Le Midi Libre - Culture - L’Algérie racontée par Fellag
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«Tous les Algériens sont des mécaniciens» dernier spectacle de l’humoriste
L’Algérie racontée par Fellag
21 Juin 2008

Dans sa dernière création burlesque, le poète de l’humour noir, Mohamed Fellag, montre comment de simples pannes de voiture et des coupures d’eau plongent une rue d’Alger dans un délire mécanique, hydraulique, hertzien, politique, social, existentiel...

Le thème central du nouveau spectacle de Mohamed Fellag, présenté jeudi dernier dans le blog des Nuits de Fourvières, est l’Algérie où il nous fait observer que "le moteur d’une voiture est le seul endroit du pays où la démocratie s’exerce en toute liberté, égalité, fraternité. Chaque citoyen, quelle que soit sa tendance politique ou religieuse, est libre d’émettre, sans risque, son avis et le confronter à ceux des autres. Vous pouvez être démocrate, apostat, islamiste, évangéliste, athée, hindouiste, scientologue, blanc, jaune, noir, un idiot international, un imbécile du Djurdjura ou un crétin des Alpes... devant un carburateur grippé, une batterie à plat, un radiateur qui fuit, la nature humaine renoue avec la fraternité originelle." [...]. "Voici, note l’humoriste, comment de simples pannes de voiture et des coupures d’eau plongent une rue d’Alger dans un délire mécanique, hydraulique, hertzien, politique, social, existentiel..." Salim occupait jadis le poste d’intendant général dans un lycée et sa femme Shéhérazade celui de professeur de français. Faisant partie de la génération des Algériens qui ont été formés en langue française, ils se sont retrouvés tous deux au chômage après que la loi sur l’arabisation de l’enseignement fut décrétée. Ils ont dû quitter le logement de fonction qu’ils occupaient à l’intérieur du lycée pour se retrouver, avec leurs enfants, dans un bidonville de la périphérie d’Alger.  En bon Algérien ‘’qui se respecte’’, Salim s’est toujours frotté avec succès à ce sport national qu’est la mécanique. Pour subvenir aux besoins de sa nombreuse famille, il a ouvert un atelier de réparation automobile. Avec une verve toute méditerranéenne, ce couple truculent nous raconte sa vie. Il nous fait également découvrir les personnages haut en couleurs qui animent ce  ‘’décor’’ à l’algérienne. Il nous révèle l’absurde de leur quotidien, il témoigne de l’ingéniosité de chacun pour accéder par la ruse à la modernité et aux technologies nouvelles. Les activités de l’atelier de mécanique, les techniques farfelues pour fabriquer des paraboles avec des couscoussiers, destinées à capter les médias internationaux, les astuces déployées pour faire face aux coupures d’eau imposées depuis les années 1980 jusqu’à nos jours, font partie des mécanismes de résistance dont Shéhérazade et Salim sont les acteurs. Avec un humour parfois noir et souvent tendre, Fellag entraîne joyeusement son public dans cette société où la tradition et la modernité ne cesse de jouer au chat et à la souris. Aujourd’hui, depuis dix ans et trois spectacles, Fellag est Fellag. Mais, sous la chemise à pois et les bretelles de l’artiste comique se cache l’écrivain témoin d’une tragédie historique. Depuis toujours Fellag écrit. Une prose savoureuse aux teintes chatoyantes qui virent du néo-réalisme au cauchemar et du roman noir à la métamorphose fantastique. Réunis en cinq titres, ses récits et nouvelles sont un hommage aux hommes et aux femmes de son pays capables de résister et de survivre dans un monde bestial. Il faut lire en urgence ces histoires des décennies sanglantes que vit l’Algérie. Comment Fellag détecte-t-il, dans une histoire à pleurer, la présence d’éléments susceptibles de devenir une machine comique ? Comment passe-t-il de la page d’écriture au plateau de théâtre ? Quel est le secret de son alchimie ?’’ Le rire vient toujours à la fin. L’humoriste tient à expliquer sa recette de survie en créant l’hilarité teintée d’un zeste de philosophie : ‘’Pour obtenir un rire qui porte un sens et une conscience, il faut une dose de désespoir suffisante mais pas mortelle, une bonne cuillerée d’amour de la vie, doublée d’une pincée de pessimisme, une mesure de lucidité qu’il faut séparer du bouillon émotionnel. Faire mijoter, laisser refroidir et servir chaud.’’ Lors d’une de ses lectures avec le public, au cours de laquelle il discute du contenu, du style de l’écriture et de la forme du spectacle", le comédien précise que ‘’ pendant des mois, j’écris mes histoires comme des tragédies. Ensuite, pour que les gens rient, pour qu’ils soient dans le plaisir, il me faut créer la distance nécessaire. Sans elle, ce que je raconte serait insupportable.’’ Fellag parle volontiers des deux faces de son métier, mais comment pourrait-il décrire lui-même ce travail de maître horloger où il règle au mot près les ressorts de ses récits, tout en se préservant des temps et des champs de libre improvisation ? Comment raconter l’ajustement quotidien de ses spectacles - ils ne sont pas nombreux, sept en vingt ans, trois en dix ans - au cours de plus de 2300 représentations ? Le secret de Fellag, c’est cette rencontre heureuse de l’humour noir, l’humour énergétique de la rue – don de quelle bonne fée ? – et du travail patient de l’orfèvre qui règle l’anneau au doigt du spectateur.
Sketch, numéro, solo, one man show et blagues ... rien de tout cela ne convient vraiment pour qualifier les spectacles de Fellag. Ce sont des histoires : Dario Fo a joué La storia della tigre et Fellag joue L’histoire du dernier chameau. Mais en pleine Renaissance italienne, Ruzante, que l’on tient pour le fondateur du comique moderne, nous offre encore mieux : il s’est écrit pour lui-même une ‘’parlerie’’. C’est ce que fait Fellag. Sur le mode comique, il parle la tragédie de l’Algérie. D’abord en kabyle et en arabe algérien que l’on appelle darja, ensuite, après un long glissement, en français. Et maintenant dans une combinaison parfaitement inédite des trois langues, qui ne divise pas la communauté des spectateurs mais fait courir dans leurs rangs le rire libérateur : ‘’Je ne sépare pas l’Algérie et la France ; elles sont en moi et c’est la pulsion de l’histoire que je raconte qui fait qu’elle vient de mon algérianité ou de ma francité. C’est l’histoire qui commande, c’est l’histoire qui m’écrit, ce n’est pas moi qui écrit l’histoire’’, tient à souligner l’auteur de Djurdjurassique Bled.

Bio Express
Né en 1950 dans un village de Kabylie, Fellag fait ses études de théâtre à l’Institut National d’Art dramatique d’Alger, de 1968 à 1972, avant d’évoluer sur les différentes planches des théâtres régionaux. De 1978 à 1981, il tente une expérience au Canada, avant de s’installer à Paris, pendant trois ans. En 1985, il effectue un retour en Algérie où il réintègre le Théâtre National Algérien en tant que comédien et metteur en scène. A partir de 1987, il donne naissance à ses premiers monologues. Il s’exile de nouveau en 1994 en Tunisie puis en France où il crée trois spectacles : Djurdjurassique Bled, Opéra d’Casbah, Un bateau pour l’Australie, Che bella la vita, le Syndrome de la page 12 et le Dernier chameau. Sa récente création est intitulé «Tous les Algériens sont des mécaniciens», un spectacle mis en scène par Marianne Épin. Il a dans son escarcelle de création trois recueils de nouvelles et deux romans : Rue des petites daurades (J.C.Lattès 2001) et l’Allumeur de rêves berbères (J.C.Lattès 2007).

Par : F. Baba-Hadji

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