Le Midi Libre - Culture - «Nos montagnards pataugeaient dans la misère»
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Entretien avec Rabah Toumert, romancier
«Nos montagnards pataugeaient dans la misère»
18 Août 2008

Qui peut décrire la vie d’un village mieux qu’un villageois? Qui peut peindre la montagne mieux qu’un montagnard ? Rabah Toumert nous parle d’un monde qu’il connaît bien, en nous présentant une galerie de personnages qui vont nous surprendre par leur vérité et leur sincérité. Rien n’est factice dans ce roman, où tout est émotion et frémissement. Qui plus est, l’auteur fait un survol historique pour nous décrire, sur plusieurs décennies, comment une communauté va survivre et s’en tirer dans un contexte extrêmement difficile, marqué par les disettes, l’occupation coloniale, l’exil, les épidémies ou encore les vendettas.

Les montagnes de la douleur, tout un programme, pouvez-vous nous faire un résumé de ce livre ?
Le roman, Les montagnes de la douleur, retrace en quelque sorte la vie extrêmement dure vécue par les gens de la montagne et parmi lesquels figuraient mes grands-parents, bien sûr. C’est un endroit où je suis né, où j’ai vécu et où je réside toujours. C’est donc un lieu que je connais très bien. J’ai voulu rendre hommage à tous ces gens simples qui étaient arrivés à relever le défi, face à une nature hostile et dans des conditions difficiles, malgré la rudesse de la vie, les vendettas, les tueries à gages et les épidémies auxquelles ils ne trouvaient pas de remèdes.

Comment vous est venue l’idée d’écrire ce livre ?
L’idée d’écrire le livre en question a germé dans mon esprit il y a longtemps de cela, particulièrement, en 1979, lorsque j’ai été appelé à subir un test en langue française au centre culturel français à Alger ; ce jour-là, j’ai été félicité à l’oral comme à l’écrit en obtenant l’une des meilleures notes. Par la suite j’écrivais souvent des articles sur les multiples difficultés que rencontraient nos ancêtres, les montagnards, dans leur vie quotidienne, ce qui a débouché plus tard sur le présent ouvrage.

Quelle est la part de la biographie dans ce livre ?
A vrai dire, il n’y a pas une part de biographie, proprement dite, dans ce livre. Néanmoins, je reconnais que quelques personnages qui y figurent ne nous sont pas vraiment étrangers.

Parfois, vous dites je, parfois nous, parfois il ou ils. Quelles sont les places respectives de l’écrivain et du narrateur ?
Quand je dis ‘’je’’, bien évidemment, ça ne peut concerner que moi-même, parce qu’il y a eu des scènes auxquelles je supposais être mêlé. Ou parfois, quand c’est le personnage principal lui-même, à savoir Chabane, qui prenait la parole pour dire tout ce qu’il avait sur le cœur. Quand je dis ‘’nous’’, c’est pour donner la parole soit aux montagnards, soit aux paysans afin de décrire eux-mêmes leurs désarrois et leurs tristesses. Quand j’utilise ‘’il’’ ou ‘’ils ‘’, je le fais pour parler d’un ou de plusieurs personnages figurant dans le roman.
Quant au narrateur, je ne l’ai fait intervenir que dans le long chapitre relatant comment la neige, qui a duré plus d’un mois en 1945, a failli rayer de la carte tous les habitants d’un certain village reculé et déshérité de la Kabylie.

A quelle entité renvoie le ‘’nous’’, sujet collectif ?
Le ‘’nous’’ employé dans le roman, représente un groupe de personnes auquel appartenait le paysan ou le montagnard qui était en train de parler. On peut donc dire que c’est un sujet collectif.

Il y a trois événements douloureux dans ce livre : la neige qui a duré plusieurs jours, le typhus et la conscription pour la Deuxième Guerre mondiale. Quel est celui que vous considérez parmi ces trois événements comme le plus fatal ?
Sincèrement, le fait le plus dramatique que j’ai décrit dans ce livre était la neige qui avait été sur le point d’anéantir le village tout entier. Elle était tombée sans discontinuer, prenant par surprise et accablant les pauvres villageois qui n’étaient pas du tout équipés pour faire face à cette calamité venue du ciel. L’épidémie du typhus qui a décimé une bonne partie de notre population, elle aussi, est un fléau à ne pas sous-estimer. Elle avait créé une psychose indescriptible au sein des villageois et dont chacun croyait qu’il n’allait pas pouvoir survivre à cette rude et terrible épreuve.
Quant à l’enrôlement de nos jeunes d’alors dans les effectifs de l’armée française pour aller défendre une cause qui n’était pas la leur, ce fut aussi une énorme fatalité que chacun aborda à sa manière, suivant les atouts qu’il avait entre ses mains.

Est-ce que vous considérez que les animaux eux-mêmes sont des ennemis de l’homme, tels que le sanglier, les étourneaux, ou les criquets ?
Quand j’ai évoqué ces animaux dans le roman, Je n’ai en aucun cas voulu les assimiler à des ennemis. Toutefois, il est à relever que les sangliers ainsi que les criquets sont considérés, à juste titre d’ailleurs, par les Kabyles comme étant des animaux nuisibles et de mauvais augure, du moment qu’ils causaient de grands ravages dans leurs cultures. Quant aux étourneaux, oiseaux frugivores, ils ne prenaient qu’une négligeable part de la récolte d’olives de nos fellahs, parce que ces derniers veillaient bien au grain, en installant des épouvantails aux quatre coins de leurs propriétés afin d’éloigner les dits passereaux de leurs champs. Dans cet ordre d’idées, je pense qu’il est hors de question de considérer comme ennemi un oiseau qui ne demande qu’à s’alimenter.

On a cette montagne avec ses cultures vivrières (olives, figues, raisin, ) et en face, il y a la plaine et ses céréales. Les saisons qui rythment la vie de ces montagnards sont impitoyables, n’est-ce pas ?
La différence qui existe entre la culture vivrière des montagnes et les plaines avec leurs céréales est exorbitante à plus d’un titre. Il faut que vous sachiez que le paysan des montagnes kabyles déployait beaucoup d’effort pour n’arriver qu’à un résultat mitigé pour ne pas dire insignifiant ; sa récolte de figues sèches et d’huile d’olive ne lui assurait même pas de quoi faire vivre ses enfants pendant deux mois. Tandis que le fellah qui activait dans la plaine fertile à souhait, sa récolte était largement excédentaire. Voyez donc dans quel état de misère pataugeaient nos piteux montagnards ! Quant aux saisons qui ont rythmé la vie de nos devanciers, elles étaient vraiment infernales. En hiver, ils étaient assaillis par la neige et ses différentes complications ; en été, c’était un autre son de cloche, la canicule, les feux de forêt et la sécheresse.

Présentez-nous votre personnage principal, Chabane, ses caractéristiques.
Chabane était un jeune orphelin récupéré, après la mort de son père dans les années quarante, par son oncle maternel pour l’utiliser comme berger. Celui-ci accomplissait son travail d’une façon admirable de peur d’être révoqué. Quand il atteignit l’âge mûr, il partit pour la France comme tous les jeunes de sa génération. Au début de son exil, il n’a pas tellement brillé vu son manque d’expérience, mais par la suite, il s’était bien ressaisi en amassant une somme d’argent assez conséquente, avec laquelle il a pu reconquérir leur champ d’oliviers que son défunt père avait hypothéqué à un riche du village. Et il a même reconstruit leur vieille maison. Cette dernière s’était effondrée à la suite des pluies torrentielles qui s’étaient abattues avec une rare violence. Cependant, le pauvre Chabane n’a pas survécu à une méchante maladie qui l’emporta vite en dépit des soins prodigués par un charlatan taleb guérisseur.

Sa mère, Tassadit, la chercheuse d’eau, qui a beaucoup souffert se transforme elle-même en tyran, avec sa belle fille Ferroudja. Pourquoi ?
En Kabylie, c’était une chose courante, les belles mères tyrannisaient leurs brus d’une façon outrancière et sans état d’âme. Tout simplement, parce que celles-ci abusaient, jusqu’à l’usure, de leurs pouvoirs matriarcaux. Bien qu’elle eût beaucoup souffert du temps où elle était chercheuse d’eau, Tassadit n’a pas dérogé à la règle qui consiste à mener la vie dure à toutes les belles-filles ; elle n’a pas manqué donc d’opprimer outrageusement Ferroudja, sa bru. Toujours dans le même chapitre, je dois peut être vous étonner si je vous dis que ma propre mère, elle aussi, a subi les mêmes supplices de la part de ma grand-mère ! Franchement, avec l’état d’esprit d’aujourd’hui, je trouve que ces pratiques sont révoltantes.

Qui est M. Rabah Toumert ?
Rabah Toumert, du temps où il activait, était sous-directeur dans une entreprise nationale. Aujourd’hui, il est en retraite, et pour meubler son temps, il débute dans l’art de l’écriture. Il a à son actif un premier roman dont le titre est évocateur, Les montagnes de la douleur, est un deuxième ouvrage à caractère autobiographique va bientôt arriver et on le retrouvera prochainement sur les étals des librairies. Rabah Toumert est aussi cet auteur débutant qui, armé d’un stylo, raconte ses déboires et ses déconvenues à des feuilles de papier afin d’oublier, d’une certaine manière, son triste destin.

Par : Ahmed Ben Alam

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