Glorifié dans toute l’Amérique dite latine, José Marti est à Cuba ce qu’est l’Emir Abd-El-Kader à l’Algérie. A la fois, penseur, érudit et poète brillant cet ardent patriote a précocement pris conscience des souffrances des siens, Noirs et Blancs, pliant depuis quatre siècles, sous le joug sanglant de la domination espagnole. «Connaître c’est résoudre l’histoire de l’Amérique, des Incas jusqu’à nos jours», écrivait-il.
Mort les armes à la main en 1895, au premier combat qu’il a mené à son retour sur son île bien-aimée, José Marti proclamé major général de l’armée de libération considérait que l’indépendance et la révolution sont deux étapes successives d’une même bataille. Edité par l’Anep dans sa collection, «Voix de l’anticolonialisme», cet ouvrage publié en 2006 est un recueil des textes politiques les plus célèbres du père de l’indépendance et de la révolution cubaines José Marti y Pérez (1853/1895). Préfacé par Abdelaziz Bouteflika, le recueil publié par l’Anep offre au lecteur huit textes politiques majeurs dont le rôle fondateur des combats des peuples latino-américains n’est plus à démontrer. Il s’agit de «Mère Amérique», «Nos idée», «Ma race», «Vers la Patrie libre», "Simon Bolivar », «La vérité sur les Etats-Unis», et le fameux «Manifeste de Montecristi» où il analyse longuement ce que doit être pour le peuple cubain , la guerre pour son émancipation. On y lit : «La guerre d’indépendance de Cuba, nœud de cette gerbe d’îles où se rencontreront, d’ici à quelques années, les messagers commerciaux des divers continents, est un événement de grande portée humaine ; c’est un service à point nommé que l’héroïsme judicieux des Antilles rend aux nations américaines, à l’équité de leurs rapports ainsi qu’à l’équilibre encore mal assuré du monde»
Le célèbre Manifeste est suivi d’une lettre inachevée à son ami Manuel Mercado écrite le 18 mai 1895, à la veille de sa mort. On y découvre sa volonté d’arrêter l’expansionnisme des Etats-Unis : «Je risque tous les jours ma vie pour mon pays et pour mon devoir qui est d’empêcher avant qu’il ne soit trop tard, au moyen de l’indépendance de Cuba, que les États-Unis ne s’étendent aux Antilles et ne s’abattent, avec cette force supplémentaire, sur nos patries d’Amérique».
La sensibilité comme fondement identitaire
Concernant l’expression «Nuestra America» qui lui est propre, les chercheurs rappellent qu’il l’a utilisée pour la première fois au Mexique alors qu’il critiquait une pièce de théâtre. «Si l’Europe était le cerveau, Notre Amérique serait le cœur», a-t-il alors déclaré. «C’était la raison face au sentiment chez un jeune formé aux écoles littéraires romantiques cubaines, qui étaient encore fortes. Pour lui, les sentiments et les émotions étaient décisifs et ils s’inscrivaient dans la tradition de l’identité latino-américaine. A l’époque de Bolívar, le Libérateur de l’Amérique Latine, et après aussi, on signalait que la sensibilité était la particularité essentielle de l’identité latino-américaine par rapport à l’Europe.» Pedro Pablo Rodriguez, chercheur au Centre National d’Études sur José Martí, de La Havane poursuit: «J’attire l’attention sur le fait que Marti appelle Notre Amérique les pays situés au Sud du Rio Bravo, qui sert de frontière naturelle entre le Mexique et les Etats-Unis.(…) Au Mexique, Martí à mieux développé deux idées sur le fait que les peuples de l’Amérique Latine sont des peuples nouveaux (…) - et lorsqu’il parle de peuples jeunes, il se réfère indistinctement aussi bien au Mexique qu’à ce que nous avons appelé après l’Amérique Latine tout entière, c’est-à-dire, à l’ensemble de la région - ont en commun le fait qu’ils émergent. Marti a toujours mis l’accent sur le fait qu’il y a des traits communs entre ces peuples nouveaux dont le fait qu’ils naissent et se forment.»
Les derniers textes du recueil sont deux poèmes, dont l’un écrit du bagne, le 28 août 1870 à l’âge de 17 ans. «Cuba et la nuit, telle est ma double patrie./ Double ? Unique peut-être : à peine le soleil/majestueux décline en silence/de longs voiles drapés, un œillet à la main/Cuba, en tout semblable à une veuve triste ...», écrit déjà celui qui célèbre la sensibilité comme fondement identitaire.
De la prison, à l’exil, à la mort au champ d’honneur
Eternel exilé, José Marti a connu la prison à l’âge de 16 ans. Il est jugé et condamné à 6 ans de travaux forcés pour avoir créé un journal nationaliste à l’âge de 15 ans ! Ce fils de la Havane, mort trois ans avant l’indépendance de sa patrie, avait pressenti et annoncé que les Yankees remplaceraient la puissance hispanique. Il a connu l’assignation à résidence et la déportation à Cadix. Etudiant à l’université de Madrid où il obtient une licence en philosophie et lettres, il rédige déjà un texte intitulé «la République Espagnole devant la Révolution Cubaine» en 1871. Après un passage en France il vit au Mexique puis au Guatémala. Il enseigne la littérature française, anglaise, allemande, italienne, l’histoire et la philosophie. En 1878, il revient à la Havane où il tente de s’installer mais toutes les autorisations lui sont refusées. Il se rend alors aux Etats-Unis où il organise sans relâche la résistance cubaine, prononce des conférences, écrit des articles. 1878 le trouve au Venezuela et son œuvre poétique y prend forme. Reprennent alors ses voyages incessants entre Mexico et New-York et une activité infatigable de chroniqueur de la révolution à venir. Armé d’une profonde connaissance de l’Amérique entière, il rejoint la lutte armée pour l’indépendance du pays. C’est la guerre de dix ans qui a coûté à Cuba le huitième de sa population. Lorsque José Marti, tombe dès son premier combat à Dos Rios, tous les révolutionnaires ressentent la perte cruelle de ce pionnier de l’anti-impérialisme.
Penser, c’est servir contre le colonialisme espagnol et l’«américanolâtrie»
Editions Anep, 2006. 110 pages, 185 dinars.