ancien élève qui lui a rappelé ses talents d’infirmiers. Guy Beaujard a été ensuite invité par l’association de la Zaouia de Sidi Mhand Oumalek où il a été convié à une visite guidée puis à une collation. L’instituteur s’est par ailleurs rendu dans les hauteurs d’Alger où il a été reçu par Ahmed et Mohand Saïd, fils du colonel Mohand Oulhadj qui l’avait rencontré à Moknéa alors zone interdite. Dans l’après-midi, Guy a été l’hôte de la télévision algérienne TV 4 à l’émission de Zahra Ferhati « TANALTH» en compagnie de M. Salem Hammoum scénariste du documentaire réalisé par Abdi Larbi sous la direction photo de Karim Sadi. Il a été question de son retour en Kabylie, de ses souvenirs, mais aussi de son livre « Les couleurs du temps ». Durant cette émission, il n’a pas su retenir ses larmes, versées pour dire le bonheur de son retour, mais aussi son rejet du colonialisme dont il fut la première victime, lui dont l’histoire «n’est qu’une histoire d’homme qui aime les hommes». C.K.