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«Néopatriarcat» de Hisham Sharabi
L’évolution distordue des sociétés arabes
24 Janvier 2008

«Théorie du changement distordu dans la société arabe». L’auteur de cet essai donne une définition claire et précise du concept  : «Le néopatriarcat n’est à proprement parler ni moderne ni traditionnel — par exemple, il lui manque, en tant que formation sociale, à la fois les attributs communautaires de la Gemeinschaft («communauté») et les traits modernes d’une Gesellschaft (société)».

On connaissait le patriarcat, système d’organisation sociale qui, jusqu’à l’âge moderne, a dominé dès les premiers temps de l’humanité. Hisham Bashir Sharabi (1927/2005) crée, pour analyser le monde dont il est issu et essayer de comprendre son retard endémique, le concept de néopatriarcat. Ce faisant, le chercheur palestinien innove. Examinant les sociétés arabes contemporaines, il les définit non pas comme patriarcales, mais comme néopatriarcales. L’essai, initialement et significativement intitulé «Théorie du changement distordu dans la société arabe» est traduit de l’anglais par Yves Thoraval et préfacé par Jacques Berque (1910/1995). L’auteur y donne une définition claire et précise du concept  : «Le néo patriarcat n’est à proprement parler ni moderne ni traditionnel — par exemple, il lui manque, en tant que formation sociale, à la fois les attributs communautaires de la Gemeinschaft («communauté») et les traits modernes d’une Gesellschaft («société») —. Une telle formation sociale, entropique, est caractérisée par sa nature transitoire et par des traits spécifiques de sous-développement et d’absence de modernité observables dans son économie et sa structure de classes tout comme dans son organisation politique, sociale et culturelle. Elle est, par ailleurs, d’une extrême instabilité, déchirée par des contradictions et des conflits internes, comme le dit un auteur libanais actuel, «la nostalgie, le regret et le deuil».
Selon le sociologue palestinien, le néopatriarcat est un patriarcat affecté non pas par la modernité mais par sa rencontre souvent violente du monde moderne, notamment lors des colonisations, appelée modernisation. En effet si le patriarcat renvoie à une forme universelle de société traditionnelle qui revêt un caractère différent dans chaque société, la modernité fait référence à une phase historique de développement qui est loin d’être partagée par toutes les sociétés du monde. Cette phase en dépassant le patriarcat l’a conceptualisé et dans le même temps, a établi la différence entre sa forme traditionnelle et sa forme  «modernisée». Hisham Sharabi pose comme postulat de départ à son étude le fait qu’au cours des cent dernières années, les structures patriarcales de la société arabe n’ont été ni bousculées, ni profondément modernisées. Elles n’ont été écrit-il que renforcées et conservées mais sous une forme altérée. Il s’attaque au terme de «Réveil», Renaissance (Nahda) utilisées par les hommes politiques et penseurs arabes du 19 ème siècle. Cet «éveil», selon l’essayiste a non seulement échoué à briser les relations et les formes internes du système traditionnel mais il est à l’origine de l’éclosion d’une espèce nouvelle et hybride de culture –société. Celle qu’aujourd’hui nous pouvons observer un peu partout dans le monde arabe. Car c’est bien d’une forme historique concrète, modelée par des dynamiques internes et externes qu’il s’agit.

Patriarcat et dépendance
Les deux sources constitutives du néo-patriarcat sont pour Hisham Sharabi, le patriarcat et la dépendance. Après avoir posé la question de la possibilité d’une modernisation en dehors du développement capitaliste, Marx et Weber estimaient que le capitalisme — en tant que force porteuse de révolution ou de rationalisation— était exportable et que la conséquence inévitable de l’introduction de l’échange des produits et du mode capitaliste de production ne pourrait être que le remplacement des structures traditionnelles par des structures modernes. «Aucun des deux n’a été prévu» écrit Hisham Sharabi «le développement d’un capitalisme dépendant, est rétrospectivement la seule forme de capitalisme historiquement possible à l’aube du capitalisme européen , sur un marché mondial dominé par l’Occident.» Cette sorte de capitalisme n’a pu créer ni une vraie bourgeoisie, ni un vrai prolétariat. Une classe sociale hybride distincte des deux et qualifiée par le chercheur de petite bourgeoisie néo-patriarcale est devenue la classe dominante caractéristique de cette société.
Dans le temps, l’auteur situe l’avènement du néo-patriarcat au moment où l’impact occidental devient un facteur central de la vie sociopolitique arabe. L’ère néo-patriarcale se diviserait selon lui en trois périodes principales : « Celle de la domination ottomane, qui prend fin avec le Première guerre mondiale ; celle de la domination politique européenne, entre les deux guerres mondiales (plus tôt pour l’Egypte et l’Afrique du Nord) ; enfin, la période d’après les indépendances, de la seconde guerre mondiale à nos jours. En-Nahda, le réveil qui a succédé au déclin dont le début remonte à la désintégration de l’empire abbasside au 13 ème siècle a échoué à saisir la vraie nature de la modernité.

Du pessimisme de l’esprit à l’optimisme de la volonté
Une impuissance généralisée, permanente et apparemment insurmontable caractérise le néo-patriarcat. Dans cette société, les attributs de la modernité ne sont qu’extérieurs. La force intérieure, l’organisation et la conscience qui caractérisent les véritables formations modernes lui font cruellement défaut. Par contre sa modernisation issue le plus souvent de la colonisation agit comme un mécanisme qui favorise le sous-développement et l’entropie sociale «lesquels produisent et reproduisent à leur tour la conscience et les structures hybrides, traditionnelles et semi-rationnelles de la société néo-patriarcale».
Le diagnostic très sévère que l’auteur pose à l’issue de l’examen de sa société, il le conclue par la question Que faire ? Après avoir décortiqué le patriarcat, la modernité, la formation sociale du néo-patriarcat, ses origines sociohistoriques, le discours qu’il produit et sa phase finale où s’épanouissent les mouvements islamistes dits fondamentalistes, l’auteur ouvre quelques perspectives de changement. Elles sont, selon lui, contenues dans le passage du machtstaat («Etat de force») au rechtstaat («Etat de droit»). «Qu’est-ce qui empêche de détourner la stabilité imposée par l’ordre existant, du registre de la violence à celui de la légalité ? Que faut-il faire pour contraindre l’Etat à parler le langage du droit plutôt que celui de la force ? Ou pour obliger le pouvoir à prendre ses propres lois au sérieux ?» se demande t-il ? Stigmatisant les formes de lutte basées sur la violence il ne l’élimine cependant pas totalement. Il existe des mesures différentes, non violentes et efficaces qui méritent d’être explorées souligne-t-il simplement. «Au pessimisme de l’esprit, la seule alternative passe résolument par l’optimisme de la volonté » est la dernière phrase de l’ouvrage.
L’essai de Hisham Sharabi est à n’en pas douter une excellente base de réflexion à tous ceux que le devenir des sociétés humaines interpelle.
L’anthropologue algérien,le regretté Mahfoud Bennoune (1936/2004), a adopté les outils de réflexion et d’analyse proposé par son collègue palestinien comme base de départ de son propre ouvrage «La femme algérienne, victime d’une société patriarcale». Ainsi se dessine peut-être, loin des approches classiques ou fondamentalistes une appréhension originale de la réalité douloureuse que constitue la réalité perturbée de tragédies des sociétés arabes.
Hisham Sharabi, né en 1927 à Jaffa en Palestine est décédé le 13 janvier 2005 à Beyrouth. Diplômé de l’université américaine de Beyrouth et de l’université de Chicago, il a été un militant très actif en même temps qu’un chercheur et un auteur prolifique.

Par : Karimène Toubbiya

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