Rasha Al-Ameer, rencontrée récemment à Alger où elle a séjourné quelques jours, est une jeune auteure et éditrice libanaise. Son premier roman, «Le Jour dernier», publié en arabe, en 2002 a été traduit en français par Youssef Seddik et vient d’être publié aux éditions Sindbad, Actes Sud. Ayant séjourné en France plus d’une décennie, Rasha y a poursuivi des études d’histoire puis d’arts plastiques. Elle a été journaliste pour An-Nahar international et Al-Watan al-Arabi. Elle a suivi un cursus d’arabe classique et islamique auprès d’un imam puis fondé avec son frère la maison d’édition Dar El-Jadeed. Dar El-jadeed a publié des romanciers, des poètes, des essayistes et même des théologiens d’horizons divers. Ahmad Beydoun, Hassan Daoud, Abbas Beydoun, Mohammad Khatami et Mahmoud Darwish figurent dans le catalogue de la maison d’édition. «Comment redonner aux gens le goût de lire ? Comment les convaincre que lire est un trésor ?" se demande la jeune femme dont le premier roman a bénéficié d’une excellente presse. Contactée par nos soins, dans la foulée du Salon international du livre d’Alger et à la veille de celui de Beyrouth, la jeune artiste explique comment elle assure et assume sa double casquette d’auteure et d’éditrice.
Midi Libre : Menacé de mort, un imam âgé d’une quarantaine d’années épanche son cœur en une confession sans fard adressée à celle qu’il aime. Voici en quelques mots la trame de votre roman «Le Jour Dernier. Confessions d’un imam» qui vient de paraître traduit de l’arabe aux éditions Sindbad, Actes Sud. Dans laquelle des deux langues souhaiteriez- vous que vos lecteurs éventuels vous lisent ?
Rasha El-Ameer : Votre question n’a rien de frivole. Nous ne lisons que dans les langues que nous maîtrisons, celles qui nous semblent confortables et rassurantes. Mes amis francophones n’ont lu le livre qu’une fois traduit ; car comme nous ne le savons que trop, en Algérie et au Liban, l’enseignement de la langue arabe est souvent lacunaire dans nos deux pays. En parlant des langues, je voudrais envoyer une immense gerbe de roses rouges et blanches à mon traducteur Youssef Seddik et à mon éditeur Farouk Mardam Bey. Le livre paru en français leur doit beaucoup. Ils ont tous les deux cru en ce projet titanesque auquel ils ont consacré temps, passions et talent. Au Liban, arabophones, francophones et anglophones se côtoient et tentent de coexister, ce n’est pas souvent aisé bien au contraire. L’enchevêtrement des langues dans nos pays est souvent pathétique et c’est le sujet de mon prochain roman.
En évoquant les langues et votre langue en particulier, votre éditeur en quatrième de couverture parle de votre langue «classique d’une rare beauté». Cette langue semble coïncider avec votre personnage, l’Imam, qui maîtrise parfaitement la langue du Coran. Mais si vous deviez écrire le roman d’un homme ordinaire que feriez-vous ?
Je me pose souvent cette question et je n’aurais aucun mal à dépasser ou détourner le classicisme en m’accrochant à la deuxième partie de la phrase de mon éditeur. Lire et écrire sont pour moi de beaux gestes qui relient par un fil magique deux solitudes qui cherchent à se toucher.
Mes lecteurs, ceux qui vivent dans l’intimité de ma syntaxe, sont des hommes et des femmes qui me sont chers et qui connaissent et apprécient mes références classiques. Les lecteurs et lectrices qui connaissent le Coran et la poésie d’Ahmad al Mutannabi se sont délectés en lisant le Jour dernier en arabe. Les autres, ceux qui choisissent de lire pour combler leur temp mort ou qui avaient ouïe dire que le livre traite de sujets épineux, n’ont pas pu aller jusqu’au bout de l’exercice. Enfin, la langue du Jour dernier a suscité une vive polémique qui en cachait en fait une autre. Nul n’a voulu ou oser discuter des vrais sujets que soulève le roman.
Le Jour Dernier, c’est aussi, un hymne à l’amour. L’héroïne du livre joue un rôle essentiel c’est elle qui refait en quelque sorte l’éducation sentimentale de l’Imam. Oui Le jour dernier est un livre amoureux. C’est l’amour qui sauvera à la fin du livre mes deux personnages. Ce roman, sombre, tortueux et dramatique se termine sur une note lumineuse. Pourquoi pas, je ne suis pas une adepte du désespoir et de la mort qui nous hante.
Vous êtes arrivée à l’écriture tout en étant éditrice. Dar al Jadeed, la maison que vous co-dirigez, a un très beau catalogue. Que pensez-vous de la scène éditoriale dans le monde arabe ?
Je crois que le livre n’est pas une priorité dans le monde arabe si nous mettons de côté les livres scolaires et ceux que les diverses propagandes cherchent à diffuser. Les éditeurs qui méritent ce nom, ceux qui produisent des livres, qui cherchent à toucher l’intelligence de leurs lectorat luttent pour survivre dans une jungle sans foi ni lois. Les basiques de la production de livres ne sont pas respectés dans cette partie du monde. Mon cahier de doléances est bien long : piratage, censure et très mauvaise qualité, pour ne citer que ces trois fléaux. Ensuite, viennent les problèmes immenses de la diffusion, du transport des taxes, etc. N’empêche, les aventuriers continuent à croire que faire des livres c’est primordial. Ils mériteraient d’être défendus par des lois et par un réseau de librairies et de bibliothèques qui les feraient prospérer.Les livres de Dar al Jadeed n’ont jamais vraiment bien voyagé dans le monde arabe. Mais ce qui serait intéressant pour économiser les frais de fret serait de faire des coéditions et c’est ce que nous venons de démarrer avec la maison d’édition Barzakh. Le roman de l’Irakienne Inaam Kachachi, Al-Hafida Al Amérikia, est disponible en Algérie grâce a cette entente qui vient juste de démarrer. Dar al Jadeed est fier de son catalogue et de ses auteurs. Nous allons continuer à réfléchir sur la place du livre et de l’écrit dans nos vies qui ont été bouleversés par la révolution technologique.
Le livre électronique, la téléphonie mobile, le retour de l’oralité sont un vrai défi pour l’auteur et l’éditeur que je suis.Dar al Jadeed avant d’être un laboratoire qui produit des livres est une idée. Dar al Jadeed a beaucoup d’idées et nous allons tenter de les mettre à exécution avec tous nos partenaires et lecteurs.
Vous êtes des deux côtés du miroir, vous écrivez et vous éditez ; n’est-ce pas difficile ?
C’est plutôt amusant de jouer deux rôles à la fois. C’est tout à fait ce que fait un bon romancier : se mettre à la place des autres, de tous les autres, de l’éditeur, du directeur artistique de l’attaché de presse, du libraire et du consommateur. Le métier que pratique un bon éditeur est un métier créatif, chose que les auteurs ne veulent souvent pas admettre.
Beyrouth lit-elle des auteurs algériens ?
Oui, les stars de la littérature algérienne arabophone sont éditées à Beyrouth, quant aux auteurs francophones, ils sont souvent invités au Salon du livre français. Beyrouth est une ville qui accueille tout ce qui est en vogue et qui consomme, comme toutes les villes, ce que les machines médiatiques lui proposent. Cela dit, le chemin sera long avant que nous puissions abattre les barricades qui encerclent nos vies et qui nous empêchent de communiquer de ville en ville.
Beyrouth a été choisie cette année par l’Unesco comme Capitale mondiale du livre. Croyez-vous en ce genre d’initiatives ?
Pas vraiment. J’observe de là où je suis les activités festives qui tournent autour de ce projet qui prend des allures de kermesse. Tant que la bibliothèque nationale pillée et brûlée tout au début de la guerre civile n’aura pas ré-ouvert ses portes, tant que le système ISBM et le dépôt légal ne seront pas respectés, tant que nous ne sommes pas d’accord, nous les Libanais, sur notre livre d’histoire, tant que les acteurs des guerres civiles seront en politique, cette année sera juste de la poudre aux yeux.