Le Midi Libre - Culture - Entre totems et tabous, la «véhémence algérienne»
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Exposition «Mesli l’Africain» au Musée des arts modernes
Entre totems et tabous, la «véhémence algérienne»
1 Août 2009

Par ces températures caniculaires, entre shopping et crème glacée, le MAMA de la rue Larbi Ben-Mhidi, constitue, avec ses expositions chatoyantes, la halte idéale pour les adultes et enfants en balade estivale. Car si le Panaf a fermé ses portes, les expos sont encore là pour nous dire le talent des plasticiens et autres photographes du continent.

Dans ce temple à l’art moderne consacré, l’espace est actuellement habité par deux expositions. L’une du peintre algérien Choukri Mesli , intitulée «Mesli l’Africain» et l’autre, d’un ensemble de photographes du continent , intitulée «Reflets d’Afrique». Nous avons commencé notre visite par les étages inférieurs, dédiés à l’art éclatant d’africanité de l’enfant du groupe Aouchem créé en 1967. Si la formation académique européenne qu’il a reçue de 1954 à 1960 à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, a tenté de lui inculquer, dixit Maurice Estève, la règle du «un jaune chante au voisinage du bleu et hurle à proximité d’un rose», les toiles de Mesli sont la preuve de sa résistance face à tout diktat esthétique. En effet, c’est un déferlement de couleurs d’une vivacité toute berbère qui transportent d’emblée le visiteur. C’est là, selon les mots par lesquels il se définit lui-même, toute «la véhémence algérienne». Une petite fraction de la rage de couleurs et de formes qui caractérisent un continent où l’art plastique règne également en maître. Après des peintures datant des années 50 et qui transmettent la mort et le deuil viennent celles des années 80, dédiées aux ancêtres et aux totems. Une explosion de la couleur et de la forme. Puis celles des années 90, un infini de corps féminins noyés dans une brume de bronze et d’or.
Bombes et hurlements sur toile
«Le Christ hurlant sous vos bombes», datant de 1951, représente un jeune homme barbu aux longs cheveux sombres, vêtu de vêtements couleur de tempêtes, la bouche ouverte sur un cri inaudible ; les yeux rouges. Derrière lui, des corps, des armes, un chaos sanglant grassement souligné de noir.
Ce tableau semble prophétique au regard de ce qui a suivi. Pareillement dans les toiles, «Sétif» et «Sakiet Sidi-Youcef», datées d’avant 1962, les cadavres s’allongent, entremêlés dans la mort, sur le bitume ou les ruines d’un logis détruit. Le noir, le marine, le vert sombre contrarient le blanc spcctral et le vert laiteux comme annonciateur de lieux plus pacifiques pour la jeune femme massacrée de Sakiet Sidi Youssef. Dans les toiles des années 80, les femmes sont là, dessinées comme celles des gravures rupestres du Tassili. Des losanges, des triangles, des damiers, des corps en mouvement semblent déjà esquisser les danses et les rythmes des corps en mouvement des années 90. «Ancêtres» et «Procession des ancêtres» sont des tableaux qui évoquent un univers saharien et guerrier, par la puissances des lignes géométriques qui captent l’œil et les couleurs qui l’éclaboussent et le comblent. Les verts, les bleus et les rouges sont toujours soulignés de noir. Mais d’un noir à la fois festif et agressif comme des lances guerrières, des boucliers ou des roues. C’est dans un monde de forteresses, de mosaïques, de flots et de cieux déchaînés que l’œil se noie avec délice. La «Procession des ancêtres» est un patchwork étincelant où s’agitent déjà le «Z» des Imazighen. Des chevaux encore, des guerriers, des femmes en rondeurs spiralées, les mille et un signes des tapis maghrébins…Un monde fier; gorgé de signes et de sens. «Choukri nous transmettait son énergie et sa rigueur. Il nous poussait à aller au-delà du réel, nous intimant à ce qui le constituait en propre déjà : les rites, les traces, les symboles du continent africain», témoigne Rachid Koraïchi à ce propos dans le catalogue de l’exposition.
Des femmes-luths et des femmes-amphores en mouvements
Ce signe gorgé d’un sens immédiatement capté, happé ; saisi au vol par le regard, est ce qui caractérise le travail de l’artiste tlemcenien. «Le signe magique a manifesté le maintien d’une culture populaire, en laquelle s’est longtemps incarné l’espoir de la nation, même si par la suite une certaine décadence de ses formes s’est produite sous des influences étrangères. Ainsi de tous temps, à travers les œuvres des artistes-artisans une rigueur intellectuelle, caractéristique de notre civilisation, du Nord au Sud, s’est maintenue, exprimée notamment dans des compositions géométriques», peut-on également lire dans le «Manifeste» du groupe Aouchem adopté et publié en 1967 à la naissance du rassemblement dont Mesli faisait partie.Ces formes géométriques, qui persistent dans les tableaux des années 90, deviennent un écrin pour les corps féminins qui littéralement y explosent. Femmes-luth et femmes-amphores, toujours soulignées d’un noir qui a complètement changé de rôle depuis les années 50.
Au bain, dansant pour l’artiste ou couvertes d’arabesques de henné, la technique qui les représentent évoquent irrésistiblement autant la terre cuite que l’or vieilli des musées de la Préhistoire. A la fois massives et souples, ces femmes dorées se détachent et se juxtaposent sur des fonds saturés de signes. Dans «Splendeur africaine», la femme assise sur un talon et les bras relevés semblent autant poser que se reposer. Le tableau emprunte aux tons des peintures rupestres. Les dessins géométriques aux couleurs vibrantes s’y font bordure.
Mesli vit et travaille en France depuis 1994, année de l’assassinat de Ahmed Asselah, directeur de l’Ecole des Beaux-arts d’Alger et de son fils Rabah. Il est le président d’honneur de la Fondation créée par Anissa Asselah à leur mémoire.

Par : Karimène Toubbiya

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