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Arthur Rimbaud
Les interminables errances d’une âme sensible
2 Août 2008

Arthur Rimbaud est un géant de la poésie. Très jeune, il manipule sa plume et écrit des textes fabuleux, des textes gravés sur les pages d’or de la littérature universelle. Son œuvre inachevée et les tourments de sa vie continuent de faire du bruit, après plus d’un siècle de sa disparition.

Rimbaud Jean Nicolas Arthur né à Charleville en France le 20 octobre 1854 quitte ce monde à Marseille le 10 novembre 1891. Une ville natale grise tout entière, une mère à l’image de cette ville mais, en plus, strictement chrétienne et maigre, âpre, pareille aux horizons mornes, c’est à l’ombre de cet ensemble de rues tristes que devait grandir le poète. Dans cette part de soleil que lui avait léguée son père, officier d’origine provençale, plus préoccupé de voyages et d’aventures que de confort et de stabilité. Le père était parti en Crimée peu après la naissance d’Arthur, il s’accommodait mal de l’orgueil intraitable de la mère, de son entêtement de fille de gros propriétaires, de sa respectabilité. En 1860, la mère rompit définitivement avec lui et s’installa tout aussi définitivement à Charleville. Le manque de ressources l’obligea à se contenter de la rue Bourbon, une rue populacière où n’habitait aucune famille fréquentable. Arthur devait jouer avec ses frères et soeurs, gentiment, sans jouets, et les enfants des voisins ne pouvaient sous aucun prétexte pénétrer dans l’appartement. Le dimanche, Vitalie et Isabelle, Frédéric et Arthur, deux par deux, suivis par leur mère vêtue de noir, se rendaient à l’église. Les jours de marché, même cérémonial pour se rendre sur la place, rang par deux et toujours derrière eux la mère droite et noire.
              
Les premier pas dans le monde
fabuleux des mots
En 1862, la famille déménagea Cours d’Orléans, quartier bourgeois, et les garçons entrèrent à l’Institution Rosat où ils commencèrent leur latin. A dix ans, Arthur fut admis en septième au collège de Charleville. On a retrouvé l’une de ses narrations " Que m’importe à moi que je sois reçu ? A quoi cela sert-il d’être reçu ? A rien, n’est-ce pas ? Si, pourtant ; on dit qu’on n’a une place que lorsqu’on est reçu. Moi, je ne veux pas de place ; je serai rentier. Quand bien même on en voudrait une, pourquoi apprendre le Latin? Personne ne parle cette langue. Quelquefois, j’en vois, du latin, sur les journaux; mais, Dieu merci, je ne serai pas journaliste…" Arthur sauta la sixième et, quant au latin, il se passionna si bien pour Virgile que la prosodie latine n’eut bientôt plus aucun secret pour lui. En 1868, il adressa une lettre en vers latins au prince impérial à l’occasion de sa première communion, alors le jeune génie est remercié publiquement par le directeur du collège. Dès lors, il ne cessa d’étonner ses professeurs et Le Moniteur de l’enseignement secondaire publia trois de ses compositions en vers latins au cours de l’année 1869 dont une, Jugurtha, lui valut le premier prix au concours académique. Ses premiers vers français, Les Étrennes des orphelins, datent aussi de cette année-là; ils parurent, le 2 janvier 1870, dans La Revue pour tous. Travailleur, têtu, de caractère difficile, Arthur est alors l’honneur et le souci du collège. La plupart de ses professeurs se méfient de lui, pensent que son intelligence " tournera mal ". A la maison, l’intolérance de la mère ne cesse d’entraîner des heurts, c’est l’école de la révolte. Les livres s’accumulent Juvénat, Lucrèce, Rabelais, Villon, Baudelaire, Banville, Hugo, Saint-Simon, Proudhon, Thiers, Michelet et Louis Blanc. Dans ses compositions, Arthur écrit de véritables appels à l’émeute, invoque Saint-Just et maudit Napoléon qui a retardé l’avènement du socialisme qu’il aurait pu imposer. En 1870, année de sa rhétorique, Arthur a la chance d’avoir un jeune professeur aux idées révolutionnaires, Georges Izambard, avec lequel il se lie d’amitié et qui lui révèle la littérature contemporaine. Jusqu’alors travail et révolte avaient suffi à tramer les jours, maintenant " le grand jeu " vient les bousculer et l’écriture cesse d’être ce plaisir de virtuose pour devenir l’instant où conception et réalité, être et vie coïncident brusquement. Rimbaud naît et se voit naître. Les vitres et les glaces derrière lesquelles la femme noire, malgré lui, le tenait prisonnier volent en éclats. L’eau de la Meuse apporte le pressentiment de la mer. Un à un les poèmes surgissent : Sensation, Ophélie... (Tous expédiés à Banville) tandis qu’au milieu de l’été la guerre éclate. Le 29 août Rimbaud vend ses livres de prix, prend un billet pour Mohon et reste dans le train jusqu’à Paris, mais la société veille; Rimbaud redevable de treize francs est incarcéré à Mazas où viennent le libérer une lettre et un mandat d’Izambard. Il rentre à Charleville, s’en échappe au bout de dix jours et gagne à pied la Belgique où il espère pouvoir faire du journalisme à Charleroi. Son projet échoue ; il va alors à Bruxelles où un ami d’Izambard le recueille et lui paie son voyage jusqu’à Douai où il retrouve son professeur. Sa mère le fait rentrer à Charleville. Au cours de ce voyage, il a écrit une dizaine de poèmes dont : «Le Buffet», «Rêvé pour l’hiver», «Le Mal et Le Dormeur du Val». Il faut encore attendre. La bibliothèque de Charleville est assez bien fournie; Rimbaud s’y rend chaque jour pour lire les socialistes français, et les ouvrages sur l’occultisme. Les mois passent, les connaissances assimilées nourrissent la révolte et l’ouvrent à la fascination de la Connaissance ; soudain, il devient temps de remettre la réalité au défi pour la forcer. Le 25 février 1871, Rimbaud vend sa montre et prend le train pour Paris. La ville, en proie à la guerre et à l’hiver, n’offre au poète qui erre dans ses rues qu’une multiplication de sa solitude. Au bout de quinze jours, il rentre à pied à Charleville et traverse les lignes allemandes en se faisant passer pour un franc-tireur auprès des paysans qui l’hébergent. Dès son retour, Rimbaud écrit un Projet de constitution communiste qu’il lit à son ami Delahaye, mais qui ne nous est pas parvenu. Le 13 mai 1871, une lettre à Izambard expose son attitude vis-à-vis de la poésie, attitude qu’il précise le 15 mai dans une lettre à Demeny connue sous le nom de Lettre du Voyant. La voie est maintenant consciemment ouverte. Voir et se voir en train de voir, sommet du regard et de la conscience qui a conscience d’être. " Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant ", et il ajoute : " Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. " Toute vision est solitaire et chaque voyant valorise pour soi le vocabulaire; quelle technique sous ce " dérèglement "? Peut-être celle de la fatigue, agissant sur le corps comme une érosion capable de mettre à nu la pierre essentielle de l’être ? Le Bateau ivre a descendu le fleuve et pris la mer. Le poète, devenu lui-même, n’a plus besoin de Dieu ; il peut insulter tous les prêtres et écrire sur les murs des églises : « Mort à Dieu ».  Charleville n’est plus qu’un lieu de passage, un port au bord du monde où Rimbaud échoue d’un livre à l’autre, d’un cabaret à l’autre. Il se lie avec un petit employé, Bretagne, qui a connu Verlaine. Bretagne s’offre à les mettre en rapport. Rimbaud envoie des poèmes et Verlaine répond : " Venez, chère grande âme, on vous attend, on vous désire. " A la fin de septembre 1871, Rimbaud arrive à Paris et loge chez les beaux parents de Verlaine avec ce dernier et sa femme. Rimbaud est intraitable, insupportable. Il mange et se tait. Pas de merci dans sa main ni dans sa bouche, il est venu chez les poètes prendre sa place et son dû mais les poètes dînent en ville, respectent les bonnes manières, se paient de mots et aiment recevoir de leurs pareils semblable monnaie de mots. Valade, Mérat, Gill, Pelletan, Bonnier, Aicard ont accueilli " l’enfant poète ", posé avec lui pour le " Coin de table " de Fantin Latour mais maintenant qu’il s’agit d’autre chose que de plaire ou de chahuter gentiment, ils ne comprennent pas et " l’enfant poète " devient Rimbaud le voyou ; un voyou qu’ils se hâtent d’expulser, faute de l’avoir mis à la raison. Verlaine, lui, demeure fasciné. Il erre de café en café avec Rimbaud. Il a quitté sa femme, il aime Rimbaud. Un couple étrange vient au monde. En mars 1872, Rimbaud rentre dans les Ardennes pour que Verlaine tente de se réconcilier avec sa femme. Il écrit : «La Comédie de la soif», «Larme», «Chanson de la plus haute tour» et six autres poèmes. Verlaine réclame sans cesse son retour.
 
Les tourments
Rimbaud regagne Paris en mai, puis, le 7 juillet, décide de partir pour la Belgique. Verlaine abandonne sa femme pour le suivre. Ensemble, les deux poètes quittent bientôt la Belgique pour l’Angleterre. Rimbaud écrit ses derniers poèmes en vers et, lassé de Verlaine qui souffre de l’absence de sa femme, l’abandonne et regagne Charleville. La mère de Verlaine se laisse attendrir par les plaintes de son fils qui se dit très malade et va le voir à Londres ; elle envoie même à Rimbaud l’argent nécessaire pour qu’il puisse venir voir son ami. Rimbaud vient en janvier 1873 mais repart dès que Verlaine est guéri et, en avril, rejoint sa famille à Roche, près de Vouziers, où il commence «Une Saison en enfer», l’un des meilleurs textes de Rimbaud. Le 24 mai 1873, Rimbaud revoit Verlaine à Bouillon et accepte de repartir pour l’Angleterre avec lui. A Londres, où ils habitent ensemble, ils se querellent et Verlaine part brusquement en laissant son ami sans le sou. Arrivé à Bruxelles, Verlaine supplie sa femme de venir le rejoindre, mais en vain. Il écrit alors à Rimbaud qui vient aussitôt ; c’est uniquement pour lui annoncer qu’il est décidé à rompre définitivement et à rentrer à Charleville. Verlaine désemparé tire un coup de revolver sur Rimbaud et le blesse au poignet ; la justice belge le condamne à deux ans de prison ferme. Rimbaud regagne Roche, s’enferme et termine " Une Saison en enfer ", qu’il fait par la suite imprimer à Bruxelles. A part quelques exemplaires envoyés à ses amis, Rimbaud abandonne toute l’édition chez son imprimeur où elle sera retrouvée par hasard un demi-siècle plus tard. On a longtemps cru que «Une Saison en enfer» était la dernière œuvre de Rimbaud, son adieu définitif à la littérature ; H. Bouillane de Lacoste a démontré que les «Illuminations», ébauchées lors du premier séjour à Londres, étaient postérieures. Mais il est assez probable que les deux œuvres furent composées simultanément, en tout cas dans le flux d’une même durée. «La Saison» forme un tout organique et sa version définitive a dû être rédigée d’une traite ; les «Illuminations» se composent de textes dont chacun pourrait être considéré comme l’instantané d’une vision. Rien ne s’oppose à l’idée que ces instantanés aient pu être à la fois antérieurs et postérieurs à «La Saison» mais, pour certains critiques, c’est impossible de les en séparer car leur conjonction exprime la totalité d’une expérience vertigineuse de soi-même. Une initiation au sens le plus large du terme. Considérer l’une ou l’autre de ces œuvres comme un adieu, c’est sacrifier à un romantisme facile et rassurant. Il y a eu cette aspiration vers la lumière, puis le silence est tombé. La vie a continué et le silence est devenu perceptible. On a eu, alors, besoin d’expliquer le silence. Si tard !

L’errance
Au début de 1874, Rimbaud de passage à Paris y fait la connaissance de Germain Nouveau et part avec lui en Angleterre. Il y reste un an, vivant de leçons et décidé à apprendre parfaitement l’anglais afin de pouvoir entreprendre de longs voyages. Fin décembre, il passe à Charleville et, en janvier 1875, gagne l’Allemagne avec l’intention d’y apprendre la langue. Il est alors précepteur à Stuttgart et c’est là que Verlaine, converti maintenant au catholicisme, vient le relancer pour lui faire partager sa foi. Rimbaud, après l’avoir assez malmené, lui fait reprendre le train pour Paris dans les quarante-huit heures. En mai, Rimbaud traverse à pied le Wurtemberg, la Suisse et passe en Italie où il tombe malade à Milan; une fois rétabli, il reprend son voyage en direction de Brindisi mais, frappé d’insolation au bord de la route, il est rapatrié par les soins du consul de France à Livourne. Rentré à Charleville en octobre, il y passe l’hiver à étudier l’espagnol, l’arabe, l’italien et le hollandais.
Le 19 mai 1876, il signe un engagement de six ans dans l’armée coloniale hollandaise contre une prime de trois cents florins; il est débarqué le 23 juillet à Batavia, déserte et s’embauche sur un voilier anglais qui le ramène à Bordeaux d’où il rentre à pied à Charleville (31 décembre 1876). Sa mère lui ayant avancé de l’argent, il part pour Vienne en avril 1877, mais s’étant fait dévaliser, il est expulsé par la police autrichienne et retourne à pied à Charleville d’où il se rend à Hambourg. Engagé là comme interprète par le cirque Loisset, il parcourt le Danemark et la Suède et se fait finalement rapatrier par le consul de France à Stockholm. En septembre, il est débardeur à Marseille avant de s’embarquer pour Alexandrie mais, tombé malade à bord, on le laisse à CivitaVecchia. Il visite ensuite Rome et va de nouveau passer l’hiver à Charleville. Au printemps 1878, il va à Hambourg dans l’espoir de trouver à s’embarquer pour l’Orient, un rêve pour lui, mais son projet échoue ; en octobre, il traverse à pied les Vosges, la Suisse et les Alpes, prend le train de Lugano à Gênes et trouve là un bateau qui l’amène à Alexandrie d’où il gagne Chypre. Il y travaille comme chef de chantier, tombe encore malade et rentre en France en juin 1879. Il se rétablit mais contracte une typhoïde et passe l’hiver à Charleville. Il retourne ensuite à Chypre et faute de pouvoir supporter le climat s’embarque pour l’Egypte d’où, le 7 août 1880, il part pour Aden. La maison Viannay, Mazeran, commerce de peaux et de café, l’engage et lui confie la succursale qui vient d’être ouverte à Harrar où Rimbaud arrive le 23 décembre 1880. On dirait maintenant que l’esprit de la mère a gagné ; à cette dernière, Rimbaud fait verser tous ses appointements en recommandant de les placer avec soin ; il accumule des ouvrages techniques du genre. Seule échappée, l’exploration de régions encore inconnues de l’Ogadine sur lesquelles il rédige un rapport publié par la Société de géographie. Il est possible, mais non absolument prouvé, que Rimbaud ait participé à la traite des nègres couramment pratiquée à cette époque en Abyssinie.
 
La fin des quêtes inachevées
En 1887, il tente, pour son compte, une grosse affaire de trafic d’armes, fait venir quelques milliers de fusils d’Europe et forme une caravane pour aller les livrer au roi Ménélik ; ce dernier, cependant, refuse de payer le prix convenu et l’affaire couvre tout juste ses frais. De 1888 à 1891, Rimbaud dirige une factorerie à Harrar et tente encore de profiter du trafic d’armes très actif sur la côte. En février 1891, il est atteint d’une tumeur au genou droit et, à partir du 15 mars, ne peut plus se lever. Rapatrié le 9 mai, il est hospitalisé à Marseille où on doit lui amputer la jambe. Dès que son état le permet, il rejoint sa famille à Roche, mais la maladie continue à progresser et Rimbaud, dans l’espoir d’une amélioration sous le climat méditerranéen, reprend le train pour Marseille, en compagnie de sa sœur Isabelle. Son état va en empirant, sa sœur le convainc de recevoir un prêtre et ce dernier, paraît-il, s’écrie après avoir vu le poète : " Votre frère a la foi, mon enfant, que nous disiez-vous donc? Il a la foi, et je n’ai même jamais vu de foi de cette qualité. " C’est la fin, le grand poète meurt à la force de l’âge. Depuis l’encre ne cesse de couler pour retracer sa vie et son œuvre. Dans les librairies algériennes, Rimbaud est présent, même modestement. Ses poèmes et quelques livres écrits sur lui à l’instar de certaines études et biographies sont en vente.

Par : Yacine Remzi

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