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«Florilège» de Mohammed Bencheneb
Le dernier des encyclopédistes
12 Juillet 2007

Avec un parcours studieux fait de recherches et de publications spécialisées dans de nombreux domaines, Mohammed Ben Cheneb, fils de Médéa, fait la jonction entre l’Algérie de nos aïeux et celle d’aujourd’hui.

Sous le titre original de «Mounthakhabate fi ta’lif oua ettarjama oua attahqiq» cet ouvrage de Mohammed Bencheneb est écrit dans les deux langues. Edité en 2007, ce recueil présente un large éventail des travaux de Mohammed Ben Cheneb (1869/1929), qui par son prodigieux savoir multidisciplinaire est le dernier des encyclopédistes. Du droit canon à la poésie en passant par la linguistique, l’onomastique, la théologie, la pédagogie, l’éducation des enfants et l’histoire, ces articles et extraits de travaux de Bencheneb donne un aperçu de ses centres d’intérêt. De nombreux textes consacrés à la poésie algérienne du 18 ème siècle et à la vie quotidienne des Algérois revêtent aujourd’hui valeur d’héritage. Ainsi au chapitre traitant des mots d’origine turque et persane dans le parler des Algériens, on apprend que cet héritage linguistique est assez faible. L’auteur répertorie 239 mots dont 72 appartiennent au domaine militaire, 31 au monde maritime, 39 dans l’alimentation, 59 relèvent des instruments et ustensiles de cuisine et 55 de l’habillement. Les autres étant des noms de métiers etc. Bencheneb souligne que les noms commençant en bach et finissant en dji sont typiquement locaux et n’existent pas en Turquie. Le chapitre sur l’origine du mot chachiya révèle la finesse de l’intuition du chercheur qui ne se contente pas d’évidences et de vérités toutes faites. Ainsi il rejette la piste facile de la parenté entre le mot chech (turban) et le mot chachiya (bonnet), qui découlerait de la mousseline dont le premier était fait. Se référant au Mo’djam d’El-Bakry il subodore une origine ethnique, qu’il a tôt fait de confirmer : «C’est du pays de Châch que Châchiya tire son origine. Châch est une contrée située à l’est du Sir-daria ou Sihoûn de nos cartes, et était (et l’est encore peut-être) habitée par une peuplade turque.» peut-on lire en page 204. Sous l’intitulé « La vie civile musulmane à Alger », Ben Cheneb documente le lecteur sur le quotidien des Algérois des générations précédentes sans l’inconvénient habituel du regard colonial ultra subjectif.
Un brillant parcours
L’œuvre scientifique de Mohammed Ben Cheneb s’étend sur une trentaine d’années. Sont listées au premier chapitre de l’ouvrage qui est une biographie succincte de l’érudit, les publications de ses recherches. Notamment des traités de droit, de pédagogie, des traductions de poètes algériens tels que Ben Msâyeb, poète tlemcénien du XVIIIème siècle, des travaux sur les proverbes arabes de l’Algérie et du Maghreb ou sur la transmission de la tradition de Bokhary aux habitants d’Alger. Un travail sur la condition de la femme dans la sunna et un texte sur « Abû Dolma poète bouffon de la cour des premiers poètes abbassides » précède une recherche historique sur « La farisiya ou les débuts de la dynastie hafside par Ibn Qonfode de Constantine.» « Ibn Khatima, poète arabe du VIIIème siècle de l’hégire » est une communication au Congrès international des Orientalistes auquel l’auteur a pris part en 1928 à Oxford. Le lecteur trouvera également un traité de numérologie : «Le chiffre trois chez les Arabes » et « La consolation des cœurs dans les nombres par Abû Mansûr at-Taâlibi de Nichapour ».
la biographie de ce professeur et savant algérien apprend au lecteur qu’il est né à Takbu, près de Médéa, le 26 octobre 1869 et qu’il est mort à Alger le 5 février 1929.Il était le fils d’un cultivateur de la banlieue de Médéa et d’une femme de la famille Bashtarzi. Ses ancêtres étaient des Turcs originaires de Brousse en Turquie. Après avoir suivi les cours de l’école coranique et de l’école française, il est collégien à Médéa dans l’établissement qui porte aujourd’hui son nom. Normalien de l’école de Bouzaréah, il est à l’âge de 19 ans, en 1888, l’un des premiers instituteurs d’origine indigène. Tout en enseignant le français aux petits musulmans de la Casbah, il suit des cours privés et publics, au lycée, dans les mosquées, et à l’Ecole de Lettres. Boulimique de connaissances, il puise au patrimoine de Shaykh Abd el-Halim Ben Smaya, de Ben Sedira, Cat, Fegnan et René Basset. Après avoir remplacé son maître Ben Sedira à l’Ecole des lettres, il est nommé, à 29 ans, professeur à la médersa de Constantine où il enseigne l’arabe durant trois ans. Ce sera ensuite la médersa d’Alger et simultanément l’Ecole des Lettres où il assure un cours de métrique arabe et d’arabe dialectal. Il assure également des traductions d’actes judiciaires. En parallèle, il donne des cours de hadith à Djamâa Safir dans la Casbah.
En 1909, lorsque l’université d’Alger est créée, il est chargé de conférence à la faculté des Lettres tout en gardant sa chaire à la médersa. La qualité de son enseignement en font un professeur très recherché à l’auditoire de plus en plus nombreux. Il publie de nombreux articles dans les publications spécialisées de l’époque et signe de nombreux ouvrages. Il assiste à presque tous les congrès scientifiques de son temps et préside des jurys d’examen. En 1920, il est élu à l’Académie arabe de Damas et en 1922, il est admis au grade de docteur es-lettres à la fac d’Alger. En 1924, Il est nommé professeur à la chaire de langue et littérature arabes. En 1928, il représente l’Université d’Alger au XVII ème congrès international des Orientalistes à Oxford.
Il était temps qu’un pareil livre sur un pareil homme soit édité ne serait-ce que pour battre en brèche l’image préfabriquée d’ancêtres plongés dans l’ignorance la plus crasse que d’aucuns cherchent à imposer aux nouvelles générations.

"Florilège" de Mohammed Ben Cheneb
Edition CASBAH, 2007 dans le cadre d’"Alger, capitale de la culture arabe 2007".

Par : Karimène Toubbiya

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