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"Quand on refuse on dit non", le roman posthume d’Ahmadou Kourouma
Le récit d’un défi
19 Janvier 2008

L’écrivain ivoirien Ahmadou Kourouma est mort en 2003 sans avoir pu terminer son dernier livre. Mais il a laissé un manuscrit suffisamment fourni pour être publié. Cela donne «Quand on refuse on dit non», un roman court et concis qui plonge le lecteur au cœur de l’histoire ivoirienne et du conflit qui l’a endeuillé depuis septembre 2002.

Ainsi, Ahmadou Kourouma a quitté le monde des lettres et des vivants sans avoir eu le temps d’achever son œuvre. Il était en train d’écrire un roman sur l’histoire de la Côte d’Ivoire et sur le conflit qui endeuille son pays depuis le 19 septembre 2002. Son manuscrit a été édité par les éditions du Seuil en 2004 sous ce titre : «Quand on refuse on dit non». Ce roman a pour toile de fond les événements dramatiques du pays en guerre. On y retrouve le petit Birahima, l’enfant-soldat gouailleur et futé «d’Allah n’est pas obligé», l’autre chef-d’œuvre de Kourouma. Il a fui «le pays sauvage et barbare du Liberia» pour se retrouver chez son cousin, à Daloa, ville du sud-est ivoirien où il est aboyeur pour une compagnie de taxis-brousse et mène des lors une vie tranquille. Birahima, qui tente de parfaire son éducation, est même amoureux de Fanta, la fille du troisième imam de la mosquée, «belle comme un masque de gouro».
Cependant, le cauchemar rattrape rapidement le jeune garçon puisque «la guerre tribale» éclate. Daloa, c’est la capitale du pays bété, l’ethnie du Président Gbagbo. «Les Bétés sont fiers d’avoir plein d’ivoirité» et «n’aiment pas les Dioulas comme moi», explique Birahima. La ville de Daloa va être attaquée par les rebelles du Nord et devenir le théâtre de leurs affrontements avec les loyalistes et les mercenaires recrutés par le Président. Les Dioulas sont en danger. Le père de Fanta est tué. La jeune femme décide de fuir vers le Nord. Elle propose à Birahima, qui sait se servir d’une kalachnikov, de l’accompagner. Mais le voyage ne ressemble pas vraiment à une lune de miel...
Par ailleurs, tout au long de leur périple, Fanta se propose de raconter l’histoire de la Côte d’Ivoire à Birahima. Le temps de la fuite côtoie celui de l’Histoire dans ce récit enlevé, qui se dévore d’une traite et n’épargne personne. D’Houphouët-Boigny, qui a laissé la corruption généralisée s’installer «parce qu’il était lui-même corrompu, corrupteur et dilapidateur», à Laurent Gbagbo, élu lors de la plus calamiteuse des élections qu’eut connues la Côte d’Ivoire dans sa brève vie démocratique», en passant par Henri Konan Bédié, «qui fit sienne l’idéologie de l’ivoirité», et Robert Gueï, général d’opérette manipulé et dépassé par les événements...
Pour autant, le livre n’est pas un règlement de comptes. Il prêche la tolérance et, logiquement, détruit le concept même d’ivoirité. «Les ethnies ivoiriennes qui se disent ‘’multiséculaires’’ (elles auraient l’ivoirité dans le sang depuis plusieurs siècles), c’est du bluff, c’est de la politique, c’est pour amuser, tromper la galerie», analyse Birahima à la lumière de ce que lui raconte Fanta. Puis, plus loin, Kourouma écrit : «L’ivoirité est le nationalisme étroit, raciste et xénophobe qui naît dans tous les pays de grande immigration soumis au chômage.»
Ce dernier roman est également perçu comme un testament laissé par l’écrivain à ses compatriotes, les suppliant d’arrêter les tueries et les charniers. A travers les yeux (et les oreilles !) de Birahima, il tente de faire passer le simple message de la paix, pourtant si difficile à appliquer. L’ex-enfant-soldat interprète les leçons de Fanta de façon naïve et pertinente à la fois. C’est un régal d’écriture... La dernière phrase du livre est probablement la dernière qu’ait écrite Kourouma qui, jusque sur son lit d’hôpital, à Lyon, a continué son récit avec opiniâtreté sur son ordinateur portable qui ne le quittait pas.
Ce fut donc son dernier défi d’homme et d’écrivain : «Comment rendre compte d’une histoire en train de se faire et de se défaire constamment sous nos yeux ? Comment achever le roman d’un pays qu’on n’a pas fini de voir naître ?», s’interroge de son côté, Gilles Carpentier, l’éditeur. Qui explique : «En écrivant ce livre dans l’urgence (huit mois de travail ininterrompu), lui-même contraint à un exil dont il ne voulait pas admettre la fatalité, Ahmadou Kourouma savait qu’il ne faisait pas seulement œuvre littéraire. Plus encore que ses autres livres, celui-ci s’inscrivait dans une perspective politique et civique. Il lui fallait être à la fois précis et pressé. »
Pour rappel, victime des déchirures identitaires qui saignent son pays depuis le 18 septembre 2002, Ahmadou Kourouma a été régulièrement la cible, pendant tous ces mois de crise, de certains journaux ivoiriens. Accusé de sympathie avec la rébellion qui contrôle la moitié nord du pays, la presse a été jusqu’à remettre en cause sa nationalité ivoirienne. L’écrivain a pris position, c’est vrai. Contre l’ivoirité, «une absurdité qui nous a menés au désordre». Et pour la paix. En septembre 2002, il avait pris part à la Coalition pour la patrie, une association ivoirienne d’hommes politiques, de culture et de loi, qui s’est attelée à ramener la paix en Côte d’Ivoire.
Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire, comme l’Afrique, a plus que jamais besoin d’une plume aussi lucide. Malheureusement, en attendant la réincarnation de Kourouma, il faudra se contenter de relire ses livres.

Par : Semmar Abderrahmane  

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