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Dix ans après la disparition de Matoub
Raconte-moi Lounès
25 Juin 2008

Le maquisard de la chanson kabyle, l’idole des jeunes mais aussi des moins jeunes est parti trop tôt. Lâchement assassiné le barde avait encore des choses à dire et à écrire. Sa poésie, un hymne à la beauté est toujours omni présente.Sa vie il l’a consacrée à la musique mais aussi à la revendication berbère. Mythe de son vivant il restera une légende vivante, car un poète peut-il mourir?

25 juin 1998. Le maquisard de la chanson kabyle, comme le nommait Kateb Yacine, tombait sous les balles assassines. Matoub Lounès revenait d’un déjeuner au restaurant le Concorde à Tizi Ouzou en compagnie de son épouse Nadia et de ses belles sœurs quand il fut mitraillé par un groupe embusqué dans les buissons au virage de Tala Bounane. A l’annonce de sa mort, la Kabylie est en émoi, se révolte et pleure le barde, mais un poète peut-il mourir ?
Lounès, l’enfant de Taourit Moussa, dans la commune de Beni-Douala, a été élevé par sa mère. Son père a dû émigrer en 1946 pour essayer de faire vivre sa famille, comme beaucoup de ses compatriotes L’école, il n’aimait pas beaucoup et préférait aller courir dans la nature, poser des pièges pour attraper des lapins ou des étourneaux. La seule leçon d’histoire qui marqua Lounès est celle de Jughurta, roi berbère qui avait osé défier l’autorité romaine qu’il avait combattue héroiquement et qui fut trahi et enchaîné dans une cage. Lounès le ressentit comme un sentiment d’injustice, une blessure personnelle. Ces émotions, voire ces interrogations, ont été des éléments qui ont joué un rôle dans sa prise de conscience identitaire. A l’adolescence, Lounès part vivre avec sa famille aux Issers. Et c’est dans cette commune de la daira de Bordj Ménaiel que viendra l’engouement pour la musique populaire chaâbie et la chanson kabyle. Il vivait sa crise d’adolescence en déployant ses dons artistiques.
«Un volcan dormait en moi et la chanson l’a réveillé. J’ai crié ma colère dans la chanson ; la chanson est ma colère»
A l’âge de 16 ans, il voue une passion pour Dahmane El Harrachi qui était l’ami de son oncle paternel Matoub Moh Smaïl. Il chantait le répertoire de son idole. Il ne se sépare jamais de son mandole que lui offrit son père quand il rentra au pays après trente-six ans d’exil. Ses parents se montrèrent compréhensifs malgré ses échecs scolaires dus en partie à une arabisation brutale. Il se fit renvoyer du lycée pour avoir introduit des livres en tamazight –tifinagh qu’il lisait en cachette. C’était l’époque où les responsables étaient nommés à partir du siège de l’ex-parti unique. Ayant perdu son mandole lors d’une dette de jeu, il fait l’acquisition d’une guitare avec laquelle il animera des fêtes familiales en Kabylie. Durant son service militaire, Lounès écrit de nombreux poèmes. A la quille,  il décide de se lancer avec les quelques notions de musique . Les fêtes étaient un succès, pourquoi alors ne pas se lancer ailleurs ?

Chanter était sa vocation
Il partit en France, en Haute Savoie et commença à chanter dans un café algérien. Il ramassa une somme rondelette : 4.000 francs. Pour lui, c’était inoui, il n’avait jamais vu autant d’argent. Il comptait et recomptait non pas qu’il eut un goût immodéré de la richesse, mais que chanter pouvait devenir sa principale préoccupation. Il écumait tous les cafés «Nord Af». En 1980 il y eut l’Olympia, une salle archicomble mais en même temps les évènements en Kabylie se précipitaient, la revendication berbère qui tenait tant à cœur à Lounès prenait forme, elle s’organisait et montait en puissance. Le MCB, créé en 1976, était au devant de la scène. Et vint le 20 avril 1980 « le printemps berbère », un mouvement pour la reconnaissance de l’identité amazighe qui fut réprimé dans la violence. On est en 1988. Au fil des mois, la tension ne cesse de monter partout en Algérie. Le 5 octobre une lame de fond soulève la capitale et la Kabylie assistait de loin aux émeutes. Lounès, avec quelques étudiants, s’était réuni devant l’université pour distribuer des tracts appelant la population au calme et à deux journées de grève en signe de soutien aux manifestants d’Alger. Puis il se dirige vers Ain El Hammam. Sur la route sinueuse, une Land Rover de gendarmes stoppa net la petite 4 L . Sans comprendre ce qui lui arrivait, il reçoit cinq balles de kalachnikov à la jambe et au ventre. Une d’entre elles a traversé l’intestin ce qui lui vaudra de porter une humiliante poche de colostomie. Les blessures et la convalescence furent une dure épreuve et Lounès s’accrochait à la vie comme il le pouvait en évoquant sa révolte ses chansons et sa guitare

Histoire d’un enlèvement
Takhoukhth, un village réputé être le fief des islamistes. Il est 20h, Lounès qui revenait d’Alger en compagnie de potes fait une halte dans un bar pour un dernier verre. Sur une route qualifiée de tous les dangers, il est surpris par un groupe terroriste composé de neuf éléments dirigé par l’émir Aït Ziane, natif de la haute ville de Tizi-ouzou - qui sera abattu en 1995 – Il est enlevé. La nouvelle se répand à travers la Kabylie. C’est la mobilisation dans toute la région. Les citoyens des villages menacent de représailles les familles des terroristes. Ferhat Mehenni qui dirige alors le MCB coordination nationale, donne un ultimatum: si Matoub n’est pas rendu aux siens sain et sauf, une guerre sera menée contre tous ceux qui, de près ou de loin, les assistent. Lounès, entre les mains des terroristes, est soumis à un interrogatoire en ces termes  « C’est toi l’ennemi de Dieu ». «Tu es un taghout, tu n’as pas le droit de vivre.» Puis il sera interpellé sur la chanson écrite après la mort de Boudiaf «L’Hymne à Boudiaf » «Comment as-tu pu écrire sur ce «chmata»; tu ne sais pas qu’il a envoyé plus de dix milles de nos frères dans le Sud dans des camps de concentration ?» «La démocratie, la musique tout cela c’est kofr. Entre temps, la mobilisation a payé. Après avoir passé deux semaines au maquis et après avoir été «jugé» par l’émir pour toutes les déclarations en public, pour toutes les chansons et poèmes, Lounès est libéré le 11 octobre 1994 et retrouve les siens. Au-delà de cette épreuve, Lounès continue son combat sans ambiguité. Les quinze jours d’enfer ne l’auront pas fait céder. «Je préfère mourir pour mes idées que mourir de vieillesse».

Retour sur un assassinat
Jeudi 25 juin 1998. Il est 13h30. La journée est chaude. Lounès sa femme et ses deux belles sœurs se rendent au village natal, à une vingtaine de kilomètres de Tizi-Ouzou, où il s’était rendu dans la matinée. La Mercedes du chanteur grimpe le chemin tortueux. Au détour d’un virage, c’est le guet-apens. Des coups de feu éclatent. Les occupants de la voiture sont pris sous les tirs croisés d’un groupe terroriste qui mitraillent la voiture en crevant les quatre pneus. Lounès tente d’opérer une marche arrière mais le deuxième groupe l’attendait;  il s’approche de lui et tire deux balles, l’une dans la tête et l’autre en plein cœur. Avec l’arrivée des secours, le médecin ne pourra que confirmer la mort de l’homme.

La foule s’insurge
Ce qui n’était qu’une rumeur s’est vite confirmé. Il l’ont tué ! hurlait la foule en se tapant la tête. A l’intérieur de l’hôpital comme à l’extérieur, des cris, des pleurs et des scènes d’hystérie. Tizi-Ouzou devient ville morte. L’assassinat de Lounès plonge la région dans la tourmente. L’assassinat de Matoub est intervenu dans un contexte politique particulièrement tendu
Lettre ouverte aux…
Le dernier album posthume de Lounes peut être considéré comme une vive critique de la léthargie du giron berbérophone miné par les luttes intestines au point d’avoir manqué de vigilance au maillage islamiste de la région.. D’un avis unamine, son dernier album est une œuvre majeure où il a donné le meilleur de lui-même aussi bien dans la composition des textes que dans la manière même de chanter.
«Faim et découragement peuvent nous surprendre
Nous ne renoncerons pas...
C’est avec les hommes racés et sages
Que l’Algérie sera époussetée de la mystification »
C’est un cri avec des vœux dans l’attente d’être exaucés. C’est la moindre des considérations que l’on doit à un militant qui a fait de la résistance citoyenne. Le sacrifice suprême, il l’a consenti à toute une Algérie qui lui doit déférence éternelle.

Par : Malika Touazi

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