Ce film extraordinairement dense tant sur le plan esthétique que philosophique est souvent considéré comme une riposte soviétique au film-culte «2001, l’odyssée de l’espace» de l’Américain Stanley Kubrick.
Solaris. C’est le nom d’une étrange planète qui a donné son nom à une science, la solaristique. Nous sommes dans un futur indéterminé et depuis le temps que les Terriens étudient cette planète à partir d’une station intersidérale, ils n’y comprennent toujours rien. Il est même question de la bombarder de rayonnements ou de mettre un terme à son étude en fermant la station.
Le docteur Kris Kelvin, célèbre psychologue, est envoyé dans l’espace pour comprendre ce qui arrive à l’équipe scientifique chargée des études solaristiques. En effet, sur une équipe de 80 savants, seulement trois continuent à travailler à bord de la station. A son arrivée, le chercheur ressent d’emblée une étrange ambiance. Guibarian, l’un des chercheurs et son ancien professeur, s’est suicidé. Les deux autres, Staut et Sartorius, se calfeutrent dans leurs espaces de recherche et semblent complètement paranoïaques. Alors qu’il tente de se reposer un peu, Kris prend conscience que d’autres personnes vivent sur la station, traversant les lieux à la manière de fantômes.
Au réveil d’une sieste, il est lui-même surpris par la présence de son ancienne épouse, Harey, qui s’est suicidée il y a des années de cela. Elle ne peut le quitter d’un pas, sans même savoir pourquoi. Pour se débarrasser de celle qu’il commence par considérer comme encombrante, il la met dans une fusée et l’envoie dans l’espace. Mais de retour dans sa chambre, la jeune femme est encore là, toujours attachée à ses pas. C’est quand il se rend compte qu’elle est capable de saigner et de souffrir physiquement que le scientifique décide de l’aimer en retour comme si elle était réellement sa compagne et non pas une illusion faite d’anti-matière, comme le lui ont expliqué ses confrères. C’est la planète pensante dont la forme est celle d’un océan qui explore les inconscients humains durant leur sommeil et matérialise les personnages envers lesquels ils se sentent coupables. Il s’agit en somme d’une sorte de concrétisation de la mauvaise conscience et du remord humains. L’équipe est vite divisée sur la riposte à donner à cet océan qui les noie de phénomènes issus de leur propre vie intérieure. Pendant ce temps, Harey s’humanise de plus en plus au contact de Kris et elle les surprend en soulignant que «placé dans des conditions inhumaines, Kris est le seul à réagir avec humanité». Elle découvre émerveillée une ancienne peinture russe représentant un village sous la neige. Eternelle, Harey souffre terriblement de ne pas «être», dans le sens humain du terme. Torturée par son altérité absolue elle décide de se faire annihiler par les savants de la station. Elle disparaît donc, donnant par son sacrifice une leçon d’humanité aux deux savants qui n’avaient pour elle que mépris et hostilité.
Lorsque l’océan reçoit l’électroencéphalogramme de Kris, les apparitions cessent. «L’océan a donc compris les hommes ?» se demande Kris. La surface huileuse se pare d’îlots verdoyants et des plantes commencent à pousser dans l’espace clos et artificiel de la station.
Dans les dernières séquences du film, Kris retrouve son épouse, puis sa mère et son vieux père dans la datcha ancestrale au bord de l’eau. Son chien se précipite à sa rencontre. Ces moments de bonheur terrestre lui sont offerts par l’océan pensant et réfléchissant.
Dans cette œuvre de 170 minutes, produite en 1972, selon le roman de l’écrivain polonais Stanislas Lem, Tarkovski introduit des séquences terriennes non prévues par la première mouture du scénario écrit en 1969 par Friedrich Gorenstein. Selon le roman, l’action se déroulait entièrement sur Solaris. «Solaris est mon film le moins réussi parce que je n’ai pas réussi à éliminer tous ses rapports avec le genre de la science-fiction. Lem, qui avait lu le scénario, avait décelé ma tentative d’éliminer ces facteurs de science-fiction et en avait été contrarié. Il menaça de retirer son autorisation, si bien que nous rédigeâmes un autre scénario que nous pourrions, je le souhaitais, abandonner en douceur pendant le tournage. Mais nous n’y parvînmes pas complètement», déclarait Tarkovski revenant sur les conditions de naissance du film.
«J’ai besoin de la Terre pour souligner les contrastes. Je voudrais que le spectateur puisse apprécier la beauté de la Terre, qu’il pense à elle en revenant de Solaris, bref qu’il sente cette douleur salutaire de la nostalgie».
Ce en quoi le génial réalisateur réussit à la perfection. Les premières séquences du film, situées en pleine nature et dans la maison de son père qui est une réplique exacte de celle de son arrière grand-père, traditionnelle datcha russe, sont d’une beauté à couper le souffle.
Ce film extraordinairement dense tant sur le plan esthétique que philosophique est souvent considéré comme une riposte soviétique au film-culte «2001, l’odyssée de l’espace» de l’Américain Stanley Kubrick. Le beau roman de Stanislas Lem a été l’objet d’une adaptation américaine par Stephen Soderbergh en 2003.
Poursuivant son cycle Tarkovski, le ciné-club Chrysalide projettera «Le miroir», l’œuvre la plus biographique du cinéaste soviétique, vendredi prochain à 17 heures trente lors de sa séance hebdomadaire.