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Edition du 18 Décembre 2025



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Constantine, la cité suspendue
Un plan ambitieux de restauration pour raviver l’âme millénaire de l’Algérie orientale
18 Décembre 2025

Perchée comme un aigle sur les falaises abruptes du wadi Rhummel, Constantine n’est pas seulement une ville ; c’est un poème architectural gravé dans la pierre, un labyrinthe de ponts suspendus et de ruelles sinueuses qui défient la gravité et le temps. Surnommée la « Ville des Ponts » ou encore « l’Aigle des Plateaux », cette perle de l’Est algérien, classée au patrimoine mondial de l’Unesco pour ses paysages uniques, a longtemps lutté contre l’oubli urbain et l’usure des ans. Mais aujourd’hui, un vent de renaissance souffle sur ses remparts : la ministre de la Culture et des Arts, Malika Ben Douda, a annoncé un vaste programme d’investissement pour la restauration de la vieille ville.

Une opération qui, loin d’être un simple rafistolage, vise à hybrider tradition et modernité, transformant ce joyau en un hub culturel et touristique dynamique, tout en préservant jalousement son identité architecturale originelle.
Cette initiative, dévoilée lors d’une visite de travail ce mercredi dans la wilaya de Constantine, s’inscrit dans une stratégie nationale plus large impulsée par le président Abdelmadjid Tebboune pour la sauvegarde du patrimoine. Avec un budget encore en cours de finalisation – estimé à plusieurs centaines de millions de dinars algériens –, le projet englobe non seulement les façades emblématiques mais aussi les infrastructures souterraines et les espaces publics. « Nous ne rénovons pas des pierres ; nous ressuscitons une mémoire vivante. Constantine, berceau des civilisations berbère, romaine, arabe et ottomane, mérite d’être un modèle de résilience culturelle pour toute l’Afrique du Nord », a déclaré la ministre Ben Doudou devant une délégation d’experts et d’élus locaux. Son discours, prononcé sous le regard vigilant du wali de la wilaya, Kamel Eddine Ramoul, a été accueilli par des applaudissements nourris, signe d’un consensus rare dans un pays où les projets patrimoniaux peinent souvent à décoller.

Une vieille ville en péril :
le défi d’un héritage fragile
Pour comprendre l’envergure de cette annonce, il faut remonter aux racines de Constantine. Fondée il y a plus de 2.300 ans sous le nom de Cirta par les Numides, la cité a connu les fastes de la Numidie antique, les conquêtes romaines – qui lui ont légué des vestiges comme le pont des Chutes –, puis l’ère ottomane avec ses palais aux arabesques délicates et ses zawiyas soufies. Au XIXe siècle, sous la colonisation française, elle devint un centre administratif clé, orné de bâtiments haussmanniens qui se fondent aujourd’hui dans le tissu médiéval. Mais le XXe siècle, marqué par la guerre de Libération et l’industrialisation hâtive, a laissé des cicatrices : effondrements de falaises, pollution industrielle et urbanisation anarchique ont rongé ses joyaux.
Aujourd’hui, la vieille ville – délimitée par les remparts ottomans et les sept ponts mythiques, dont le Sidi M’Cid reliant les deux rives du Rhummel – abrite encore 20.000 âmes dans un dédale de 300 hectares. Pourtant, plus de 40% de ses bâtiments historiques sont en état de délabrement avancé, selon un rapport récent de l’Institut national de recherche en archéologie et ethnologie (INRAE). C’est dans ce contexte que l’intervention de l’État s’impose comme une bouée de sauvetage. Le plan ministériel prévoit une phase pilote axée sur trois axes : la consolidation structurelle (renforcement des fondations contre les séismes et les crues), la réhabilitation esthétique (restauration des mosaïques, des stucs et des bois sculptés) et l’intégration numérique (visites virtuelles en réalité augmentée pour les touristes). Des partenariats avec des firmes internationales, comme l’Institut français du patrimoine ou l’Agence internationale pour le développement culturel (AIDC), sont d’ores et déjà en discussion pour injecter expertise et technologies de pointe.

La zawiya Tijania, un sanctuaire
en renaissance
Au plus fort de sa visite, la ministre s’est immergée dans le cœur battant de La Casbah, ce quartier historique où les odeurs d’épices se mêlent aux échos des appels à la prière. Accompagnée du wali et d’une escouade d’architectes, elle a inspecté les travaux de restauration de la zawiya Tijania inférieure, un édifice soufi du XVIIIe siècle niché au pied du rocher de Sidi Bouziane. Fondée par Sidi Ahmed Tijani, figure majeure du soufisme maghrébin, cette zawiya n’est pas qu’un lieu de culte : c’est un conservatoire vivant de la musique andalouse et des rites confrériques, fréquenté par des milliers de pèlerins annuels.
Les ouvriers, casqués et armés de lasers de mesure, ont exposé à la ministre les défis techniques : infiltration d’eaux pluviales, effritement des voûtes en plâtre ciselé et pollution atmosphérique due aux usines voisines. « Nous utilisons des mortiers traditionnels à base de chaux aérienne, mélangés à des fibres végétales, pour respecter l’authenticité », explique l’ingénieur en chef du projet, qui prévoit une réouverture partielle d’ici l’été 2026. Ben Doudou, visiblement émue, a touché du doigt une inscription calligraphique restaurée : « C’est un trésor spirituel et culturel, un fil reliant notre présent à l’héritage des ancêtres. Le préserver, c’est honorer notre identité nationale et l’humanité entière, car le soufisme tijani transcende les frontières. » Son enthousiasme a contagé l’assemblée, transformant une simple inspection en un moment de communion collective.

La Maison de la création :
vers un musée des âmes constantinoises
La journée s’est poursuivie par une escale à la Maison de la création, un joyau discret inauguré en 2012 dans l’ancien palais Beylical. Ce centre multifonctionnel, qui abrite ateliers d’artisanat, galeries et résidences d’artistes, est un vivier de talents locaux : potiers inspirés par les motifs berbères, graveurs de corail et peintres contemporains y œuvrent dans une symbiose rare. La ministre, flanquée de conservateurs, a déambulé dans ses salles voûtées, admirant des expositions temporaires sur l’art constantinois – des tapisseries numides aux installations vidéo sur la migration.
Face à ce potentiel inexploité, Ben Doudou n’a pas hésité : « Transformons cet espace en un musée dédié à l’histoire et aux arts de Constantine. Un lieu qui célébrera nos figures emblématiques – de l’écrivain Dib à la chorégraphe Hadjerès – et qui servira de plateforme pour les créateurs émergents et le public. Ouvert à tous, il deviendra un rayonnement culturel, un pont entre hier et demain. » Cette vision muséale, qui inclut des archives numérisées et des ateliers interactifs, pourrait attirer jusqu’à 100.000 visiteurs par an, selon des projections du ministère. Elle s’aligne sur des initiatives similaires à Alger (le Musée national des Beaux-Arts) ou Oran, formant un réseau national de « musées vivants ».

Impacts socio-économiques : au-delà des pierres, un levier de développement
Loin des discours lyriques, ce plan de restauration porte une dimension pragmatique indéniable. En revitalisant la vieille ville, l’État mise sur un effet d’entraînement : création de 500 emplois directs dans la restauration et le tourisme d’ici 2027, selon les estimations du ministère du Tourisme. Constantine, qui ne capte que 5% des flux touristiques algériens (contre 30% pour Alger), pourrait doubler sa fréquentation grâce à des circuits thématiques – randonnées pédestres sur les ponts, spectacles de malouf dans les zawiyas. « C’est un investissement dans le tissu social : les jeunes, souvent marginalisés, trouveront ici des formations en métiers d’art, évitant l’exode vers les villes du Nord », souligne une artisane locale interrogée sur place.
Sur le plan économique, le projet s’inscrit dans le programme national de relance post-pandémie, avec des fonds alloués via le Fonds national de développement culturel. Il répond aussi à un appel international : l’Unesco, qui a inscrit les ponts de Constantine sur sa liste indicative en 2022, applaudit cette mobilisation. Pourtant, des voix critiques, comme celles d’associations écologistes, appellent à la vigilance : « La modernisation ne doit pas virer à la gentrification ; les habitants doivent rester au cœur du projet », met en garde un militant du patrimoine.

Vers un horizon radieux : Constantine, phare de l’Algérie nouvelle
À la tombée du jour, alors que le Rhummel scintille sous les lumières naissantes des échafaudages, la visite de la ministre s’achève sur une note d’optimisme mesuré. Ce plan n’est pas une panacée, mais un premier chapitre d’une saga plus vaste : celle d’une Algérie qui réconcilie son glorieux passé avec un avenir audacieux. En sauvant Constantine, on sauve un peu de soi-même – une identité plurielle, tolérante et créative. Les Constantinois, gardiens farouches de leurs falaises, attendent les actes. Pour l’heure, l’écho des marteaux sur la pierre sonne comme une promesse : la cité suspendue ne chutera plus. Elle s’élèvera, plus forte, plus belle, pour les générations à venir.


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