Le Midi Libre - Culture - «Montrer l’éloquence dans toute sa splendeur»
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Entretien avec Arezki Métref auteur du film « At-Yenni paroles d’argent»
«Montrer l’éloquence dans toute sa splendeur»
1 Juillet 2007

Projeté en avant-première, dimanche, à la salle Ibn-Zeydoun de Riyad el-Feth dans le cadre de la manifestation «Alger capitale de la culture arabe 2007», le premier documentaire d’Arezki Metref offre une tribune aux habitants d’ At-Yenni, connus pour être autant habiles orfèvres que brillants orateurs. En Kabylie on les surnomme, Ihaddaden b’awal, les ciseleurs du verbe. Arezki Metref, homme de plume, a bien voulu nous faire part de cette première expérience cinématographique.

Midi-libre : Comment avez-vous pu réaliser un film avec le budget très modeste que le ministère de la Culture octroie dans le cadre de la manifestation Alger capitale de la culture arabe 2007. Avez-vous bénéficié d’autres sources de financement ?
Arezki Metref : Non, il n’y a pas d’autres sources de financement. En plus de la subvention du ministère et de l’apport du producteur, Yazid Arab, nous avons sollicité une aide à l’assemblée de wilaya de Tizi-Ouzou qui nous l’a accordée. Mais cette aide reste faible aussi. Eh bien, nous avons fait un documentaire avec un tout petit budget ! Nous avons dû, les uns et les autres, faire des sacrifices pour arriver à réaliser ce film.

Comment avez-vous constitué l’équipe ? Combien de journées de tournage vous a pris ce documentaire ? Quelles sont les principales difficultés que vous avez rencontrées ? Racontez-nous cette aventure.
Dès lors que j’ai commencé à travailler avec Yazid Arab, les choses sont devenues relativement faciles pour moi. Enfin, c’est une façon de parler. Le fait est qu’il a réuni une toute petite équipe, dont Akli Metref, Ali et Ferhat pour le tournage et l’excellent chef monteur Rachid Zait. Nous n’étions pas très nombreux sur le film. Par contre, nous avons filmé une trentaine d’intervenants, que nous avons fini par considérer comme membres de l’équipe, en regard de leur engagement pour la réussite du film. Je ne sais pas pendant combien de jours nous avons tourné. Les choses se sont faites en deux temps, mais je crois que, l’un dans l’autre, cela devrait faire une quinzaine de jours. L’essentiel des difficultés rencontrées sont de l’ordre des moyens matériels et tiennent, en fait, au peu de temps dont nous avons disposé. D’ailleurs, ce problème de temps, lié aux échéances contractuelles de remise du film, nous a contraints à revoir à la baisse notre projet. Beaucoup de choses prévues dans le script n’ont pu être filmées, ce qui est dommage, bien sûr ! L’une des conséquences de ce manque de temps est la difficulté à faire participer davantage de femmes. Vous savez que dans nos sociétés, la représentation de la femme est soumise à des pressions et des pesanteurs nécessitant un travail d’approche préalable. Autant les hommes se sont montrés disponibles, accueillants, jouant le jeu, autant les femmes pressenties ont différé les rendez-vous qui n’ont pu de ce fait aboutir. Mais, sans doute, la difficulté de réaliser la parité n’est-elle pas seulement due à une question de délais. Elle procède aussi pour une très large part du sujet du film lui-même : cette friction constante entre tradition et modernité. S’il y avait eu plus de femmes que d’hommes, cela aurait été le fruit d’un acte volontariste et militant, éloigné de la réalité sociologique de la Kabylie.

Le film laisse les personnages poser des questions et semble peu soucieux d’y répondre. Sur l’origine des noms de tribu, de lieu, etc. Pourquoi ?
Le film ne laisse pas les questions sans réponse. La démarche est la suivante, pour l’ensemble du film, et en particulier pour sa partie historique, les citoyens d’At-Yani s’expriment sur leur histoire telle que rapportée par l’écrit autant que par les sources orales, sans la médiation «des forces légitimes», c’est-à-dire le pouvoir politique ou le savoir. Ce sont donc des citoyens qui rapportent, avec toute la marge d’incertitude et d’interrogation inévitable, leur généalogie historique, leur genèse toponymique telles qu’elles leur sont parvenues. Qu’il y ait des contradictions sur les explications des uns et des autres, qu’il y ait des incertitudes sur tel ou tel aspect historique ou légendaire, est doublement inévitable. Primo, même chez les historiens très documentés, ce type d’incertitude existe, a fortiori chez des témoins lambda. Secundo, une part de vérité peut surgir des contradictions entre les interventions.
Un aspect important que j’ai tenu à faire ressortir dans ce film, et qui n’est malheureusement perceptible que par les kabylophones, est la très grande délicatesse de cet art oratoire possédé par les personnages filmés. Nous avons tenu à faire apparaître cet aspect d’autant qu’il justifie, d’une certaine manière, le titre du documentaire, les gens d’At-Yani étant surnommés les orfèvres de la parole. Le film a également été conçu comme une sorte de joute oratoire où l’éloquence qui est, je le rappelle le fondement essentiel de la politique et de la civilité, s’exprime dans toute sa splendeur.
Nous n’avons pas voulu faire un documentaire scientifique mais une sorte de poème à plusieurs voix. Un poème qui répond tout de même à des questions essentielles d’histoire et de sociologie.

Les événements qui ont récemment marqué la Kabylie ou même la guerre de Libération nationale ne sont pas traités. Est-ce un choix délibéré ? Pourtant At-Yenni n’a pas peu contribué à la résistance anticolonialiste et au mouvement de Libération nationale.
Les références directement politiques n’apparaissent effectivement pas. Ce n’est pas faute d’avoir posé les questions. Ce qui a intéressé la plupart des intervenants c’est plutôt l’identité historique à travers l’ancrage réel et légendaire, et la sociologie des mutations. C’est peut-être mieux ainsi. Nous pourrions bien sûr envisager un autre travail factuel sur la résistance au colonialisme dont les At-Yani ont été un fer de lance en 1857, selon les témoignages des historiens. Quant à la dernière période, celle du Printemps noir, elle nécessite à elle seule un autre travail dont j’ai fait une première approche en discutant avec les partisans des arouchs et ceux qui ne le sont pas. Quoi qu’il en soit, à At-Yani, ils parviennent, semble-t-il à discuter entre eux. Pour résumer, le sujet ne me fait pas peur, loin s’en faut, mais il s’emboîtait mal avec le reste.

Finalement, vous semblez avoir travaillé un peu comme les peintres dits «naïfs» : de la lumière, des couleurs bousculent le spectateur sans rien lui expliquer. Est-ce un choix ?
C’est peut-être la perception que l’on peut avoir à travers la simplification inévitable de la traduction partielle. C’est un film qui n’a rien de touristique ni de naïf mais qui pose clairement des problématiques majeures concernant la réappropriation par les témoins de leur propre histoire, Quant à la couleur et à la lumière c’est plutôt un avantage pour le film qu’elles soient si belles.

Quel sera le circuit du film ? Quand sera-t-il diffusé en Algérie ?
C’est le genre de question à laquelle il m’est impossible de répondre à l’heure actuelle. Il m’importe qu’il soit vu en Algérie, bien sûr, mais aussi à l’étranger, car ce genre est universel dans la mesure où il s’agit du portrait d’un lieu fait par ceux qui l’habitent.

Vous êtes connu comme homme de plume à travers vos chroniques, vos articles, vos poèmes et pièces de théâtre, est-ce que votre rencontre avec le cinéma est un coup de foudre passager ou une passion durable ?
Les spécialistes du sentiment amoureux savent qu’une passion ne peut pas être durable. Je vous ferai une réponse malheureusement très prosaïque. Je suis venu à ce film en homme d’écriture, ce qui reste dans le droit fil de ce que j’ai toujours fait. Je ne souhaitais pas en être le réalisateur. Les circonstances en ont décidé autrement. Ce serait vous mentir si je vous disais que je n’y ai pas pris goût mais je n’ai pas l’intention de devenir cinéaste.
Cependant il y aurait bien deux ou trois projets du même genre que j’aimerais réaliser.

Par : Karimène Toubbiya

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