Dix ans après sa disparition, Kheïdine Ameyar nous revient avec la même plume tranchante et vive. Comme s’il était encore parmi nous, «Maloula» roman inachevé édité à titre posthume le 9 juin passé chez Pixal, à l’occasion de l’anniversaire de sa disparition, nous plonge dans un univers romanesque et fictif, mais pas tant que ça...
Les derniers mots de Kheirdine ont été repris à travers ce livre en guise d’épigraphe. Ainsi, fidèle à lui-même, il nous laissera les paroles d’un auteur inconnu, qui doivent être une source d’inspiration et de réflexion philosophique : « Dieu, pourquoi, y a-t-il tant de souffrance ? Ne peux-tu nous envoyé de l’aide ? –je vous ai envoyé de l’aide, je t’ai envoyé, toi l’Homme». Ces paroles qui résonnent sont en quelque sorte une introduction de ce roman inachevé. Cette épigraphe est également et malheureusement un résumé des souffrances d’un auteur journaliste en quête d’un idéal romanesque, artistique et philosophique. Le livre s’ouvre sur un chapitre qui porte le même titre que l’œuvre, Maloula. Que signifie ce mot ? La curiosité du lecteur ne tardera pas à être assouvie grâce à l’auteur, en brave journaliste fidèle à sa profession, qui nous met en bas de page : «Maloula (ou Ma’Loula) : la gorge (la fente montagneuse orientale de Mar Taqla) ou al-fajj. D’après la tradition locale, la montagne se fendit en deux pour créer un passage permettant à Mar taqla d’échapper à ses poursuivants et persécuteurs, les soldats romains. On y parle toujours l’araméen (le syriaque), langue parlée au Moyen-Orient il y a 2000 ans.» L’incipit, premier mot de l’écrit romanesque commence ici par «A la réflexion», ce qui n’est pas fortuit de la part du défunt Kheiredine, qui savait même à travers les écrits journalistes nous sortir des sentiers battus de la littérature. Puis vient l’effacement de l’auteur pour laisser place à celle du narrateur. Qui parle ? Personne ou du moins une personne indéfinie avec un «on» qui vient et qui repart. Ce dernier commence par nous raconter les péripéties d’un personnage K. : «La vie de K. changea au détour d’une route. L’axe Alep-Damas, voie d’échanges rapide et aujourd’hui ultramoderne, est l’une des grandes routes de l’Histoire…» Ce protagoniste, journaliste algérien, a entamé une mission vers la Syrie, mais avant d’arriver à la capitale Damas, sa traversée se voit bien dérouté vers un autre lieu complètement étrange Malaoula. Ainsi le lecteur connaitra des premières lignes le premier et principale personnage avec seulement l’initiale «K.» Ce qui nous fait penser systématiquement à la mort du personnage dans le nouveau roman dans les années 50 avec Alain Robbe-Grillet et de Tropismes de Nathalie Sarraute, Virginia Woolf ou encore mieux Kafka avec son Monsieur K. dans son roman Le Procès. A l’instar de ces grands écrivains Ameyar espère-t-il reproduire ou dessiner une époque, à partir de laquelle il montrera les masses et doute de la nature humaine ? Chacun sa propre lecture à vous d’en juger. De toute les manières comme le souligne Michel Butor dans son livre Répertoire, II : «Le roman est l’expression d’une société qui change; il devient bientôt celle d’une société qui a conscience de changer». Cette citation nous a été confirmée à travers Maloula où le narrateur traite différents sujets qui ont trait directement ou indirectement à la société en faisant allusion à des maux qui ne cessent de la gangrener «Sauts de puce tout au mieux, ces petites sorties ont toujours été le lot de presque tous les Algériens et restent la preuve la plus irréfutable que ces derniers, quoi qu’ils disent, ne sont pas encore parvenus à vivre correctement une séparation avec l’ancienne métropole coloniale, toujours revendiquée devant le tiers, mais jamais entièrement assumée au fond de soi.» Enfin après avoir lu ce roman, le lecteur, averti de surcroit, se trouvera bon gré malgré gris d’une certaine livresque. Chacun se remémorera, en lisant avec beaucoup de réflexions le livre de Kheïrdine, des passages de la littérature mondiale. Anis pour nous ce roman nous plonge dans un autre univers, celui de la poétique d’Aragon dans son Strophes pour se souvenir, roman inachevé qui dira :
«Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan
Un grand soleil d’hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le cœur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d’avoir un enfant»