«Une femme qui écrit vaut son pesant de poudre» a dit Kateb Yacine. Dans quelle mesure cette assertion est vraie ? Dans quelle mesure elle n’appartient pas au mythe qui veut peut-être fonder une littérature féminine algérienne ?
Si le début des femmes en écriture s’est confondu en Algérie avec le temps du militantisme qui perpétue l’image de la femme combattante et de la résistante face à l’oppression coloniale, il n’en demeure pas moins que ce début crée une proximité avec la littérature masculine en ce sens que les deux littératures se rejoignent quant au fond, puisqu’elles demeurent hantées à peu près par les mêmes thèmes.
On peut donc apprécier à sa juste valeur l’assertion katébienne quand on la remet dans le contexte de la guerre. Mais l’essentiel n’est-il pas de considérer ce moment inaugural de l’écriture féminine comme celui qui fonde la légitimité de la parole féminine ?
Il faut dire que l’individuation de la littérature féminine en tant que telle ne s’opère que tardivement. Et pourtant comme le fait remarquer le critique Jean Déjeux, c’est une femme qui, pour la première fois dans la littérature algérienne, utilise le «je». Il s’agit de Marie-Louise Amrouche (Jacinthe noire, l947). Même si les textes appartiennent au genre autobiographique, le genre privilégié pour extérioriser l’intimité du moi, ils empruntent parfois la forme de récits relatés par des personnes tierces. Ainsi en est-il d’Assia Djebar qui s’exprime à travers un "Je" masculin dans «Alouettes naïves». Pendant la période allant de 1947 à la fin des années 1980, si le nombre de femmes est en constante augmentation, beaucoup d’entre elles traitent—même si les sujets aussi se diversifient—, de problèmes sociaux, voire politiques qui datent d’avant l’indépendance. On a l’exemple de D. Debèche avec «Leila jeune fille d’Algérie» (1947) et «Aziza» (1955), d’Assia Djebar avec «La Soif «(1957), « Les Impatients» (1958), et «Les Enfants du nouveau monde» (1962) pour ne citer que ces écrivaines. Les problèmes que vit le couple occupent une large place. On y perçoit le poids de la communauté et les destins contrariés des amoureux qui ne peuvent vivre en paix avec eux-mêmes.
Par ailleurs la thématique portant sur l’immigration émerge sous la plume de romancières d’origine algérienne vivant en France. Il y est question de métissage culturel, de recherche identitaire, d’une errance due à la marginalisation, ce sont ces sujets qui accaparent l’attention de F. Belghoul ou de L. Sebbar. La guerre de Libération nationale, si elle offre l’opportunité de s’exprimer sur des sujets communs aux deux sexes, n’en constitue pas moins aussi un tremplin pour faire valoir des visions féminines personnelles et intimistes. Dans «Les jardins de cristal» (1979), N. Ghalem fait œuvre d’écrivain autopsychanalyse.
On peut s’étonner du fait que quelques écrivaines ont versé dans le polar. Il y a eu en effet 3 auteures. Assia Dridi publie «God et la trinité», Zehira Houfani «Le portrait d’un inconnu» et «Les Pirates du désert» et Wanissa Djema «Un homme trop seul, une femme trop belle». Mais d’aucuns estiment que la véritable littérature féminine algérienne n’a émergé qu’avec l’avènement de la littérature interrogative sur le corps féminin et sa libération.
Si le roman en langue arabe se relance dès 1967, il fera jonction avec le roman francophone dans sa quête du féminisme centré sur le corps. Ahlem Mostaghanemi en est la parfaite illustration.
L. G.