Ce sont les hommes et les femmes qui écrivent l’histoire, avec leur engagement, leur dévouement, leur patriotisme, et très souvent avec leur sang.
Lorsqu’on se penche sur les faits historiques qui restent attachés à la date du 20 août, on se rend bien compte qu’il y a une signification qui se dégage. D’abord ceci : l’histoire a été écrite par des hommes et des femmes de ce pays, et ensuite que cela n’a pas été fait dans des conditions faciles. La répression coloniale était omniprésente, et les moyens utilisés disproportionnés par rapport à un peuple désarmé.
Prenons la date du 20 août 1955. Cette dernière s’était assigné plusieurs objectifs. Décidée à la réunion de Zamane, une presqu’île de la ville d’El-Qoll (Collo), dans la région de Skikda, l’opération visait d’un côté à remonter le moral du peuple et des troupes, en montrant qu’il était possible de mener des opérations d’envergure, à l’échelle du territoire ou d’une grande portion du territoire. Ici en l’occurrence, il s’agit du Constantinois. L’autre objectif assigné à cette insurrection consistait à témoigner la solidarité du peuple algérien avec le peuple marocain, en souvenir de la déportation du Roi Mohamed V dans l’Ile de Madagascar, alors sous domination française.
L’initiateur de cette grande opération militaire et politique n’était autre que Zighoud Youcef, qui venait de succéder à Didouche Mourad à la tête de la wilaya II.
Membre du groupe des Six, Didouche Mourad était tombé au champ d’honneur en janvier 1955, sans avoir eu la possibilité de transmettre tous les documents en sa possession à son successeur. Il y a donc ainsi des zones d’ombre dans l’écriture de l’histoire de la Révolution. C’est la raison pour laquelle on ne saura sans doute pas pourquoi la réunion qui devait regrouper les Six, sous la direction de Mohamed Boudiaf , n’a pas eu lieu.
Contrairement au PPA-MTLD, le parti du FLN, qui est né dans le feu de l’action en se fixant pour objectif l’indépendance du pays, n’a pas eu le temps de mettre en place les structures de direction et de coordination et les relais indispensables entre la base et le sommet.
On dit que Zighoud Youcef était un simple forgeron, mais en fait il avait pu faire des études et décrocher le certificat d’études primaires, ce qui était considérable pour l’époque. Il était passé par le mouvement des Scouts musulmans algériens, puis il avait rejoint le PPA-MTLD, avant de devenir l’un des dirigeants les plus en vue de l’Organisation spéciale (OS). Fait prisonnier il arrive à s’évader de sa cellule en fabriquant un passe avec un ouvre-boîte.
Cette grande opération du 5 août 1955 dans le Constantinois restera comme l’une des insurrections les plus mémorables de la Guerre de Libération nationale. Venant juste après la proclamation du 1er novembre 1954, elle a montré au monde entier, mais surtout à l’armée coloniale, toute la détermination du peuple algérien à vivre libre sur sa terre. Elle a également mis en exergue la valeur des hommes de la trempe de Zighoud Youcef, qui avait pris, à l’âge de 27 ans, les rênes de la wilaya II. Avec son chapeau de brousse vissé sur la tête, cet homme avait des qualités qui le prédestinaient à être un dirigeant éclairé de la révolution : stratège émérite, dirigeant militaire et politique visionnaire, il avait su donner un second souffle à la Révolution. Non seulement le peuple avait repris confiance dans l’issue inéluctable de la Guerre de Libération, malgré la répression féroce qui s’était abattue sur lui, mais même l’armée coloniale commençait à douter de ses capacités à tenir tête à une poignée de maquisards sous-équipés mais décidés et résolument patriotiques. La différence entre le FLN et l’armée coloniale, c’est que, d’un côté, il y avait une noble cause à défendre, et que, de l’autre, on ne savait pas très bien pourquoi on se battait.
Une année après, deux autres hommes, tout aussi émérites, à savoir Abane Ramdane — qui était sorti de prison et avait rejoint les rangs de la révolution — et Larbi Ben M’hidi, membre fondateur du FLN et l’un des membres du groupe des Six, ont eu l’ingénieuse idée de doter la Révolution de sa première doctrine, tout en lui mettant en place les structures dirigeantes. Elle sera connue sous le nom de plateforme de la Soummam, endroit où a eu lieu le Congrès du même nom, près d’Ifri-Ouzellaguen.
Dans quelle condition a été préparé le Congrès de la Soummam ? D’après Ali Cherif Deroua (ancien responsable au Malg), après s’être solidement installé à Alger, Abane avait entamé un échange épistolaire dès le 20 septembre 1955 avec les délégués de la Révolution présents au Caire, à savoir Aït Ahmed Hocine, Ben Bella Ahmed, Boudiaf Mohamed et Khider Mohamed.
Surpris par les événements du 20 Août 1955 dont il n’avait aucune information, il essaie de prendre contact avec Zighoud Youcef. Celui-ci envoie des émissaires responsables pour le rencontrer à Alger et lui proposer une réunion des responsables de la Révolution.
En politicien averti, le 1er décembre 1955, il écrit aux frères du Caire: «Nous sommes en liaison avec le Constantinois. Nous avons rencontré les responsables et nous projetons de tenir, quelque part en Algérie, une réunion très importante des grands responsables du Constantinois, l’Algérois et l’Oranais. Dès que tout cela sera prêt nous vous demanderons d’envoyer un ou deux représentants car de grandes décisions seront prises.»
Début novembre 1956, il avait envoyé Dahleb en Zone2 (WilayaII) pour discuter les formalités d’une telle rencontre. Celui-ci obtient l’accord de Zighoud pour la réunion des responsables des différentes zones et de responsables à l’extérieur, se proposant même de l’organiser dans sa zone et d’en assumer la sécurité — Se référer au document n°21 «Le courrier Alger-Le Caire» Mabrouk Belhocine.
D’après Zighoud, cette réunion est la suite logique de celle prévue pour janvier 1955, par les six pères de la Révolution, avant même le déclenchement de celle-ci. Cette réunion devait permettre de faire le bilan des opérations et coordonner leurs actions.