Le Midi Libre - Culture - Mohamed Balhi mène l’enquête
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Dans «la mort de l’entomologiste»
Mohamed Balhi mène l’enquête
12 Fevrier 2008

Il ne savait pas encore grimper à un palmier que déjà il regardait du côté de Cinecitta ou de Hollywood. C’est que cet enfant de Biskra qu’est Mohamed Balhi a des qualités rares chez un romancier : la capacité de voyager par l’esprit et le don de l’observation. A Algérie Actualité, ce journaliste bourlingueur et polémiste a réalisé quelques-unes des interviews qui ont animé pendant une décennie le débat national, avec des intellectuels de renom. Il a également rédigé quelques-uns des meilleurs reportages dans les colonnes de cet hebdomadaire. Dans la Mort de l’entomologiste on retrouve ces qualités de reporter, d’analyste et d’observateur. Avec une touche de poésie qui ne fait pas de mal.

On retrouve dans vos livres ce goût pour l’enquête et la reconstitution des faits. D’où vous vient ce penchant ?
Il n’y a pas mystère là-dessus, j’ai pris ce qu’il y a de meilleur chez les Anglosaxons, en l’occurrence leur manière de travailler : la rigueur, la minutie, le sens du détail ; contrairement au style d’approche des Français, très marqué par Zola et Voltaire, fait de polémique et d’engagement philosophico-politique. L’Américain Truman Capote est un exemple édifiant de ce que peut être un bon écrivain du roman-reportage puisque son chef-d’oeuvre De sang froid est le fruit de cinq années de travail ; Truman Capote est allé sur le terrain, vérifiant un point, recueillant des avis, épluchant des PV, etc.

Dans la Mort de l’entomologiste, vous êtes revenu sur une période trouble de l’Algérie, la décennie 90. Et là, vous dépassionnez le débat en montrant les calculs bassement sordides d’une certaine forme de banditisme qui se cache derrière un écran politique.
Le piège à éviter est de décrire un univers caricatural, avec en plus de bons sentiments. C’est le péché mignon de la littérature engagée, où il y a d’un côté les méchants, et de l’autre, des gens parfaits. Il faut donc se débarrasser du revers de la main des clichés d’usage, parce que la vie de tous les jours est si complexe et si difficile à cerner. Dans la Mort de l’entomologiste, même si je ne m’attarde pas sur certains détails, les personnages sont vrais. Ils ont leurs traits de caractère, évoluent en fonction de leurs instincts, de leur destinée et donc de leurs itinéraires personnels. Je ne dresse pas un univers en noir et blanc, il y a toutes les nuances du gris. En parlant de l’intégrisme religieux, j’essaye de comprendre pourquoi il a émergé dans notre société ; ce phénomène a pris naissance avec la mauvaise gestion, le clanisme, la médiocrité et le banditisme politique.
Vous avez longtemps été à l’hebdomadaire Algérie Actualité, mais aujourd’hui la presse n’est pas dans votre tempérament. Je me trompe ?
Ah, la redoutable question ! Quand on n’est plus ministre, on redevient un individu, mais le journaliste, même s’il n’exerce plus, reste toujours un journaliste. C’est ce qui me rassure, en mon for intérieur, néanmoins, si j’ai quitté la presse, c’est pas par abandon, faute de jus et de conviction, mais tout simplement parce que la presse privée —à part quelques respectables individualités qui s’y trouvent—, agit aujourd’hui comme du temps du Code de l’indigénat, avec d’un côté les actionnaires et, de l’autre, des salariés astreints à la tâche de galériens. La presse privée est une victoire sur la mentalité du parti unique, et c’est une bonne chose ; elle doit jouer un rôle de contrepouvoir et non devenir un pouvoir de l’argent ! J’estime qu’elle doit faire sa propre révolution. Ce que je redoute le plus, c’est qu’elle se transforme en réceptacle des désiratas des concessionnaires d’automobiles, des opérateurs de téléphonie mobile et des marchands de soupe ; qu’on ne puisse plus distinguer l’information du publireportage ! Ce que je crains, aussi, c’est la disparition de l’espace consacré à la culture. Je félicite vivement ceux qui, au sein de la profession, tentent de faire du vrai journalisme, en parlant des choses de la vie.

Dans votre roman, l’un de vos personnages féminins se balade entre Alger et New York. Vous aimez les villes cosmopolites, non ?
Alger est un grand douar ; certes j’y vis, mais, de par ma culture, je ne me retrouve pas en elle. Je suis convaincu que mon point de vue est partagé par beaucoup de monde de ma génération. Le fait que l’intégrisme religieux ait poussé aussi vite, au coeur de la capitale et dans sa périphérie, doit donner à réfléchir. C’est moi qui ai signalé pour la première fois, dans un article de presse, que les Algériens ont le dos tourné à la mer. Comme si nous étions de faux Méditerranéens. Une capitale est par essence une ville cosmopolite, ça n’est pas le cas d’Alger. L’interprète de l’ONU, une Algérienne, qui sert de modèle à Fatima, dans la Mort de l’entomologiste, et qui passe sa vie dans l’avion, est une bouffée d’oxygène. L’interprète apporte une touche particulière, une dimension internationale ; le piment de la vie.

Vous décrivez également avec une grande finesse la psychologie féminine. D’où vous est venu cet intérêt pour cet aspect romanesque ?
Etant donné que la femme peintre et son amie interprète sont les principaux personnages qui font et défont l’intrigue, il est normal que je m’attarde sur leur psychologie interne. Je ne vous dis pas par qui j’ai été influencé mais ce qui est sûr c’est que celles-ci ont existé. Elles m’ont marqué par leur sensualité et leur culture. Qui n’aime pas la sensualité ? Cela étant, je ne fais pas de démagogie, donc je n’idéalise pas les femmes. Je ne fais pas de discours politique pour séduire un électorat moderniste.

On retrouve dans vos livres l’attrait qu’exercent sur vous des auteurs comme Agatha Christie. Quels sont les autres auteurs que vous lisez ? Quel est le livre qui vous a le plus marqué ?
Agatha Christie ? Pas beaucoup. Quand on était au lycée, on lisait beaucoup James Hadley Chase et San Antonio. Je rends hommage à un ami d’enfance, un matheux, qui m’a fait découvrir Edgar Poe. C’est ce que je lisais dans notre cave, en pleine sieste. L’ouvrage qui m’a le plus marqué c’est Robinson Crusoé de Daniel Defoe ; j’ai lu plus tard la version philosophique de Robinson Crusoé à travers Hay Ibn Yaqdhan. Mais rassurez-vous, je n’ai pas lu que ça. Je lis tout ce qui me tombe entre les mains (polar, romans latinoaméricains, récits érotiques anciens, textes religieux, fiction moderne, science-fiction, littérature arabe, essais en tout genre, etc.) Je n’aime pas un genre particulier. Et puis ça n’est pas parce que j’ai écrit un bon polar, qu’on va m’enfermer dans ce genre ! J’aime passer d’un genre à un autre, j’aime la polyvalence comme je le faisais dans la presse.

En dehors de la littérature et du journalisme, vous vous intéressez également au cinéma et à la musique. Quelles relations établissez-vous entre ces différentes expressions artistiques ?
Surtout le cinéma. Mais avec la sécheresse actuelle...La mort de l’entomologiste est écrit comme s’il était destiné à être un jour un film. La mort du cinéma algérien est une catastrophe pour tous les créateurs. J’ai des projets de scénarios mais ils ne passeront pas avec la télé actuelle, où l’on préfère la tranquillité des thèmes qui ne dérangent pas.

Pourquoi avez-vous basé l’action de votre livre dans la Mitidja. Pourquoi ce choix ?
La Mitidja est une région passionnante, bien décrite pas ailleurs, en plein terrorisme dans une série d’articles d’Abdelkrim Djilali. C’est le coeur de l’Algérois, c’est un monde à part (Jules Roy, n’est-ce pas?), et c’est là que les prémices de la violence ont apparu.

Un dernier mot ?
Je remercie ceux qui ont écrit sur mon roman, par amour de la critique littéraire et non par complaisance. J’ai dit aux gens des médias que la Mort de l’entomologiste ne m’appartient plus dès lors qu’il a été publié. Vous me voyez, moi, faire de l’auto-promotion à longueur de journaux ? J’aurais vraiment honte. Permettez-moi de parler de Selma Hellal, des éditions Barzakh, qui m’a assisté dans mon travail jusqu’au bout et qui m’a fait confiance. J’aime son professionnalisme.

Par : Rachid Mechtras

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