Depuis une semaine le ciné-club Chrysalide a repris ses projections hebdomadaires. Il débute sa saison avec un cycle consacré à un des genres cinématographiques les plus difficiles, le road-movie. "Macadam à deux voies" de Monte Hellman a été projeté vendredi à la filmathèque Ibn-Zeydoun de l’Oref et a été chaudement commenté par le public. Echec commercial à sa sortie en 1971, c’est avec "L’ouragan de la vengeance" et "The shooting" l’un des trois films cultes de Monte Hellman que ce réalisateur maudit de Hollywood est redécouvert et célébré au festival de Cannes 2005. "Two Lane Blacktop" est un chef-d’œuvre qui a inspiré et inspire encore nombre de cinéastes.
«C’est pour porter le deuil de ma vie» a répondu Monte Hellman, à un journaliste qui lui demandait la raison qui le pousse à filmer. Et l’on pourrait dire que tout au long du film Macadam à deux voies, cette ambiance de deuil est palpable. Dans l’expression figée des acteurs, leur anonymat, la tristesse des trombes de pluie incessantes qui comme une sorte de vide existentiel, noient tout. A bord d’une Chevy Frankenstein, datant de 1955 mais trafiquée de toutes pièces pour devenir un redoutable bolide, deux jeunes coureurs automobiles, traversent les Etats-Unis d’ouest en est, tout en défiant les riverains de rencontre sur des circuits locaux. En quête de « La course » qui leur fera gagner assez d’argent pour opérer un tournant dans leur existence, ils survivent de cette manière, comme grisés par la route et par la vitesse. Démarrant de Needles en Californie, ils acceptent la compagnie d’une jeune fille mystérieuse et fantasque qui dit se rendre également vers l’est. Ils rencontrent enfin, un autre mordu de courses, au volant d’une Pontiac GTO dernier cri. Ce quinqua bien peigné que l’on découvre mythomane et alcoolique s’embarque seul dans la compétition. En route il embarque des auto-stoppeurs de toutes sortes, véritable échantillonnage de l’ Américain moyen. Sans nom pour les désigner, les protagonistes ne sont que le «conducteur», le «mécano», le GTO et «la fille». Campés par James Taylor, Warren Oates, Laurie Bird et Dennis Wilson , emportés par une sorte de morne spirale le long de la fameuse Route 66, les jeunes héros de cette aventure sans fin ne parlent que peu. Lorsque le GTO, très bavard, s’essaie à un début de confidences sur sa vie ratée de bout en bout, le conducteur de la Chevrolet lui cloue le bec par un péremptoire « ce n’est pas mon problème». Pourtant sur ce chemin de mort, l’amour rôde également, et la jeune fille devient objet de rivalité. Excédée par les deux conducteurs qui lui proposent tous les deux de l’emmener en Floride à la plage, quand tout sera fini, elle finit par prendre son sac et partir sans un mot avec un adolescent motocycliste. Avec peu de dialogues, de longs silences, des plans longs et plus de choses suggérées que montrées, le film laisse la part belle aux paysages et aux villes américaines traversées. Les petits-déjeuners pris à l’aube, les toilettes dont on cherche la clef, les pompes à essence et les motels sont les incontournables relais pour ceux pour qui la route est devenue une drogue et une raison de vivre. « Il faut que j’arrête sinon je vais finir sur orbite » déclare le GTO à la jeune fille à laquelle il propose une vie rangée, dans une petite maison de campagne qu’il construirait pour elle. En orbite ils semblent tous l’être, emportés qu’ils sont par un irrésistible mouvement perpétuel. Les voitures dévorent les kilomètres et traversent les petits patelins ensommeillés de Californie, Arizona, Nouveau-Mexique, Oklahoma, Arkansas et Tennessee. Le film s’arrête bien avant l’ultime étape qu’est Washington D-C. Accident, mort ? Les dernières images laissent tout supposer. Seule demeure l’énorme émotion du spectateur devant ces tranches d’existence navrantes comme la vie. La Route 66 et les coureurs qui l’empruntent semble être une métaphore de la destinée humaine. Né en 1932, Monte Hellman est l’auteur de films puissants qu’il taxe de schizophréniques. Considéré comme un auteur hermétique, il est peu concerné par Hollywood et ses succès commerciaux. Lui-même s’avoue «partagé entre l’intérêt pour le sujet qu’il traite» et le désir de « sortir de cette prison pour atteindre quelque chose d’autre».