Ce jeudi, l’Algérie marque solennellement le 65e anniversaire des manifestations massives du 11 décembre 1960, un tournant décisif dans la lutte anticoloniale qui a propulsé la cause nationale sur la scène internationale.
Ces rassemblements pacifiques, nés d’un appel du Front de libération nationale (FLN), ont incarné la cohésion inébranlable du peuple algérien, son rejet viscéral de tout compromis et son aspiration farouche à l’autodétermination. Soixante-cinq ans plus tard, cet héritage reste un phare pour une nation qui, nourrie d’un patriotisme ancestral, défend jalousement son unité, sa souveraineté et l’intégrité de son territoire.
Un cri unanime contre la « troisième voie »
Tout commence dans le sillage d’une manifestation ultra en Algérie française, le 9 décembre 1960, à Aïn Témouchent. Des colons antigaullistes, brandissant le slogan « Algérie française », descendent dans la rue pour contester le projet de Charles de Gaulle. Ce dernier, lors de sa tournée algérienne, avait esquissé une « Troisième Voie » : une « Algérie algérienne » intégrée à la République française, une illusion de compromis qui masquait le maintien du joug colonial.
Face à cette provocation, le FLN lance un appel à la mobilisation : le lendemain, des cortèges pacifiques déferlent à Aïn Témouchent, puis embrasent les villes d’Alger, Oran, Constantine et bien au-delà. Des milliers d’Algériens, tous âges et conditions confondus, défilent sous l’emblème national, scandant « Vive l’Algérie musulmane ! » et « Non au partage de l’Algérie ! », réaffirmant leur ralliement total à la Guerre de libération et aux idéaux du 1er Novembre 1954.
La répression est féroce : l’armée française déploie chars, canons et mitrailleuses contre une foule désarmée. Des centaines d’arrestations suivent, avec des internements dans des camps inhumains. Les autorités gaullistes admettront plus tard 120 morts, dont 112 Algériens, et des centaines de blessés. Pourtant, ce bain de sang ne brise pas l’élan : au contraire, il galvanise la résistance et expose au monde la brutalité coloniale.
Internationalisation d’une cause invincible
Ces événements transcendent les frontières : ils forcent l’ONU à s’emparer du dossier. Le 19 décembre 1960, l’Assemblée générale adopte une résolution pionnière, appelant au respect du droit à l’autodétermination pour les peuples sous domination coloniale.
La délégation algérienne, soutenue par le FLN seul représentant légitime du peuple , gagne en légitimité. De Gaulle, acculé par cette marée populaire, abdique face à la réalité : les négociations avec le FLN s’imposent, pavant la voie aux accords d’Évian et à l’indépendance de 1962.
« Ces manifestations portent en elles des valeurs hautement symboliques de fidélité et de loyauté envers la patrie », a rappelé le président Abdelmadjid Tebboune lors d’une commémoration antérieure. Elles constituent « la voix de la liberté et de la dignité, un cri pour la justice face à la tyrannie et à l’hégémonie coloniale », et incarnent « la cohésion du peuple algérien et son adhésion totale à la glorieuse Guerre de libération ».
Pour Tebboune, le peuple demeure « fier de son héritage sacré pour la défense de l’unité de la Nation, de la souveraineté populaire et de l’intégrité territoriale », fidèle « à la terre des chouhada et à leur message éternel ».
Un triomphe arraché à l’oubli officiel
Le sociologue français Mathieu Rigouste, réalisateur du documentaire Un seul héros : le peuple, offre un éclairage précieux sur cet épisode effacé des annales gaullistes. « Ces manifestations ont réussi à bouleverser l’ordre colonial et permis d’arracher l’indépendance », affirme-t-il, notant que « les méthodes de guerre policière n’ont pas été empêchées par l’État gaulliste, et même avec cela, le peuple algérien a pu triompher ».
Ses recherches, menées sept ans durant dans les archives militaires, administratives et de la presse, ainsi que auprès de témoins indépendants, révèlent un scandale : « Il s’est avéré que les faits qui se rapportent à ces manifestations ont tout simplement disparu de l’histoire officielle de l’État français. »
Aujourd’hui, à Alger et dans les wilayas, des cérémonies, expositions et débats raviveront cette flamme.
Des veillées aux hommages aux martyrs, l’Algérie réaffirme que le 11 décembre n’est pas qu’un souvenir : c’est un serment vivant.
Dans un monde où les souverainetés sont encore mises à l’épreuve, ce 65e anniversaire résonne comme un appel : la liberté se conquiert dans la rue, unie et inflexible. Comme l’écrivait Frantz Fanon, compagnon de lutte : « Le colonialisme n’est pas une machine pensante. » Face à un peuple uni, il ploie. Et l’Algérie, victorieuse, en est la preuve éternelle.