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«Le Jour dernier» de Racha Al-Ameer
Dans la plus belle des langues
10 Décembre 2009

Liés par l’ admiration qu’ils partagent pour le grand poète arabe Ahmad El-Moutanabbi, un imam et une jeune intellectuelle se découvrent peu à peu. Autour d’eux, une société tourmentée où l’intégrisme avance conquête après conquête. La déclaration du caractère licite du sang de l’imam qui perd le contrôle de sa mosquée investie par de nouvelles générations de guerriers fanatiques met un terme provisoire à ce tête-à-tête édenique où Eve est à la fois l’amie et l’éducatrice de celui qu’elle guide et protège.

Yaoum eddin, le premier roman de Racha Al-Ameer, qui est également la co-fondatrice de la maison d’édition libanaise Dar-El-Jadeed est écrit dans une langue arabe précieuse traduite en français par Youssef Seddik. Le personnage principal en est le poète Ahmed Al-Moutanabbi qui a profondément transformé la langue arabe en son temps. L’écriture de Racha Al-Ameer en restitue le raffinement des expressions et des tournures qui mettent en valeur la profondeur du propos. L’écrivain semble se délecter faisant flotter les deux protagonistes dans le bain linguistique du maître des mots. «La beauté sauvera le monde» semble dire l’auteure face à la guerre qui avance avec son œuvre de destruction. Le narrateur en est le héros qui se décide, dans les affres de la séparation, à écrire un livre sur ce qu’il vient de vivre, lui l’imam étranger d’une mosquée de banlieue misérable. Toute la complexité d’une relation humaine avec une citadine raffinée et hautement cultivée. «Chaque fois que je te comparais aux autres femmes, malgré la connaissance limitée que j’en avais, quelque chose en toi me faisait retrouver un peu de bon sens, m’avertissant que tu devais être d’un genre précieux et rare», écrit-il. C’est parce qu’elle fait partie d’une association culturelle qui a décidé de travailler sur Al-Moutanabbi que la jeune femme met un foulard sur ses cheveux et se présente un jour à la «mosquée des exilés». Chargée d’établir un index sur le poète, elle demande l’aide de l’imam qui, immédiatement captivé, lui répond oui. L’arrivée de la jeune férue de culture dans la vie de l’imam quadragénaire chamboule sa vie de fond en comble. Dans cette plongée commune dans l’art d’Al-Moutanabbi, il découvre la finesse et la cérébralité féminines, mais également un esprit ouvert et un cœur généreux qui immédiatement se chargent de le guider vers des rivages inconnus. Elle lui apprend aussi bien à s’habiller qu’à produire un show télévisé sur la pratique de la religion qui fait de lui une vedette admirée. «Au fond de la nuit, voilà que Moutanabbi est devenu mon chemin dérobé vers chez toi, un rendez-vous d’abord hebdomadaire qui s’est étendu à toutes les occasions possibles. Tout au long des semaines où nous nous sommes rencontrés cinq jours sur sept, de sept heures du soir à l’aube, nous n’avons jamais rompu le pacte qui nous liait à Moutanabbi et nous n’avons presque jamais reporté au lendemain le poème du jour.» Dans le récit passionnant de l’imam, à part le célèbre poète, nul n’est nommé. Ni les gens, ni les lieux. Dans un pays arabe sans nom, lui le réfugié, l’étranger sans nom est pris en charge par une haute personnalité politique et religieuse qu’il nomme simplement «l’ange gardien». Quant à la fin de son cursus universitaire théologique, son ange gardien qui a été son professeur lui propose l’imamat à la mosquée des exilés, il ne peut refuser. Une vie monotone commence alors, bouleversée par la rencontre avec la citadine lettrée et la montée d’une idéologie raz-de-marée. Une dé-diabolisation de la femme s’opère page après page. Condamnée à mort en tant qu’imam du pouvoir et isolé dans une caserne par mesure de protection, c’est encore cette femme si intelligente et lucide qui le tirera de là, alors qu’il pense ne jamais la revoir et porte déjà le deuil de leur union. Original dans son contexte et dans sa forme, le roman de Racha Al-Ameer, met au devant de la scène une «très sage Héloïse» moderne liée à un homme de culte par des sentiments d’une grande pureté. Il abat des frontières invisibles et des barricades érigées par le dogme fossilisé et inhumain. Il accorde le droit de vivre la foi en accord avec la richesse de la création. Il ouvre ainsi une fenêtre sur une religion vivante que d’aucuns voudraient transformer en idéologie mortifère.

Le Jour dernier, éditions Sindbad, Actes sud 2009 ; Dar-El-jadeed, 2002. 254 pages.

Par : Karimène Toubbiya

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