L’espace Nôun abrite jusqu’à la fin de l’année une exposition de photographie émouvante qui touche au quotidien des hommes en général et de leurs conditions en particulier, tel que l’avait décrit, sans aucun doute, l’un des plus célèbres écrivains du XXe siècle, André Malraux.
A travers leurs regards contemporains, Kays Djilali et Anaïs Pachabezian proposent, grâce à leur exposition commune intitulée «des hommes et des frontières», de suivre le quotidien d‘hommes et de femmes d‘Afrique qui ont quitté leur pays à la recherche d‘une vie meilleure. Ils ont tous franchi plusieurs frontières et parcouru des milliers de kilomètres pour arriver là où ils sont aujourd‘hui. D‘autres frontières se dressent devant eux. Ils ont tous l‘espoir de les franchir un jour. En attendant, ils survivent dans des squats ou des abris de fortune. Entre peur, attente et solitude, ils se cachent des autorités locales.
Ils sont des dizaines de milliers à avoir voulu tenter leur chance, en quête de bonheur, d‘un idéal, et avec des fortunes diverses. Si certains réussissent à passer, bravant des dangers et surmontant des obstacles de plus en plus nombreux, la majorité reste souvent aux portes de l‘Europe, mais aussi aux portes des sociétés et des pays qu‘ils traversent, où beaucoup les considèrent comme des parias, des indésirables, quand ils ne les exploitent pas. Certains restent des années sur la route, errant dans des contrées parfois hostiles et violentes. Avec l‘espoir secret mais tenace de passer un jour. Ceux-là ont souvent tout perdu en route. Ils ne peuvent plus avancer, ni reculer, et doivent survivre coûte que coûte. Rester est là aussi difficile qu‘un retour au pays, forcé ou volontaire, les mains vides. Cette situation dramatique est désormais visible, parfois spectaculaire. D‘Algérie et du Maroc, les harragas, ces «brûleurs de frontières», prennent le boti ou la flouka. Ailleurs, c‘est la pirogue, le cayuco, les pateras, les mêmes embarcations de fortune pour les mêmes rêves et souvent les mêmes destins tragiques. Car certains n‘en reviennent pas, ou passent des mois enfermés avant d‘être renvoyés dans leurs pays. Là encore, des fortunes diverses, des destins qui se fondent dans la masse des chiffres : plus de 10.000 morts ou disparus depuis une dizaine d‘années dans les eaux méditerranéennes et le désert du Sahara. Des dizaines de milliers de refoulés du Maghreb vers l‘Afrique subsaharienne. Des milliers de migrants interceptés en mer, arrêtés sur la route, refoulés ou internés dans des centres. Des rêves brisés. Mais celui qui part, celui qui «sort» n‘est pas qu‘un rêveur, il aspire à une vie meilleure, pour lui-même, pour les membres de sa famille, qui fondent souvent de profonds espoirs pour la réussite du projet, un projet commun, partagé.C‘est pour plusieurs jeunes dans le monde qui sont au bord de la dérive que cette exposition a été conçue. Pour leur rendre leur dignité. Pour que les droits humains soient respectés. Mais également pour tenter de changer le regard qui est porté sur ces hommes, ces femmes et ces familles vivant dans l‘ombre et qui cherchent tout simplement à améliorer leurs conditions de vie.
Bio Express
l Kays Djilali est un photographe algérien et cadreur. Il collabore depuis une vingtaine d’années à divers magazines et à l’illustration de livres d’art. En 2006, il a co-réalisé un documentaire, Le Piège, qui jette un éclairage cru sur les destins croisés de subsahariens irréguliers au Maghreb. Entre 2006 et 2008, Kays Djilali a rencontré des migrants d’horizons divers dans les faubourgs de Bamako ou de Casablanca, dans des no man’s land de Tamanrasset ou des ghettos d’Alger, dans les banlieues de Paris ou de Madrid. Les photographies qu’il présente ici sont autant d’instants de vie : des portraits dépouillés qui saisissent les fragments d’un quotidien souvent tourmenté et impitoyable. Des personnes croisées au hasard des villes et des chemins, et qui ont toutes en commun d’avoir, un jour, tenté «l’aventure».
l Quant à Anaïs Pachabézian, c’est une jeune photographe française qui parcourt l’Afrique de l’Ouest depuis plusieurs années. En 2006, son premier grand reportage sur l’émigration entre la France et le Mali a été récompensé lors du Festival International du Scoop et du Journalisme d’Angers. Depuis, elle poursuit son travail autour du thème de la migration. À l’automne 2007, elle s’est rendue au Maroc et en Mauritanie pour aller à la rencontre des migrants originaires d’Afrique Centrale et de l’Ouest. Fuyant la répression, la guerre ou la pauvreté, ces «voyageurs» en route pour l’Europe se retrouvent en transit dans les pays du Maghreb, malgré eux. A travers des portraits, elle montre de manière très sensible ces lieux, ces hommes et ces femmes en quête d’une vie meilleure.