Le 15 juillet 2025, une onde de choc a traversé le monde culturel algérien avec l’annonce du décès de Madani Naâmoun, survenu à Alger à l’âge de 81 ans, des suites d’une longue maladie. Confirmée par ses proches, cette triste nouvelle a plongé admirateurs, collègues et institutions dans une profonde tristesse. Né en 1944 dans l’effervescente Casbah d’Alger, Madani Naâmoun était bien plus qu’un acteur : il était une icône, un symbole de l’art algérien, dont le talent a illuminé le théâtre, le cinéma et la télévision pendant plus de six décennies.
Cet article se propose de retracer le parcours exceptionnel de cet artiste, de ses débuts modestes dans les ruelles d’Alger à sa consécration comme figure incontournable, tout en rendant hommage à un homme dont l’héritage continuera d’inspirer les générations futures.
Les racines d’un talent : une enfance dans La Casbah
Madani Naâmoun voit le jour en 1944 dans La Casbah, ce quartier emblématique d’Alger où l’histoire, la culture et les traditions se mêlent dans un foisonnement unique. Ce labyrinthe de ruelles, chargé de mémoire, a forgé la sensibilité artistique du jeune Madani. Dans les années 1950, alors que l’Algérie est en proie aux tensions de la colonisation, le théâtre devient un espace d’expression et de résistance. C’est dans ce contexte que Naâmoun découvre sa vocation. Dès l’adolescence, il intègre des troupes théâtrales locales, où son aisance naturelle et sa capacité à donner vie à des personnages attirent l’attention. À une époque où l’art dramatique est souvent un acte de courage, il apprend à captiver un public avide de récits qui reflètent ses luttes et ses espoirs.
Ces premières expériences sur les planches posent les bases d’une carrière exceptionnelle. Naâmoun y développe un style marqué par l’authenticité, capable de transmettre des émotions brutes tout en incarnant des figures universelles. La Casbah, avec ses récits oraux, ses chansons populaires et son mélange de cultures, devient une source d’inspiration constante, qu’il portera tout au long de sa carrière dans ses interprétations vibrantes.
Une étoile du cinéma algérien naissant
L’indépendance de l’Algérie en 1962 marque un tournant décisif pour le cinéma national, et Madani Naâmoun s’impose rapidement comme l’un de ses acteurs phares. Dans un pays en quête d’identité, le cinéma devient un miroir des aspirations collectives, et Naâmoun excelle à traduire ces aspirations à l’écran. Parmi ses rôles les plus mémorables figurent ceux dans Leila wa Akhawatouha (Leila et ses sœurs, 1977) et Abwab Essamt (Les portes du silence, 1987), deux œuvres devenues des piliers du cinéma algérien.
Dans Leila wa Akhawatouha, Naâmoun incarne un personnage complexe, pris dans les contradictions d’une société en transition. Ce film, qui explore les dynamiques familiales et les tensions entre tradition et modernité, lui permet de déployer une palette d’émotions saisissante. Sa performance, à la fois nuancée et puissante, touche un large public, faisant de lui une figure familière pour des générations de spectateurs. Abwab Essamt, quant à lui, offre un rôle plus introspectif, où Naâmoun explore les silences et les blessures d’une société marquée par l’histoire. Ce film, salué pour sa profondeur, montre sa capacité à transmettre des émotions par des gestes subtils et des regards éloquents, une marque de son génie dramatique.
Au-delà de ces œuvres, Naâmoun participe à de nombreuses autres productions cinématographiques, contribuant à façonner l’âge d’or du cinéma algérien. À une époque où les moyens techniques sont limités, son charisme et son engagement compensent les contraintes, donnant vie à des récits qui résonnent avec les réalités du pays. Son travail dans ces films ne se limite pas à la performance : il incarne une vision de l’art comme vecteur de mémoire collective, un rôle qu’il assumera avec constance tout au long de sa carrière.
Une présence inoubliable à la télévision
Si Madani Naâmoun brille au cinéma, c’est à la télévision qu’il devient une figure véritablement populaire, touchant un public plus large grâce à des séries qui marquent les esprits. Parmi celles-ci, Chafika... Baad Lika’a (2004), El Imtihen Ess’aab (2006) et Djouha El Aouda (2008) témoignent de sa polyvalence. Ces séries, souvent diffusées pendant le mois de Ramadhan, deviennent des rendez-vous incontournables pour les familles algériennes, et Naâmoun y excelle dans des rôles qui mêlent humour, émotion et humanité.
C’est, toutefois, dans Soultane Achour el Acher (2016-2017) que Nâamoun atteint un sommet de popularité. Son interprétation du personnage de Ammi Borhane captive les spectateurs par sa chaleur et son authenticité. Ce rôle, empreint d’un mélange unique de sagesse, d’humour et de tendresse, fait de lui une figure paternelle pour toute une génération. Les dialogues savoureux et les scènes mémorables de cette série restent gravés dans la mémoire collective, et le personnage de Ammi Borhane devient presque synonyme de Madani Naâmoun lui-même.
Cette présence à la télévision illustre sa capacité à s’adapter aux évolutions du paysage médiatique. Alors que le cinéma algérien connaît des périodes de ralentissement, la télévision offre à Naâmoun un nouveau terrain pour exprimer son talent. Il y apporte la même exigence artistique qu’au cinéma, transformant chaque rôle en une performance mémorable. Son visage devient familier dans les foyers, et son nom, synonyme de qualité et d’émotion.
Un héritage culturel indélébile
Madani Naâmoun n’était pas seulement un acteur ; il était un passeur d’histoires, un gardien de la mémoire collective. À travers ses rôles, il a su capturer l’âme d’une Algérie en constante évolution, des années de lutte pour l’indépendance aux défis de la modernité. Ses personnages, qu’ils soient dramatiques ou comiques, portaient une vérité universelle, mêlant les luttes intimes aux grandes questions sociétales. Cette capacité à transcender les genres et les médiums fait de lui une figure unique, dont l’influence dépasse les frontières de l’Algérie.
Le ministre de la Culture et des Arts, Zouhir Ballalou, a rendu un hommage poignant à l’artiste : « L’Algérie a perdu en la personne de Madani Naâmoun une figure emblématique, qui a excellé sur les planches du théâtre, à la télévision et dans le cinéma, une figure ayant marqué la mémoire des générations par des personnages immortels qu’il a incarnés avec un talent et une performance exceptionnelle, faisant de lui un artiste populaire ayant gravé son nom dans l’histoire de l’art. » Ces mots, issus d’un communiqué officiel, reflètent l’ampleur de son impact. Naâmoun n’était pas seulement un artiste ; il était un symbole d’unité, capable de rassembler les générations autour de son art.
Son héritage se mesure également dans sa capacité à inspirer les jeunes artistes. Nombreux sont ceux qui, dans le théâtre et le cinéma algériens, citent Namoun comme une influence majeure. Sa discipline, son humilité et son amour du métier ont marqué ceux qui ont eu la chance de travailler avec lui. Les anecdotes abondent sur son professionnalisme : sur les plateaux de tournage, il était connu pour sa générosité envers ses collègues, partageant son expérience avec les plus jeunes tout en restant ouvert aux nouvelles idées.
Le contexte de l’art algérien : Naâmoun dans son époque
Pour comprendre l’ampleur de l’impact de Madani Naâmoun, il faut replacer son parcours dans le contexte de l’évolution de l’art en Algérie. Dans les années 1950 et 1960, le théâtre et le cinéma sont des espaces de résistance culturelle, où les artistes s’efforcent de préserver l’identité algérienne face à la colonisation. Namoun, par sa présence sur scène, participe à cet élan. Après l’Indépendance, il contribue à construire un cinéma national, à une époque où chaque film est un acte de souveraineté culturelle.
Dans les décennies suivantes, alors que l’Algérie traverse des périodes de turbulences, notamment les années 1990 marquées par la guerre civile, l’art devient un refuge. Les séries télévisées dans lesquelles Naâmoun joue dans les années 2000 offrent un moment de répit et de communion pour un public éprouvé. Sa capacité à incarner des personnages proches du peuple, à la fois drôles et touchants, fait de lui une figure réconfortante dans des temps difficiles. Au XXIe siècle, alors que les médias évoluent et que les plateformes numériques commencent à émerger, Namoun reste pertinent. Sa participation à Soultane Achour el Acher montre qu’il sait s’adapter aux goûts d’un public plus jeune, tout en conservant l’essence de son art. Cette longévité est rare et témoigne de sa capacité à traverser les époques sans perdre son éclat.
Une voix pourles générations
L’un des aspects les plus remarquables de la carrière de Madani Naâmoun est sa capacité à parler à toutes les générations. Les spectateurs des années 1970 se souviennent de ses rôles dramatiques au cinéma, tandis que les plus jeunes l’associent à Ammi Borhane et à son charisme télévisuel. Cette universalité est le fruit d’un talent rare, mais aussi d’une profonde compréhension des émotions humaines. Naâmoun avait le don de rendre ses personnages accessibles, qu’il s’agisse d’un père de famille en proie au doute, d’un homme brisé par l’histoire ou d’un personnage comique apportant un sourire.
Son travail a également contribué à faire rayonner la culture algérienne à l’international. Des festivals de cinéma aux rétrospectives théâtrales, ses œuvres ont été projetées et célébrées bien au-delà des frontières. À travers lui, c’est une part de l’âme algérienne – sa résilience, son humour, sa richesse culturelle – qui s’est exportée.
Une lumière qui ne s’éteint pas
La disparition de Madani Naâmoun laisse un vide immense dans le cœur des Algériens et des amoureux de l’art. Pourtant, son héritage est bien vivant. Ses films, ses séries, ses performances théâtrales continuent d’être regardés, partagés et célébrés. Chaque rôle qu’il a incarné est une fenêtre ouverte sur une époque, un sentiment, une histoire. En cette période de deuil, les hommages affluent, du ministre de la Culture aux simples spectateurs qui partagent leurs souvenirs sur les réseaux sociaux. Comme l’a exprimé Zouhir Ballalou, Naâmoun a « gravé son nom dans l’histoire de l’art », et cette inscription est indélébile. Madani Naâmoun s’est éteint, mais son étoile continue de briller. Dans les ruelles de La Casbah, dans les salles de cinéma, dans les foyers où ses séries sont rediffusées, son esprit perdure. À sa famille, à ses proches, à ses collègues et à son public, il laisse un trésor : des personnages immortels, des histoires inoubliables, et l’exemple d’un homme qui a dédié sa vie à l’art. Repose en paix, Madani Naâmoun, étoile éternelle.