«Mascarades», le dernier film de Lyès Salem, est drôle et émouvant. Il emprunte à la bande dessinée ses situations truculentes où rien n’est impossible. Ce n’est certainement pas un hasard si la bande son est signée cheikh Sidi Bémol, auquel son humour algéro-algérois l’apparente.
Lorsque le jeune Khlifa (Mohamed Bouchaïeb), surnommé Ringo par ceux de son village, se décide à avouer publiquement la relation qui le lient depuis 4 ans à sa bien-aimée Rym (Sarah Reguieg), c’est à coups de poings et de pieds et d’injures à la bouche qu’il le fait. Le pugilat qui l’oppose à son meilleur ami Mounir Mekbel (Lyès Salem), qui est aussi le frère de Rym, a comme raison les supposées fiançailles de celle-ci avec le richissime homme d’affaires australien Van Cooten.
En effet, une nuit de détresse, Mounir, fortement pris de boisson, a hurlé face aux fenêtres fermées des gens de son village que sa sœur Rym allait faire le plus brillant des mariages avec quelqu’un de la ville. Ce coup de bluff, visant à rehausser l’image de sa jeune sœur qui, souffrant de narcolepsie, est la risée de la dachra, a des prolongements inattendus. La jeune fille, lasse des atermoiements de son petit ami qui attend d’aménager sa boutique de vidéos pour la demander en mariage, se complaît à alimenter la rumeur. Pour faire enrager Khlifa, elle déclare que son prétendant n’est autre qu’un certain Van Cooten, un capitaine d’industrie occidental qu’elle et sa famille n’ont fait qu’entrevoir alors qu’ils se rendaient au soi-disant rendez-vous du prétendant annoncé dans un hôtel hyper-luxueux.
En peu de temps, la rumeur s’empare du village qui semble pris d’une folie collective à la grande rage du vrai prétendant. Pour le frère de la future épousée, tout change comme par enchantement. Auréolée des milliards de son futur beau-frère, il acquiert du jour au lendemain la respectabilité d’un futur notable. Ses voisins qui le raillaient pour sa pauvreté se mettent à l’aduler et à rechercher sa compagnie. Les invitations et les cadeaux pleuvent. Les voisines ne sont pas en reste et Rym reçoit un splendide karaco nuptial et même de la pâte d’amande «de quoi faire des gâteaux pour tout un régiment». Comme ennobli par les épousailles d’une de ses filles avec un milliardaire australien, le village fait front pour être à la hauteur de cet évènement dont tout le monde pense profiter. Même le fait que le prétendant ne soit pas musulman n’est plus vu comme un problème. «La récitation de la chahada et un petit coup de ciseau et il n’y paraîtra plus !», se disent les femmes dans les salons de coiffure.
Mounir Mekbel engrange les dividendes de la situation pendant que les deux tourtereaux réconciliés préparent le plus sérieusement du monde leur mariage. Mounir persiste à refuser la main de sa sœur à un prétendant aussi miteux que son meilleur ami, alors même que ce dernier a déclaré en hurlant, devant les mêmes fenêtres fermées du même village, que Rym ne saurait être à quelqu’un d’autre qu’à lui. Devant tant d’imbécile entêtement, les deux jeunes gens finissent par se débrouiller avec la bénédiction d’un saint homme tombé du ciel. La fiction à laquelle on a un peu de mal à accrocher au départ s’offre la fraîcheur et les rebondissements d’une bande dessinée. Le décor somptueux de la petit ville auressienne de M’Chounèche fait ressortir l’isolement et la misère de la petite communauté villageoise préfigurant celle de tous les miséreux d’Algérie. Le film qui commence par le rodéo poussiéreux d’un cortège nuptial dont les rutilantes voitures appartiennent au «Colonel», s’achève dans la même folie. Les voitures tournent en rond à un train d’enfer où le petit tacot de Ringo et Rym a bien du mal à se faufiler.
Les dialogues en dialecte algérois sont agréables et parfois désopilants et les acteurs plutôt convaincants. Mohamed Bouchaïeb s’offre la mimique faussement ingénue d’un un Gad El-Maleh un tantinet grognon. Lyès Salem est émouvant dans son rôle de faux macho au cœur tendre. Sarah Reguieg est convaincante dans son personnage de jeune fille décidée à en découdre malgré tous les handicaps du monde.
Sur une bande musicale signée Cheikh Sidi Bémol, les péripéties s’enchaînent allègrement pour traiter sur le mode de la légèreté et de la dérision les thèmes les plus étouffants. Avec Maskhara (titre en arabe), Lyès Salem signe une œuvre qui mérite son intitulé. Le film qui a été projeté mercredi en avant-première nationale à la salle Mougar est programmé dans dix villes du pays : Oran, Sidi Bel Abbès, Tiaret, Blida, Tizi-Ouzou, Sétif, Béjaïa, Constantine et Annaba et dans trois salles d’Alger : Algeria, Cosmos, Mougar. Il a décroché, dimanche, le premier prix au festival du film francophone d’Angoulême (France). Soutenu par le ministère de la Culture dans le cadre de la manifestation Alger, capitale de la culture arabe 2007, ce film est produit par Yacine Laloui (Laith Media), Isabelle Madeleine (Dharamsala) et Arte France Cinéma. «Mascarades» est le dernier film de Lyès Salem qui a réalisé Cousines en 2003, Jean-Farès en 2001 et Lhasa, son premier court-métrage, en 1999. L’artiste a remporté de nombreux prix internationaux et un César.
Le jeune réalisateur est né en 1973 à Alger. Comédien de théâtre, de télévision et de cinéma, il s’inscrit en Lettres modernes à la Sorbonne puis poursuit sa formation à l’Ecole du théâtre national de Chaillot et au Conservatoire national d’art dramatique. Il a joué dans des pièces classiques et modernes. En 1998, il met en scène et joue Djelloul, le résonneur d’après Les Généreux de Malek Alloula. Au cinéma et à la télévision, il apparaît dans des films de Maurice Failevic, Benoît Jacquot et Hamid Krim.