Avec son dernier film «Mascarades», le jeune réalisateur Lyès Salem a comblé un public sevré depuis des années. Une bonne tranche de rigolade, de l’émotion et de quoi réfléchir sur la situation d’une jeunesse marginalisée et privée de tout. C’est ce qu’offre ce film.
Rencontré lors de la projection du film, l’artiste a bien voulu étancher notre curiosité à propos des conditions d’écriture et de tournage de ce film facétieux et revigorant.
Le midi Libre : Votre dernier film est drôle et émouvant, un peu entre fable et BD. Comment vous est venu l’idée de ce scénario ?
Lyès Salem : L’écriture du scénario a été un processus long de deux ans. Au départ, je n’avais comme élément que Rym qui était narcoleptique et pour qui son frère organisait un mariage sans mariés. J’avais aussi précisément en tête la scène de la fin avec Mounir encerclé du cortège de voitures noires et de la poussière qui volaient partout en l’air. J’ai construit toute l’intrigue du scénario autour de ces deux idées là.
Les dialogues sonnent juste, comment avez-vous traité la question de la langue ?
Il était primordial pour moi de tourner en algérien. Je ne supporte plus l’hypocrisie à l’égard de cette langue qui est parlée par l’ensemble du peuple algérien, mais très peu représentée dans ses médias. Le travail qui a été fait avec Abdenour Oumerzouk, puis avec Hadjer Sebata a consisté à trouver une langue qui n’ancre pas trop le film dans une région précise. Nous avons mis de côté toutes les expressions qui étaient un peu trop teintées par une région précise. Même s’il y a un ou deux «Kho» qui se promène par-ci par-là, les dialogues échappent à un régionalisme qui aurait un peu trop réduit l’aspect fictionnel du film.
Pourquoi avoir choisi le cadre, peu connu et grandiose de M’Chounèche ?
Le cadre des Aurès fait référence au western de Sergio Leone. Je voulais que le film surfe sur les codes du genre. Et puis, il y a une notion de bout du monde très forte quand on est dans ces décors, ce qui rajoutait à la marginalisation de ce village.
Sur quelle base avez-vous constitué l’équipe ?
Je dirais qu’il y 65% de l’équipe qui est algérienne et le reste est française. L’image, le son et la direction de production étaient assurés par des techniciens français tandis que tout ce qui était costume, décor, régie, etc., étaient assurés par des techniciens algériens. J’avais insisté sur un point, c’est que les chefs de poste français aient des stagiaires algériens qu’ils forment pendant toute la durée du tournage. Ainsi, la scripte a travaillé avec un stagiaire qui lui était aussi nécessaire puisque la langue de tournage était inconnue de la scripte. Comme la formation manque dans le pays, je tenais à ce que des techniciens expérimentés, puisqu’ils tournent à longueur d’année avec le matériel le plus récent, partagent leur savoir-faire avec des jeunes qui ont l’envie et qui apprennent très vite. Une fois sur le lieu de tournage, à M’Chounèche, nous avons intégré dans les équipes de machinerie et électrique des jeunes du village qui ont travaillé avec nous sur toute la durée du tournage. Et ma plus belle récompense a été le dernier jour de tournage où nous étions pris par le temps et où ces trois jeunes de M’Chounèche qui travaillaient avec nous, depuis quelques semaines seulement, ont su mettre en place un travelling sans le chef machiniste qui préparait un autre plateau.
Mettez-nous au parfum des galères de financement….
Je dois reconnaître au risque de vous décevoir que j’ai eu beaucoup de chances sur «Mascarades» puisque le montage financier du film s’est fait en quelques mois. C’est une coproduction franco-algérienne et les deux parties nous ont rapidement fait confiance.
Comment s’est déroulé le tournage ? Racontez-nous les anecdotes croustillantes du making-off ?
Le tournage a duré 7 semaines, 41 jours exactement. Ce fut tout aussi éprouvant qu’exaltant. L’accueil qui nous a été réservé à M’Chounèche est pour beaucoup dans le bon déroulement du tournage. Quant aux anecdotes, je dois avouer que j’étais trop pris dans un mouvement où il me fallait terminer mes journées avec si ce n’est tous les plans prévus, au moins toutes les séquences et je suis donc resté un peu en dehors de ce qui a pu se passer à côté. Vous devriez poser la question aux acteurs ou aux techniciens ; ils seront sûrement moins avares que moi.
Quelles sont les difficultés que vous rencontrez en tant que cinéaste algérien ?
Pour ne pas cacher la vérité, il faut dire que je suis un cinéaste algéro-français ou franco-algérien, comme vous voudrez. Et c’est en tant que tel que je rencontre le plus de résistances. Un peu comme si le fait que je vive aujourd’hui en France faisait de moi persona non grata auprès d’une certaine presse. Je crois que certains font fausse route. Il y a une dualité culturelle en moi que j’assume et revendique et qui me sert à voir le monde. Et je dirais même que cette dualité m’est essentielle. Elle m’est nécessaire à la compréhension de ce monde. Laissez-moi citer un des plus grands hommes que cette planète ait porté : "Ne demandez jamais quelle est l’origine d’un homme ; interrogez plutôt sa vie, son courage, ses qualités et vous saurez ce qu’il est. Si l’eau puisée dans une rivière est saine, agréable et douce, c’est qu’elle vient d’une source pure" (dixit Emir Abdelkader). Aujourd’hui, ce qui est important c’est que le cinéma de ce pays et son public se retrouvent ensemble dans les salles, qu’importe vraiment d’où viennent ou encore où vivent celles et ceux qui veulent enrichir cette idée. Par exemple, je ne m’explique toujours pas comment il a été possible qu’on empêche Merzak Alouache de tourner en Algérie, l’obligeant à se rabattre sur le Maroc. On dira que c’est parce que le scénario donnait une mauvaise image de l’Algérie. Pensez-vous vraiment que le père de Omar Gattlato puisse critiquer ce pays autrement qu’à des fins constructives ? D’un autre côté quand je sors le film en Algérie, je butte sur les mêmes problèmes que tous les autres cinéastes : le manque de salles pour exploiter le film et dans celles qui existent beaucoup auraient besoin d’une sérieuse remise à niveau technique. Et puis, le fait que le public algérien ait perdu l’habitude ou le réflexe de se rendre au cinéma. On préfère attendre que les films passent à la télévision. C’est entre autres cette raison qui nous a poussé Yacine Laloui (le coproducteur et distributeur du film, qui a accompli un travail colossal pour que cette sortie en l’état soit possible) et moi à aller dans les salles du pays, pour tenter de convaincre le public que l’expérience d’un film vu au cinéma n’a rien de comparable à celle de la télévision.
Pensez-vous que des chances se dessinent pour une résurrection du cinéma en Algérie ?
C’est ce que j’espère du plus profond de moi-même. Et pas parce que je suis cinéaste et que si le cinéma décolle ici, je pourrais en profiter, mais parce que je suis intimement convaincu que le cinéma a un rôle social majeur à jouer dans ce pays. Il peut nous aider à nous considérer autrement. Le cinéma appartient aux arts et donc à la culture. Et la culture c’est l’un des ciments les plus puissants pour la consolidation d’une identité. Le cinéma peut nous aider à cristalliser une identité en ballotage aujourd’hui. C’est pour ça que je le défends.
Avez-vous quelque chose sur le feu en ce moment ?
Pour le moment je suis la sortie de «Mascarades». Je ne suis pas disponible encore pour travailler sur autre chose. Mon histoire avec ce film n’est pas terminée.
Pensez-vous rester dans le chapitre de l’humour et de la dérision ?
Pas nécessairement. Ce qui détermine le ton d’un film c’est son sujet. Alors, il faut attendre que je rencontre mon prochain sujet.
K. T.