Boris Vian était fou de jazz. Et c’est par le jazz que ses textes ont été illustrés dimanche soir au CCF d’Alger. La pianiste Carine Bonnefoy, le saxophoniste Adrien Lajoumard et les comédiens Simone Hérault et Alexandre Lachault se sont accordés pour ressusciter le temps d’une soirée, le souffle ébouriffant des textes de Vian.
Intitulé «L’écume des mots», le spectacle textes et musique de dimanche soir a littéralement ravi le public. Dans la magie noire et rouge du jazz, Simone Hérault, et Alexandre Lachaux, rompus aux lectures sur les places publiques, se sont donné la réplique sur des extraits du roman L’écume des jours et autres textes célèbres de l’auteur. Clôturant le spectacle, une lettre de Jacques Prévert au poète mort a beaucoup ému. Accompagnant les textes ou jouant en solo, les musiciens ont interprété les morceaux que Boris Vian lui-même jouait et citait abondamment dans ses écrits. Notamment Chloé, célèbre morceau de Duke Ellington (1899/1974) dont le nom est porté par l’héroïne principale de L’Ecume des jours, épouse de Colin. Avec humour et brio, les deux comédiens ont donné vie à ce Colin qui se regarde le matin dans un miroir grossissant pour que ses comédons pris de honte se rétractent et qui se taille les paupières en biseau pour avoir un regard mystérieux. Le récit des noces de Colin et Chloé à l’église, avec «le bedon» et «le Chouiche» a fait hurler de rire. Le public a longuement applaudi le célèbre poème anti-colonialiste Le Déserteur , écrite en 1954, à la fin de la guerre du Vietnam et juste avant la Guerre d’Algérie. Cette chanson interdite sur les ondes à sa sortie, Alexandre Lachaux en a fait une lecture touchante et sincère. «Il n’est pas malheureux, il a de la peine» a déclaré Simone Hérault donnant sa voix à la petite souris amie de Colin qui s’apprête à se suicider tant le désespoir de ce dernier lui est insupportable. Et pour cause, Chloé se meurt d’un nénuphar dans les poumons. «Cela ne présente aucun intérêt» lui a rétorqué le comédien campant le chat qui par amitié pour la petite souris, accepte de la décapiter à condition qu’elle introduise sa tête entre ses mâchoires et que quelqu’un à ce moment-là lui marche sur la queue. Terriblement caustique la lecture du texte sur le communiqué de presse de la Radio- Télévision française pour annoncer la disparition de l’auteur de J’irai cracher sur vos tombes a déclenché des applaudissements nourris. Adrien Lajoumard et Catherine Bonnefoy ont répondu au Bis des spectateurs en les gratifiant d’un rab de swing et d’envoûtement. «Le soleil dépliait lentement ses rayons et les hasardait, avec précaution, dans des endroits qu’il ne pouvait atteindre directement, les recourbant à angles arrondis et onctueux, mais se heurtait à des choses très noires et les retirait très vite, d’un mouvement nerveux et précis de poulpe doré.», écrit Vian dans L’écume des jours. Le poulpe noir l’emporte le 23 juin 1959, à l’âge de 39 ans, alors qu’il assiste à la première du film adapté de son roman J’irai cracher sur vos tombes. Film dont il voulait faire retirer son nom du générique. Ingénieur, musicien, chanteur, poète et écrivain, Boris Vian laisse une œuvre considérable, redécouverte dans les années 60 et 70, dont se sont fortement inspirées les générations qui ont fait 68. Sous différents pseudonymes dont Bison Ravi, il a écrit onze romans, quatre recueils de poèmes, plusieurs pièces de théâtre, des nouvelles, de nombreuses chroniques musicales dans le magazine Jazz Hot, des scénarios de films, des centaines de chansons. Avec un style profondément original dont la légèreté des trouvailles formelles et la richesse des images mettent en valeur la profondeur du propos. «Pauvre Boris, tu vois rien n’a vraiment changé depuis que tu nous a quitté…» chante pourtant Jean Ferrat des décennies plus tard.