Encore une Palestinienne au verbe bulldozer et qui plonge sa plume dans l’acide chlorhydrique ! Dans son dernier roman « Un printemps très chaud » cette native de Naplouse ne ménage rien ni personne. S’attaquant aux dirigeants politiques corrompus, aux arrivistes, au machisme néo-patriarcal et aux collabos de tout poil, la plume de Sahar Khalifa déblaye le terrain pour mieux construire une société tournée vers l’avenir.
«La patrie est pénible … la guerre, les ruines. Celui qui habite la patrie, comme nous, sait combien nous l’aimons et la haïssons à la fois. Je hais l’ignorance, les esprits bornés, les régimes au pouvoir, je hais le fait d’être assiégée au sein de la famille. Je déteste le regard que la société porte sur moi en tant que femme, c’est-à-dire créature faible et épuisée, je déteste les lois civiles et les législations. Je hais tout cela et je ne peux pas le changer. Mais j’aime mon pays. J’aime les gens, la nature, l’ancienne Naplouse ravagée aujourd’hui par les Israéliens, son architecture et ses voûtes, j’aime aller à Jérusalem et regarder de loin le magnifique dôme au moment du coucher du soleil. Croiser au lever du jour les paysans, chargeant leurs montures de figues et de lait… »
Exprimant la complexité des problèmes que se pose la Palestine aujourd’hui, Sahar Khalifa vaut sûrement « son pesant de poudre » ! L’écrivaine est née à Naplouse en 1942. Mariée en 1959 juste après ses années lycée, elle divorce 13 ans plus tard. Elle est mère de deux filles et a vécu dans différents lieux, notamment entre Amman et Naplouse. Comme pour nombre de ses compatriotes, ses travaux d’écriture débutent après 1967 lors de l’invasion israélienne de Ghaza. Ses toutes premières publications datent de 1974. Après ses études secondaires, elle poursuit un cursus à Amman où elle s’inscrit au « Rosary College » en 1959. Après son divorce, elle enseigne et poursuit des études en littérature anglaise à l’université de Bir-Zeït en Palestine occupée. Elle étudie ensuite aux Etats-Unis en Caroline du Nord et en Iowa. Un PH.D en « Women’s studies » (doctorat sur la question féminine ), couronne ses études en 1988. Elle retourne alors en Palestine et fonde le Centre des études féminines dans sa ville natale. Ce centre se dote de ramifications à Ghaza en 1991 et à Amman en 1994. Considérée comme la première romancière palestinienne, son œuvre plaide pour les femmes et inscrit l’émancipation générale de sa société dans le cadre politique de la libération du peuple palestinien. Ses romans et essais ont été traduits en plusieurs langues. En langue française, les lecteurs ont découvert son talent explosif à travers six œuvres à l’intitulé imagé : Al-Subbâr, 1976, traduit en français en 1978 par "Chronique du figuier barbare" Abbâd al-Chams, 1980 : "La foi des tournesols",1989 ; Bâb al-Sâha, 1990 : "L’impasse de Bab Essaha" 1997 ; Al-Mirâth, 1997 :"L’héritage" ; Soura wa Ayqûna wa ’Ahdun qadîm, 2002, "Une image, une icone et un ancien testament" et Rabî’ hâr, 2004 : «Un printemps très chaud », 2008. Dans son roman «Chronique du figuier barbare» l’auteure rend compte, à travers le regard d’un jeune Palestinien de retour dans sa famille, de la vie quotidienne en Palestine occupée. Le héros est pris dans la complexité de leurs problèmes. Puis dans « La foi des tournesols », cette histoire familiale se poursuit. Décidément écrivain de la complexité, Sahar Khalifa y aborde la condition féminine. A travers les luttes pour l’égalité d’une jeune journaliste et celles d’une paysanne veuve et mère de famille nombreuse, l’auteure exprime la difficulté d’être femme en Palestine dans ce monde que nous connaissons. Dans «l’Impasse de Bab Essaha» dont l’action se déroule en Cisjordanie, plusieurs personnages féminins se confient leurs craintes, leurs difficultés, leurs espoirs.Elle sont souvent reléguées leur vie entière au rôle de « bonne sans salaire » selon les paroles que l’auteure met dans la bouche de l’une de ses héroïnes. Dans un contexte typiquement colonialiste rythmé par les descentes de l’armée israélienne avec les ratissages, les fusillades, les morts et la destruction de maisons, les garçons gagnent les montagnes pour se cacher entre deux attaques contre les soldats israéliens. Telle est la vie dans un quartier transformé en impasse par un mur….L’auteure obtient de nombreuses récompenses dont : le Prix Alberto Moravia de fiction étrangère (Rome) en 1996,Qasim Amin de littérature féminine en 1999,Naguib Mahfouz (décerné par l’Université Américaine du Caire) en décembre 2006 pour "Une image, une icone et un ancien testament" et Prix de Lecteurs du Var (décerné par le Département du Var) en novembre 2008 pour "Un printemps très chaud". Les personnages de Sahar Khalifa usent d’un langage joliment imagé qui semble être l’émanation de l’être profond de l’auteure. «Seul le corps peut aller en prison, l’esprit ne peut être prisonnier, on ne peut pas attraper le vent.» écrit-elle dans l’Impasse. Insistant sur la nécessité du bon sens elle dit aussi : «Un esprit lucide est un cran de sûreté.» K. T.