Lorsque Edith Piaf apprend que l’avion du vol Paris-New York, que son amour a pris pour la rejoindre, s’est écrasé, elle hurle sa douleur à pleines tripes. Comme hurlent les femmes en deuil du monde méditerranéen dont elle perpétue la lignée. C’est également ainsi qu’elle chante. Jusqu’à son dernier souffle à l’âge de 47 ans, le 10 octobre 1963 à Plascassier, un hameau de Grasse dans les Alpes-Maritimes.
Ce 28 octobre 1949, où Edith Piaf en tournée à New York apprend la mort du champion de boxe français Marcel Cerdan semble être le climax du scénario d’Olivier Dahan qui a écrit et réalisé le film. De ce deuil impossible vont naître «Mon Dieu», «Hymne à l’amour» mais aussi la dépendance grandissante de la chanteuse aux doses de morphine qu’elle prend pour atténuer la douleur morale devenue maladie chronique. Tout le long du film, le réalisateur privilégie cette approche de l’intériorité affective du destin de la grande chanteuse parisienne. Ce faisant, il réalise plus un portrait émotionnel qu’une biographie classique de l’artiste.
Le rôle de mentor de jeunes talents et les personnalités littéraires et artistiques de premier plan qui l’ont entourée sa vie durant semblent être laissés volontairement dans l’ombre. Ses expériences au cinéma et au théâtre sont également à peine effleurées et son dernier mari Théo Sarapo (1936-1970) avec lequel elle écrit et interprète «A quoi ça sert l’amour ?» n’apparaît guère. Ce n’est pas le cas des bonnes comme des mauvaises fées qui ont entouré l’enfance de cette personnalité hors-norme. Cette vie explorée par ses étapes les plus douloureuses semble justifier le choix du titre de ce cinquième film sur Edith Piaf. «La Môme» c’est cette enfant misérable d’un contorsionniste normand et d’une chanteuse des rues italo-kabyle. Confiée à sa grand-mère maternelle Aïcha Saïd Ben-Mohammed qui s’en occupe très mal, elle est reprise par son père et élevée dans la maison close dirigée par sa grand-mère paternelle. Chouchoutée par les prostituées, elle devient très croyante lorsqu’après avoir perdu la vue, elle la recouvre suite à un pèlerinage au tombeau de la sainte Thérèse de Lisieux qui est sa cousine au quatorzième degré. Cette foi ardente la caractérise et elle ne monte jamais sur scène sans sa médaille sainte. Préadolescente, son père la reprend et elle partage l’errance de l’acrobate qui, après avoir quitté le cirque, n’a d’autre recours pour survivre que de se donner en spectacle dans la rue. Edith-Giovanna l’aide à soutirer quelques sous aux passants en chantant. Son talent éclatant est vite repéré par les professionnels du spectacle. Pour cerner ce parcours unique, le réalisateur fait évoluer son film en deux périodes parallèles : celle de la consécration à New York où elle remporte un triomphe au Carnegie Hall en 1956-57 et celle de l’enfance et de l’adolescence en Normandie et sur le pavé du vieux Paris. Les images de la belle enfant aux yeux bleus, la frêle jeune fille errante à la voix puissante et la femme brisée et précocement vieillie se succèdent, se chevauchent, reconstituant une existence par ses fragments livrés en vrac, comme le fait naturellement le cerveau humain. Le rôle d’Edith Piaf est interprété par Marion Cotillard, actrice française née en 1975, qui avoue qu’afin de camper ce personnage complexe, elle l’a étudié à travers ses films et les écrits qui lui sont consacrés, à tel point qu’elle est devenue Piaf. La jeune actrice a été choisie par le réalisateur en raison de sa ressemblance physique avec la chanteuse. L’orientation du scénario privilégiant l’intériorité du personnage, sa sincérité, sa justesse, sa soif de justice, la rigueur morale qui ressortent de ses propres écrits ont guidé Marion Cotillard. Le réalisateur dit s’être décidé pour ce sujet proposé par le producteur Alain Goldman lorsqu’il a découvert une photo de l’artiste, très jeune accompagnée par sa fidèle amie Simone. Cette photo qui dévoile un aspect très peu connu de la star moulée de noir, l’a intrigué et lui a indiqué cette approche originale dont il ne se départit à aucun moment du film. Il sera impossible au spectateur de ne pas être remué profondément par ce film qui, à travers la tristesse d’un parcours singulier, est également un film sur l’ampleur de la misère humaine dans une capitale française pas si éloignée du Paris du vieux Hugo.