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Le chasseur zéro de Pascale Roze  
Mortellement possédée
5 Juin 2008

C’est après avoir lu le témoignage «J’étais un kamikaze» du sous-lieutenant japonais Nagatsuka Ryuji, que l’idée de cette œuvre  s’est emparée de l’auteur. Pareillement, Laura Carlson, l’héroïne, est happée par le récit de Tsurukawa Hoshi, pilote kamikaze  de 18 ans, mort en 1945 à Okinawa en tuant son père, Andrew Carlson,officier de la marine de guerre américain. Histoire d’une possession.  

Pascale Roze, écrivain, dramaturge et comédienne française a donné mardi une conférence au CCF. Un débat a eu lieu autour de son voyage dans l’écriture romanesque, tôt récompensé par le prix Goncourt et celui du Premier roman pour son ouvrage «le Chasseur zéro» publié en 1996. Très vite, l’engouement du public a confirmé l’appréciation du jury pour cet ouvrage singulier dans le fond et la forme. Avec une écriture à l’économie, faite de phrases courtes, puissantes et ironiques, l’auteur narre l’enfance, l’adolescence et la jeunesse de Laura Carlson qui, ayant perdu son père, officier de marine américain durant la Deuxième Guerre mondiale, grandit dans la morosité d’une rue parisienne d’où la vie semble s’être retirée. Entre des grands-parents ligotés et une mère murée dans le silence, l’ambiance qui enveloppe l’enfant est sinistre. Ce silence se peuple bientôt pour l’enfant de bourdonnements d’oreilles dus à des otites à répétition. Guérie, elle continue à les entendre. «Il m’arrive de penser que si Nathalie était restée au Maroc, je n’aurais souffert jusqu’à la fin de mes jours que de banals bourdonnements d’oreilles», écrit l’héroïne narratrice. Mais dès que cette nouvelle élève arrive à l’école, sa vie d’enfant esseulée s’en trouve transformée. Sa nouvelle amie la pousse à poser des questions sur son père disparu dont elle ne sait presque rien. L’adolescente brise la chape protectrice que ses grands-parents ont érigée autour de leur fille. Ses questions brisent l’équilibre de la maisonnée. Sa mère écume désormais les bars à soldats, comme pour y retrouver le disparu. Elle boit et rentre tard. La grand-mère, autoritaire dame patronnesse, n’arrive plus à mener son monde à la baguette. Laura apprend, enfin, que son père est mort à Okinawa en 1944, des suites de l’attaque d’un chasseur kamikaze japonais. Avec son amie, elle se lance alors à la recherche de tout ce qui concerne cette période de l’histoire et la mort de son père, dont elle retrouve des traces dans les livres. Mais c’est lorsqu’elle lit le journal de Tsurukawa Oshi, jeune Japonais de dix-huit ans qui se prépare à mourir pour son empereur que se réalise l’envoûtement. «Mais ce livre-là, écrit à la première personne, par un jeune homme d’à peine dix-huit ans, je le dévorai, c’est-à-dire je le mangeai, c’est-à-dire qu’il ne fut plus devant moi, mais en moi, que je n’eus plus besoin de l’ouvrir pour savoir ce qu’il y avait dedans, quoique je ne m’en privasse pas. Il fit la connexion de toutes mes facultés, raisonnement et imagination. Il fit mon unité autour de lui. Il la fit au détriment de mon père. Car l’incroyable est que j’oubliai totalement cet homme que j’avais entrepris de chercher, il est vrai à l’instigation de Nathalie.» A ce stade du récit, l’adolescente est encore en quête de consolation et le jeune pilote japonais devient une sorte d’ami intérieur qu’elle appelle pour se sentir mieux face à l’apathie maternelle. Mais, un jour alors qu’elle essaye d’aider sa mère qui cuve son alcool dans les escaliers de l’immeuble, elle perd connaissance, croyant être la cible du chasseur japonais. A partir de là, cette terreur ne la quitte plus. Elle a recours à des subterfuges tels que les boules Quiès et l’entourage permanent de ses camarades d’amphi pour lutter contre Tsurukawa. Même la découverte de l’amour qui au départ la sort d’elle-même ne réussit pas à mettre un terme à cette possession mortifère. Le pilote japonais est là, il prend la place de Bruno, le jeune musicien d’avant-garde qui partage deux années durant sa vie d’étudiante. Lorsqu’elle brise la relation avec Bruno, l’envoûtement devient identification. Elle découvre les joies de la conduite automobile et Tsurukawa Oshi l’accompagne avec son chasseur. La jeune fille, kamikaze à son tour, se jette contre un camion, mais l’instinct de vie est le plus fort, elle donne un coup de volant qui la sauve. «Je ne sais pas qui est mon père, d’Andrew Carlson ou de Tsurukawa Oshi. Ils se tiennent enlacés dans la mort, cramponnés l’un à l’autre au fond du Pacifique. Leur cadavre est identiquement déchiqueté, rongé par le sel. Et moi, je suis au milieu d’eux, je suis leur enfant. Je les appelle. Je voudrais les rejoindre. Et je ne suis pas encore morte, je n’arrive pas à mourir.»    
Au dernier chapitre, la jeune fille est à l’hôpital et se prépare à partir avec sa mère qui, elle, va mieux. «On entend ici un curieux ronronnement. L’infirmière dit qu’il provient du radiateur» sont les dernières lignes du roman, dont les premières  décrivent l’avion de chasse japonais qui se met en marche de bon matin, «tout habillé de noir,sa charge mortelle arrimée au ventre».
D’emblée le lecteur, hypnotisé par le récit, s’approprie la vérité intérieure de l’héroïne, plutôt que la réalité des faits. Ce roman d’un grand réalisme psychologique et d’une écriture vigoureuse, bouscule le lecteur. Il l’interpelle crûment sur la guerre, l’enfance, la vie, l’amour, la mort. Il est étrangement prémonitoire, car l’année même de sa publication, une intervention chirurgicale sauve Pascale Rose d’une mort par rupture d’anévrisme survenue alors qu’elle se surmène pour la publication de l’ouvrage. Née en 1954 à Saïgon, l’auteure a passé quelques mois de son enfance en Algérie. Précédée par «Histoires dérangées», un recueil de nouvelles paru en 1994, «Chasseur zéro» a connu un immense succès en 1996. «C’est Marguerite Duras qui m’a autorisée à écrire», a déclaré l’auteure, rencontrée lundi à son arrivée à Alger. En effet, la femme de théâtre ne s’est mise à l’écriture romanesque qu’après avoir découvert Duras. Auparavant, elle ne s’accordait pas cette quête du sens la considérant comme réservée à certains. Nourrie de littérature classique, essentiellement russe, elle n’osait s’y aventurer. A partir de 1996, le pas est franchi. Ses œuvres se succèdent : Ferraille (1999), Lettre d’été, (2001) Parle-moi, (2003), Un homme sans larmes (2005), L’Eau rouge (2006), Itsik (2008).

Par : Karimène Toubbiya  

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