Si vous trouvez une pierre cylindrique de «structure homogène et cohérente» surtout ne la prenez pas pour un simple caillou ! Elle pourrait être l’un des premiers instruments de musique que l’habitant du Hoggar néolithique a créé !
On savait déjà qu’il y a 7500 à 2000 ans avant J-C, les Maghrébins savaient polir les pierres. On apprend, à la troisième journée du colloque international sur la préhistoire maghrébine, qu’ils savaient également les faire chanter. Admirablement.
Avis aux amoureux des promenades dans le désert : si vous trouvez une pierre cylindrique de «structure homogène et cohérente» surtout ne la prenez pas pour un simple caillou ! Elle pourrait être l’un des premiers instruments de musique que l’habitant du Hoggar néolithique a créé !
C’est ce qu’a démontré, avant-hier, M. Eric Gonthier, maître de conférence au Musée de l’homme de Paris. Après avoir longuement exposé les résultats de deux années de travail, le chercheur du Trocadéro a offert aux participants le premier concert de musique préhistorique du Hoggar. D’une pierre cylindrique ressemblant à s’y méprendre aux «pilons sahariens», le chercheur fait jaillir par percussion des sons cristallins résonnant comme des cloches.
M. Eric Gonthier s’est retrouvé plongé dans la paléo-musicologie par le hasard de cette découverte. Pressenti par M. Marceau Gast, directeur de recherche au CNRS, comme l’a souligné Malika Hachid lors du débat, cette vocation musicale des pierres cylindriques du Hoggar a été rendue évidente après l’observation par M. Gonthier des petits bouts de feutrine sur lesquels s’appuient les cordes du piano. M. Eric Gonthier, qui n’était arrivé à tirer jusque-là que des notes fondamentales du lithophone posé à même le sol, a réussi à faire sonner les harmoniques en posant les deux extrémités de la pierre sur des petits bouts d’une matière spéciale trouvée dans les poubelles du Musée de l’homme ! En opérant de la sorte, M. Gonthier a obtenu une dispersion contrôlée des ondes sonores de l’instrument. D’où une lecture audible de la note fondamentale et l’apparition du phénomène de résonance.
A partir de là, a commencé l’énorme travail d’analyse lithoacoustique du matériau étudié pour prouver qu’il s’agit bien d’un instrument de musique préhistorique. Avec le concours du célèbre ethnomusicologue et multi-instrumentiste Tran Quang Hai, Eric Gonthier a mis en évidence des plans isomorphiques dans les lithophones cylindriques subsahariens néolithiques. Autrement dit, il a mis en évidence ce qui distingue cette pierre d’un simple caillou : sa capacité à produire des sons précis, selon qu’elle est précisément percutée à un endroit ou à un autre de sa morphologie. Ce qui est le propre de tous les instruments de musique produits caractéristiques de l’élaboration humaine.
«Ce qui révèle chez l’homme du néolithique énormément de réflexion et de savoir. Ainsi que le respect de cette chose de virtuelle qui est la musique.», a souligné M. Gonthier qui a assuré que la production de cet instrument que l’on nomme lithophone «a dû demander au moins une année de travail à l’homme de la période néolithique. Il a eu lui-même fort à faire en réalisant des lithophones expérimentaux qu’il a découpés à la scie en diamant dans des blocs de granit.
Ramassée au même titre que les pilons sahariens, la pierre est suspectée par le chercheur d’être la pierre d’être un instrument musical à partir de sa connaissance de l’existence de lithophones formés de lames de pierres au Burkina Faso, au Viet-nam, en Chine et en Ethiopie. Le travail de M. Gonthier relance le débat sur la paléomusicologie, tant de nombreux objets sont classés comme armes ou comme outils domestiques alors que ce sont des instruments de musique !
Mme Malika Hachid a, au cours du débat qui a suivi la communication, fait part d’une situation analogue existant dans la vallée encaissée de l’Oued Djerrat dans la région d’Illizi.
Il s’agit d’une énorme pierre posée dans le creux d’un rocher et qui produit un son impressionnant lorsqu’elle est roulée d’une certaine manière. Ce son qui se propage très loin est amplifiée par l’encaissement de la vallée. Selon la tradition orale de l’endroit, il se serait agi d’une manière de donner l’alerte aux tribus riveraines à l’époque des razzia. Ce que la chercheuse algérienne semble remettre en question suspectant une probable origine plus ancienne de cet ensemble qui s’apparente à un lithophone géant. Mme Malika Hachid s’est également posé la question de la relation entre les gravures rupestres et la pratique musicale des hommes du néolithique maghrébin. Elle a fait part d’une paroi gravée qui répercute les propos chuchotés à 20 mètres de là. Enfin, les chercheurs ont été unanimes à tirer la sonnette d’alarme concernant les risques de déperdition de cet important matériau d’étude que sont les lithophones. «Tout le monde peut en jouer, ce qui a fait grimpé leur prix. C’est autant d’objets précieux soustraits à la recherche préhistorienne…», a déploré M. Gonthier.
Au troisième jour du colloque, les intervenants ont abordé la période néolithique et ses différents courants au Maghreb. Comme au cours des journées précédentes, les chercheurs se sont succédé à la tribune pour communiquer le résultat de centaines d’heures de travail sur des sites archéologiques locaux. Des travaux qui donnent matière à des débats de plus en plus riches. Hier, lors de la dernière journée des travaux, le thème abordé a été : «Nouvelles données sur l’Art des régions sahariennes : inventaires, chronologies et sens.»