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Aziz Kacimi el-Hassani, calligraphe contemporain au Midi Libre
‘’L’art est une invitation à l’imaginaire’’
2 Septembre 2008

Aziz Kacimi est ce calligraphe qui tient à explorer à sa manière le sens infini des lettres dans un style sur lequel souffle un grand vent de modernité. Utilisant la lettre arabe, connue pour sa beauté et sa plasticité comme un moyen d’expression picturale, le calligraphe confère à ses œuvres de la couleur, du geste, du rythme, du contraste et un jeu de lumière et d’ombre. Dans le trait et la turbulence des couleurs, le visiteur y décèle la pensée et l’idée philosophique du plasticien. ‘’La sensibilité est inséparable du développement de l’esprit pensant, elle le façonne et l’éclaire’’, dit-il. Sa puissance du graphisme puise de l’art musulman et de sa connaissance de l’art moderne. La nouveauté dans la création réside en fait dans la saillie qu’il donne à ses aplats, tel le bas-relief d’une oeuvre sculpturale.

Ayant pris part à nombre de manifestations plastiques depuis plus 1991, Aziz Kacimi el-Hassani révèle à chacune de ses expositions une collection d’œuvres calligraphiques qui se veulent une invite à la méditation tant elles sont chargées de sagesse soufie. La gamme chromatique qui traverse ses œuvres traduit un univers porté à restituer une certaine magie. S’il montre une grande admiration pour certains artistes, son rapport à l’art est, cependant, trop intime pour s’accommoder de l’ascendant d’un modèle. En clair, il refuse d’être le parangon d’un quelconque courant pictural. Il tient à créer son propre langage plastique qui nous édifie sur la tendance contemporaine puisant sa quintessence du patrimoine immatériel. Celui de l’âme de la lettre. Une partie de ses œuvres a été exposée dernièrement dans la capitale damascène dans le cadre de ‘’Damas, capitale de la culture arabe 2008’’. C’est à un art sublime, un instant de bonheur éphémère mais combien durable par son intensité qu’a convié le calligraphe contemporain son public. Il livre, aussi, à travers cette interview sa réflexion sur l’art pictural et plonge le lecteur dans sa quête perpétuelle du trait calligraphique arabe.

Comment êtes-vous venu  dans le monde de l’art plastique?
C’est grâce à mon père qui en plus d’être un poète avait une grande maîtrise de la calligraphie arabe. C’est lui qui m’a quelque part influencé à cet art, celui de façonner les lettres arabes. A mon père, je suis aussi, en partie, redevable de ma sensibilité d’artiste car au commencement de ma découverte de la calligraphie j’ai aussi découvert sa poésie qui est, à mes yeux, sublime.

On vient de voir votre dernière collection d’œuvres calligraphiques. Vous imprégnez votre travail d’un souffle de modernité mêlé à la tradition ? Voulez-vous nous expliquer cette option picturale?
La calligraphie en mutation ne réduit pas sa vocation à la conservation du texte, mais se sublime en un sens, en un élan de création, en un objet de vie. L’art, je ne le conçois pas comme une fuite de l’ennui, ce qu’il peut du reste être, mais comme une exaltation du beau, une représentation exacerbée du réel, une invitation à l’imagination. C’est la raison pour laquelle j’ai la récurrence et l’imitation en aversion. Je revendique la liberté de faire participer la calligraphie à la plénitude de la sensibilité. C’est parce que cette liberté, dont je ne prétends pas la paternité, est une rupture avec un passé où elle pouvait être perçue comme une manifestation profane qu’elle peut être, effectivement, considérée comme une rencontre entre la tradition et la modernité. Mais loin est de moi l’idée de vouloir me délier de la calligraphie. La quête de la perfection du trait va chez moi de pair avec celle de la pureté de l’expression.

Vous optez pour des couleurs tantôt chaudes, tantôt sombres. Y a-t-il une relation entre le thème traité et le choix de les tons que vous imprimez à votre palette ?
L’introduction des couleurs est l’une des manifestations de cette évolution de l’art calligraphique que je viens de décrire. Parce que ni les couleurs primaires ou fondamentales ni la teinte elle-même ne peuvent refléter la bigarrure du réel et la fertilité de l’imaginaire. Je choisis des couleurs qui s’enchevêtrent en contraste, en harmonie et en nuances. Cela confère une force émotionnelle à l’œuvre. A la vue de la Méditerranée, Van Gogh a réalisé qu’il lui fallait désormais «outrer la couleur». Les couleurs qui traversent mes œuvres c’est aussi un monde fantasmé dont je suis instinctivement porté à restituer la magie, celui d’un Orient irréel dont la nostalgie m’habite.

Vous invitez le spectateur à faire une lecture profonde de vos oeuvres. La calligraphie met-elle en relief la pensée ou c’est plutôt l’inverse?
La sensibilité est inséparable du développement de l’esprit pensant, elle le façonne et l’éclaire, la sensibilité à l’art est d’ailleurs ce qui distingue l’homme chez Platon. L’œuvre est le reflet de l’artiste et donc aussi de sa pensée. Une œuvre n’est pas quelque chose de figé, elle est l’expression à la fois d’un moment d’ébahissement et du mûrissement de son créateur pour devenir par la suite l’objet de la contemplation et de la méditation du public. Elle est à la fois le fruit d’une inspiration et une source de motivation pour une autre quête de travail. Or, sans la pensée l’art ne peut être appréhendé ni réfléchi. Mon art, je le veux une transcendance de la conscience de soi et du monde. Mais si mes œuvres peuvent suggérer, je ne leur prête pas de vertus essentiellement transformatrices.

Vos compositions sont quelque part traversées par une certaine sagesse soufie. Cela vous inspire-t-il dans vos travail calligraphique ?
Le soufisme partage avec l’art la quête de l’absolu et l’adoration du beau. La calligraphie avec ses formes et sa symbolique a inspiré les soufis alors que leur poésie a depuis toujours constitué une matière intarissable pour les calligraphes. C’est la rencontre de deux achèvements celui du geste et celui du verbe. On revient à la question de l’âme des lettres, la calligraphie devient sujet anthropomorphique chez Ibn Arabi. Dans El Fûtûhat El Makkiya, le grand maître symbolise l’amour par le rapport entre les deux lettres Alif et Lam : «le penchant du Lam vers el Alif n’est que le résultat d’un amour de son mouvement», dit-il.

On remarque dans vos oeuvres cette propension plastique qui relève du cubisme. Comment vous la définissez ?
Je ne suis en aucune manière influencé par le cubisme. Ces formes géométriques correspondent à des éléments de l’architecture islamique dont la splendeur et la majesté sont inégalables et dont les couleurs et les formes suscitent en moi une véritable fascination.

Peut-on dire que l’artiste Aziz Kacimi est quelque part influencé par le travail de ses pairs ?
Disons que j’ai une grande admiration pour Koraïchi, Bounoua  et Nja Mahdaoui. Mais si étendu que soit le talent de ces artistes,  mon rapport à l’art est trop intime pour s’accommoder de l’ascendant d’un modèle. Je n’exclus pas pour autant toute présence exogène, qui serait forcément inconsciente, dans mes œuvres.

Par : Farouk Baba-Hadji

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