Ce roman, qui surfe sur quatre générations, mêle la veine fantastique des contes, au récit historique le plus concis. Il y est question d’un burnous printanier de fine laine, tissé par des esprits féminins millénaires, à travers les doigts déliés de Zaïna, jeune fille du village Tamazirt Iâalalen. Ce tissage intemporel est destiné à «Omar l’Indochine», jeune combattant des maquis d’Imaqar qui ne pourra plus le porter que dans l’au-delà.
Le roman donne la parole aux morts du cimetière de Jedi Salah, visité de plus en plus souvent par leur descendant Hachimi, fils de Omar, jeune sergent-chef de l’armée française qui, contacté par les moudjahidine de son coin natal de Timarzaguine, rejoint les maquis libérateurs après la victoire vietnamienne de Dien Bien Phû. Une bataille historique à laquelle il a survécu par miracle. Devenu résistant à son tour, il est fauché par un hélicoptère de l’armée française avec huit de ses compagnons dans le mausolée de Sidi Ali Ou Thaïr, région où il a été muté pour des raisons disciplinaires. Le beau sergent chef, aux galons étincelants, est enseveli dans une fosse commune et dialogue avec ses ascendants de Jedi Salah, alors que son fils, qu’il n’a pas vu naître, s’essaye à débrouiller l’écheveau compliqué de ses amours. Vaillant combattant, le jeune martyr a toujours été, selon son propre père Mohand Saïd Azraraq, «une tête brûlée». Une sorte d’être d’exception dérogeant au modèle villageois le plus courant. Ainsi, il n’hésite pas à construire, en prévision du retour de son père, vieil émigré des aciéries de Charenton, une villa moderne à étages qui scandalise les habitants du village et attire les malédictions des ancêtres. Le jeune homme rêve au retour de ce père qui se reposera devant la cheminée, bien au chaud au cœur des nuits d’hiver. Mais enfin au pays, le vieil ouvrier, qui a travaillé en France sans protection spéciale, perd la vue et a les poumons rongés. Il ne rentre que pour mourir et ne peut profiter de la nouvelle maison que son fils lui a bâtie. L’auteur décrit de manière poignante la honte du vieil émigré qui perd peu à peu la vue au lieu de rentrer triomphant au village natal. Pendant que Tamzat, esprit féminin des métiers à tisser, et Tazazaïrt, sorte d’ogresse à la fois protectrice et maléfique, guide les doigts de la belle Zaïna sur le métier à tisser, un autre tissage s’effectue. Celui de l’histoire. Hachimi, dernier maillon de la filiation, s’acharne à reconstituer la vie de son père. Dans sa complexité dérangeante, quitte à troubler le sommeil des ancêtres, et non à travers le prisme des idéologies étriquées qui font rage depuis l’indépendance. L’ouvrage où parlent plusieurs voix avance grâce à ces tissages parallèles, d’une destinée individuelle et de celle d’un vieux peuple montagnard, attaché à ses traditions et que le malheur visite assidûment. Avec les incursions à Djebel Ouak Ouak (le Vietnam) qui rythment le récit, le roman se dote d’un prolongement international qui montre le hideux visage de la France colonialiste. Son autre visage, tout aussi hideux, est celui de l’exil et de l’exploitation effrénée des ouvriers kabyles réduits à quitter leur terre. L’écriture, volontiers humoristique, tisse, elle, des liens entre Ath Lakhart (ceux de l’au-delà) et le lecteur, dans un présent de la complexité humaine. Un roman à la lecture goûteuse et qui ouvre des pistes nouvelles à l’écriture et à la réflexion.