L’Anc, le Frelimo, le Paigc, le Mpla, Miriam Makeba, Archie Shepp, les cavaliers chaouis, les guerriers touaregs, les poètes haïtiens, les jazzmen américains et les Black Panthers…. Le documentaire de William Klein a magnifiquement saisi la jubilation révolutionnaire africaine et tiers-mondiste qui s’est saisie d’Alger la Blanche en cet été 1969 de tous les espoirs…
Les absents à la projection de lundi à la filmothèque Zinet de l’Oref du documentaire de William Klein sur le festival panafricain d’Alger 1969 ont raté une œuvre culturelle et historique d’une profondeur et d’une intensité rares. Une œuvre qui, en filmant les principaux artistes, mouvements de libération, combattants et hommes politiques africains ou de racines africaines, constitue à la fois une archive inestimable et une œuvre d’art inoubliable.
Massacre de Sharpeville en 1960, napalm sur les mechtas, dizaines d’Algériens en tenues ancestrales se balançant au bout d’une corde, enfants et femmes massacrées, corps noirs se tordant sous le knout et la torture de colonisateurs blancs et féroces, les images d’archives sur l’Afrique colonisée sont insoutenables. William Klein y puise de quoi souligner en quoi la rencontre algéroise de Juillet 69 constitue, à elle seule, une étape qualitativement signifiante de la solidarité entre les peuples opprimés du tiers-monde.
Dans une démarche que n’aurait certainement pas désavouée Frantz Fanon, mort moins d’une décennie plus tôt, le célèbre cinéaste et photographe américain montre tour à tour les images du festival , celles des combats des mouvements de libération africains sur le terrain, les interview de poètes, dramaturges, chorégraphes et chanteurs ainsi que les interviews des leaders de l’époque. Par là, il abolit les frontières entre lutte armée, combats sociaux et expressions artistiques des colonisés face aux colonisateurs. Costumes, danses, chants d’une beauté et d’une diversité époustouflante déferlent sur le spectateur comme ils ont déferlé sur les rues, les salles de spectacle d’Alger et jusqu’aux villes et villages d’Algérie par le biais de la télévision dont l’accès se démocratisait partout. William Klein montre des peuples et des nations saignées à blanc par la condition coloniale. «Pour tuer la culture, il faut tuer l’homme.», un luxe que le colonisateur ne pouvait s’offrir totalement, lui, qui avait besoin de main d’œuvre gratuite et de chair à canon pour pouvoir exister en tant que maître incontesté.
En montrant non pas une représentation figée et officielle du festival mais les images de scènes générées par l’évènement et happées au vol par les caméras, William Klein réussit à montrer ce que ce festival a constitué : un pic de la fraternité entre des peuples qui se découvrent semblables dans la lutte et si divers dans l’expression. Des centaines d’enfants émerveillés courant dans le sillage des artistes, des rencontres improvisées dans les coins de rues, les embrassades et congratulations entre Algérois et artistes venus de partout. Cette fusion des sentiments et des espoirs est concrétisée par les dernières images du film qui montrent un concert animé par les Touaregs, la trompette du grand jazzman américain Archie Shepp, la voix d’un chanteur auressien, les karkabous rythmant le jazz. « Le jazz, c’est le pouvoir noir » est-il souligné alors qu’une pancarte proclame : « La culture africaine sera révolutionnaire ou ne sera pas. » Amilcar Cabral, Agostino Neto, Mario de Andrade, Pinto Traca et tant d’autres s’expriment tour à tour, avec cette intensité du verbe propre à ceux qui font l’histoire. « Il faut que l’Afrique échappe aux sortilèges et aux spectres » et «la négritude fixe et coagule les théories les plus usées sur la culture africaine» est-il conclu lors de rencontres-débats où semble flotter l’âme de Frantz Fanon.
Le visage angélique de Miriam Makeba entourée de ses amies et de ses musiciens, lors d’une répétition, constitue un moment douloureux pour ceux qui pleurent sa disparition. Sur scène, la diva donne à apprécier une technique vocale étonnante imitant des feulements félins. Le spectacle donné par les combattants de l’ANC, du MPLA et du Frelimo, déclenchent des tempêtes d’applaudissements et de you you. Les prises de vue sur une capitale vivant des nuits palpitantes au son de tambours marquant le pouls de tout un continent plongent le spectateur dans un passé récent et pourtant si lointain.Tout le mérite en revient au CCF qui a programmé une série de films sur les années 68 dans le monde et à l’ONCIC qui a eu le génie de choisir William Klein pour réaliser ce documentaire sur ce festival de la fraternité de combat.
K. T.