En Algérie, l’Emir Abd-El-Kader est plus connu pour son sabre que pour sa plume.
Dans les musées et expositions, on peut admirer ses armes plus souvent que ses écrits.
Pourtant, celui dont la personnalité et la vie ont été l’objet de centaines d’essais et de conférences à travers le monde a lui-même produit une somme considérable d’écrits. Et quel esprit libre que le sien !
Il semble que ce soit surtout dans son pays natal, malgré les efforts de la fondation qui porte son nom, que cet aspect de l’activité intellectuelle de l’Emir ait subi cette forme insidieuse d’occultation consistant à privilégier son parcours de patriote combattant le colonialisme français à la tête de sa smala.
L’Emir réduit à une icône
Comme pour Massinissa, Jugurtha, la Kahina, Fatma N’Soumeur… tout a été fait pour que l’image du cavalier intrépide doublé du stratège militaire bouscule dans notre imaginaire collectif les autres faces de ce personnage complexe qui était avant tout un érudit et un penseur. Sérieusement encadré puis formé dans un célèbre établissement d’Oran, l’Emir lisait, dans le texte, Aristote, Ibn Khaldoun, Platon et Pythagore. Le lecteur a un aperçu de ses connaissances encyclopédiques à la page 179 de sa «Lettre aux Français : Dhikr el-Aqil». L’Emir y livre une étude des langues persane, himyarite, arabe, grecque, syriaque, hébraïque, latine, copte, berbère, andalouse, hindoue, chinoise et en souligne les forces et les faiblesses.
Selon un des traducteurs de ses œuvres, Charles-Henry Churchill : «Les œuvres de Platon, Pythagore, Aristote, les traités des plus fameux auteurs de l’ère des califes, sur l’histoire ancienne et moderne, la philosophie, la philologie, l’astronomie, la géographie et même des ouvrages de médecine, étaient parcourus avec ferveur par l’étudiant enthousiaste. Sa bibliothèque se développait sans cesse. Les plus grands esprits l’entouraient. Il n’aurait pas changé l’intimité qu’il entretenait avec eux contre tous les trônes de l’univers.»
Lui qui avait connu dès 1817, à l’âge de 19 ans, la condamnation à mort, la prison et l’obligation de quitter son pays, déjà sous le règne du bey d’Oran, n’avait qu’une aspiration. Il souhaitait consacrer son temps à l’étude, retiré des hommes et entouré des livres de sa riche bibliothèque (plus tard brûlée par Bugeaud). Le contexte historique en a décidé autrement qui a forcé ce penseur et ce mystique à prendre les armes.
Celui qui disait : «L’homme ayant reçu de Dieu le don de la perfectibilité, rien ne le dépare plus que de négliger son âme et de la dépouiller de cette faculté.» a été réduit par tous les pouvoirs algériens au simple rôle d’icône de la résistance anti-coloniale. Son image s’est peu à peu figée comme la statue de la place qui porte son nom à Alger.
Quarante-cinq mille lettres
Selon la fondation Emir Abdelkader, l’œuvre de l’Emir est surtout épistolaire puisqu’il aurait écrit 45 000 lettres et était entouré de cinq secrétaires.
Le listing de ses œuvres, tel qu’établi notamment par le site officiel d’El-Mouradia et par l’Institut du monde arabe de Paris, révèle l’expression d’une pensée qui embrasse plusieurs domaines : philosophie, politique, poésie mystique et profane, commentaires ésotériques. Les correspondances adressées à ses ennemis aussi bien qu’à ses amis (dont Dupuch, le premier évèque d’Alger après la colonisation), sur les questions liées au combat libérateur, au traitement des prisonniers de guerre, aux relations entre Orient et Occident sont considérées aujourd’hui comme de véritables traités d’humanisme.
Le site officiel d’El-Mouradia se contente d’énumérer les ouvrages de l’Emir qui ont été édités en Algérie, à savoir : « Dhikrâ al-âqiI » traduit en 1856, puis de nouveau en 1977. Cette seconde traduction de R. Khawam porte le titre de « Lettre aux Français » est rééditée par les éditions Rahma à Alger. Ainsi que « AI-miqràdh aI-hâdd » réédité par la même maison d’édition. Egalement citée «AI-Sayra al-dhàtiyya » qui est une autobiographie, éditée par Dar-al-Umma.
Y est cité également « AI-mawâqif : médiations mystiques » publié en 1996, à Alger par l’ENAG en 3 volumes. Le site signale également «La correspondance dispersée dans plusieurs ouvrages ou dans les bibliothèques et qu’il faudrait éditer.» Sans plus.
L’Institut du monde arabe de Paris offre un catalogue plus exhaustif. A l’occasion de l’inauguration le 27 mai 2006 d’une place Abd El Kader dans le 5e arrondissement, à proximité de la Mosquée de Paris, l’institut propose une bibliographie des ouvrages et des articles de et sur l’Emir Abd El Kader disponibles dans son fonds documentaire.
Des écrits politiques
et philosophiques…
La fameuse «Lettre aux Français » :
« Notes brèves destinées à ceux qui comprennent pour attirer l’attention sur des problèmes essentiels ». Ces écrits où l’émir Abd-el-Kader examine le statut et le traitement des prisonniers de guerre sont considérés comme précurseurs de la convention de Genève.
La traduction intégrale des manuscrits originaux (277 pages) est assuré par René R. Khawam et éditée par les éditions Phébus de Paris en 1977.
Une « Autobiographie » écrite en prison en 1849 et publiée pour la première fois par l’Emir Abdelkader. Elle est traduite de l’arabe par Hacène Benmansour et éditée par Dialogues en 1995. Le texte arabe et sa traduction française sont en regard.
Dans «Abd el Kader et le Maroc en 1838 » édité par Georges Yver et publiée dans « Revue africaine » en 1919, de larges extraits des écrits de l’émir sont publiés en arabe et suivis de leur traduction française.
«Les Chevaux du Sahara» du Général E. Daumas contiennent des textes de l’émir Abd-el-Kader. Cet ouvrage de 276 pages est édité par les éditions Ola de Paris en1998 et illustré par Marine Oussekine.
Une Proclamation de l’Emir Abdelkader aux habitants du Figuig en 1836 est éditée et traduite par L. Gognalons et par la «Revue africaine», à Alger, en 1913. Le texte arabe est suivi de la traduction française.
Les «Ecrits spirituels» de l’Emir est un ouvrage de 224 pages, présenté et traduit de l’arabe par Michel Chodkiewicz et édité par les Editions du Seuil de Paris en 1982.
Toujours dans le registre mystique l’institut propose « Recueil de textes extrait de : « Kitab al- mawaqif » ou « le Livre des haltes ». Cette œuvre étonnante narre les dévoilements mystiques de l’émir qui était d’ascendance maraboutique, appartenait à la confrérie des Kadiryas et se réclamait de l’enseignement du cheikh El-Akbar, Ibn Arabi (1165, Murcie/1240, Damas.)
Dévoilements
mystiques et stations spirituelles
Une autre édition de cette œuvre qui narre les dévoilements mystiques vécus par l’émir notamment durant ses pèlerinages et
sa retraite à Damas, existe sous le titre : « Le Livre des haltes : Kiteb al-mawaqif ». Elle est traduite et annotée par Michel Lagarde et édité en deux volumes en 2000/2001.
Une « Correspondance de l’Emir Abdelkader avec le Général Desmichels » et des documents relatifs à l’époque d’Abdelkader sont présentés par A. Zouzou et publiés par l’Union des écrivains algériens en 2003 à Alger. Cet ouvrage bilingue arabe-français compte 330 pages.
Une chronologie avec en annexe « Abd el Kader en France : documents de l’époque » est éditée et proposée par l’IMA.
Y existe également le livre d’Abd-El-Kader intitulé «Rappel à l’intelligent, avis à l’indifférent : considérations philosophiques, religieuses, historiques...» traduit par Gustave Dugat et Bouslama en Tunisie. Pour cette reproduction de l’édition originale de 1858, il est signalé une pagination erronée.
Un verbe poétique
Les «Poésies d’Abd-el-Kader composées en Algérie et en France» sont éditées par Henri Pérès pour la Société historique algérienne à Alger en 1932 . Elles sont accompagnées de notes bibliographiques.
Les «Poèmes métaphysiques de l’Emir Abd el-Qader l’Algérien» sont traduits de l’arabe et présentés par Charles-André Gilis, aux éditions parisiennes de l’Oeuvre en 1983, dans la «Collection sagesse islamique».
Les écrits de l’émir sont également publiés dans l’œuvre «L’Un et le multiple » : pour une nouvelle lecture de la poésie mystique de l’Emir Abdelkader, présentée et traduite par Mohamed Souheil Dib et édité par l’ANEP à Alger en 2002.
Pour marquer le second centenaire de la naissance de l’émir, la commémoration officielle qui a eu lieu s’est résumée à une visite effectuée par les autorités de Mascara au siège de la Fondation, à son lieu de naissance et à la grotte où il s’isolait pour lire le Coran.
Quid de l’héritage moral et politique de celui qui préférant les richesses de l’esprit a refusé la proposition que Napoléon III qui lui offrait de prendre la tête de l’Etat arabe qu’il envisageait de créer en Syrie à la suite du démembrement de l’empire ottoman ?
Il serait grand temps que dans notre pays soient restituées toutes les dimensions des personnalités qui ont fait l’Algérie d’aujourd’hui. Il y va de sa survie.