Il n’aime pas qu’on le compare à Woody Allen, mais le style de ses romans rappelle étrangement celui du cinéaste américain. Avec ce côté décalé, corrosif, nonchalant.
François Weyergans, prix Goncourt 2005 pour son roman «Trois jours chez ma mère», était à Alger il y a quelques semaines, à l’invitation des éditions Seddia qui ont réédité son livre. Après avoir participé à l’émission de la radio Chaîne III le Papier bavard, de Youcef Sayah, et signé quelques dédicaces à la librairie du Tiers Monde, l’auteur a animé une rencontre-débat à l’Ecole supérieure algérienne des affaires (ESAA) Club des Pins.
Qui est François Weyergans ? Très brièvement, c’est un écrivain et réalisateur belge né le 9 décembre 1941 à Etterbeeek (près de Bruxelles), d’un père belge, écrivain lui aussi, et d’une mère française. Il est l’auteur de douze romans dont la «Démence du boxeur», prix Renaudot 1992, et «Frantz et François», Grand prix de la langue française 1997.
Ce qui peut retenir le plus l’attention de cet écrivain, c’est sa formation chez cinéaste. En effet, après des études inachevées, François Weyergans s’oriente vers le cinéma ((IDHEC) et réalise son premier film sur Maurice Béjart, dont il devient un ami. Il réalise deux longs métrages qui ne seront jamais projetés et entre en analyse chez Jacques Lacan. Du reste, il raconte cette analyse dans un livre sarcastique «Le Pitre» qui obtient le prix Roger Nimier en 1973. Dès lors, nous dit sa biographie, il se consacre entièrement à l’écriture et «travaille de onze heures du soir au lendemain midi». Un peu à la manière de Balzac. Ou peut-être de Proust. Et, puis, toujours, cet homme du cinéma conspue la télévision qu’il tient «pour une entreprise de crétinisation générale».
Est-il facile de parler de sa mère ? Ce n’est pas évident. François Weyergans avait commencé par parler de son père, dans son roman «Frantz et François». Et dans un autre roman «Salomé». Un livre qu’il avait écrit à l’âge de 26 ans et qu’il avait gardé dans ses tiroirs pour ne le publier qu’à l’âge de 60 ans, en même temps que «Trois jours chez ma mère.»
Synopsis (comme on dit au cinéma) : Le héros de ce roman, un homme très désemparé (François Weyergraf), décide, le jour de ses cinquante ans, d’annuler tous ses rendez-vous afin d’essayer de savoir où il en est. Il voudrait changer de vie, de métier, de femme, de ville et même d’époque. «Je refuse, se dit-il, le côté vomitoire de celui qui se penche sur son passé, je veux m’élancer vers le futur». Cependant, il ne peut pas abolir ce passé dont il voudrait se délivrer. Il se souvient d’un voyage de deux mois, en Italie et en Grèce avec sa femme. Ce voyage avait failli les séparer, mais le souvenir qu’il en garde le rend plus amoureux.
C’est un roman moderne, en ce sens qu’il est une parodie des romans biographiques. Il parle de lui-même, mais en fait ce je est un autre. Comme disait Rimbaud. Les meilleurs westerns ne sont-ils pas en fait les parodies de westerns, ou bien Don Quichotte n’est-il pas ce qu’il y a de mieux dans les romans de chevalerie ? On y trouve la dérision décapante qui met du baume bien au cœur.
Et puis moderne, par l’usage qui est fait du téléphone (avant le portable). «Il se pourrait qu’un jour je regrette, non pas d’avoir trop peu parlé à ma mère puisque je lui téléphone tous les jours, mais de l’avoir trop peu vue, surtout depuis quelques années». C’est-à-dire que le téléphone devient, non pas un instrument qui rapproche les cœurs, mais plutôt qui les sépare. Qui les éloigne l’un de l’autre.
Le téléphone devient une interface entre les personnes. Il permet de se donner bonne conscience. «Il y a longtemps que je n’ai pas vu ma mère, mais je lui passe des coups de fil.» Ce que le narrateur explique par ces petits mots ! «Ma chère mère, octogénaire, est plus radicale que moi. Au téléphone, elle a résumé la situation : Finalement (lui dit-elle) , je ne t’aurai pas beaucoup vu dans ma vie.» Et pan !
Oui, «Trois jours chez ma mère» est un livre décapant : On y meurt beaucoup, il y a beaucoup d’enterrements, mais ce n’est pas un roman morbide. Loin s’en faut. Au contraire, c’est plein d’humour, d’émotion et de rire.
D’autant plus que c’est un roman gigogne, des romans dans un roman. Le narrateur Weyergeaf s’invente un autre Graffenberg, qui s’invente à son tour un Weyerstein. Tous ces personnages ont un projet jamais achevé. Au cours de la table ronde organisée à l’ESAA, des Pins-Maritimes, il explique qu’il faut toujours avoir un projet «car l’absence de projet c’est la mort».
Parmi les autres romans de François Weyergans, on peut citer «Salomé» : dans l’Europe des années 60, un jeune cinéaste voyage beaucoup et découvre un opéra célèbre : «Salomé». Il mêlera désormais les femmes dont il rêve, qu’il appellera toutes Salomé, aux femmes moins nombreuses mais réelles de sa vie. «Frantz et François» : vingt ans après la mort de Frantz, catholique fervent, auteur de best-sellers sur l’amour fidèle et l’éducation chrétienne, son, fils François se lance, affectueusement mais avec une bonne dose de hargne, dans une explication virtuelle. Rire et pleur : Michel, biologiste, spécialiste de la mémoire, devient tout à coup incapable de comprendre sa propre vie. Au retour d’un congrès, il découvre que sa femme est partie avec leur fille. La vie d’un bébé : la grossesse comme on ne vous l’a jamais racontée. Celle-ci est vue de l’intérieur, par le principal intéressé, le fœtus lui-même.