Le ministère de l’éducation a annoncé jeudi le report sine die de la rentrée scolaire, initialement prévue le 4 octobre. Une première en Algérie. Dans un contexte épidémiologique sans précédent lié à la pandémie de la Covid-19, les vacances scolaires se prolongent depuis mars dernier.
Le printemps est passé, puis l’été. L’automne est bien entamé et l’hiver s’annonce dans deux mois, mais les établissements scolaires n’ont toujours pas rouvert leurs portes au grand dam des parents. Entre travail, tracasseries de la vie quotidienne, et autres obligations, ils doivent déployer des trésors d’imagination pour occuper leurs enfants. La peur de les voir décrocher de leurs études après cette coupure pédagogique de sept mois les envahit. Chez les enfants, l’ambiance est à l’insouciance. Oubliées l’orthographe, les tables de multiplication, les règles grammaticales et la lecture. Les tablettes, téléphones portables, playstations, séries télévisées et connexions virtuelles remplissent leurs journées installant de mauvaises habitudes dont il sera difficile de se défaire, lorsque la cloche sonnera de nouveau.
Tablette et télévision ont remplacé livres et cahiers
Pour Lilia 40 ans, femme au foyer, la coupe est pleine. La quadragénaire ne sait plus comment occuper ses deux filles de 7 et 9 ans. Et surtout elle s’inquiète de les voir prendre de mauvaises habitudes. "Depuis l’arrêt des cours en mars dernier, elles ont complétement changé leur train de vie. Elles veillent jusqu’à pas d’heure et ingurgitent des dessins animés et des feuilletons turcs débiles", raconte-t-elle. Lilia n’a rien voulu imposer à ses enfants. "J’ai fermé les yeux, car il n’y avait pas d’autres occupations durant le confinement. Les lieux de loisirs étaient fermés et je me déculpabilisais en me disant qu’elles n’avaient que la télévision pour meubler leur temps. Impossible de les convaincre de faire des révisons", justifiet- lle. ais ce train de vie spécial a fini par ennuyer sa fille aînée.
"Après sept mois de - réclusion -, mon aînée, en 5e année est pressée de retrouver l’école. Ce n’est pas le cas de la petite qui a complètement décroché. Je n’arrive pas à lui faire faire des révisions. Je ne peux pas avoir l’autorité d’une maîtresse d’école. Il faut une certaine discipline et une ambiance scolaire. Les parents sont de très mauvais enseignants pour leurs enfants. Ces derniers ont besoin d’être encadrés par des professionnels de l’Éducation. Je m’inquiète de cette longue coupure quiaura inévitablement des conséquences sur le cursus scolaire de nos enfants".
Ouvrez- les écoles SVP !
Nous avons rencontrés Hafida (46) ans au jardin Tifariti à Alger. Elle aussi ne cache pas son impatience de voir ses enfants reprendre le chemin de l’école. Femme au foyer, elle décrit le quotidien de ses 3 enfants, âgés de 7, 9 et 12 ans. "Cette situation est très difficile à gérer surtout qu’elle dure dans le temps. Au début, lorsque le confinement a été instauré, ils ont accepté la situation. Le coronavirus tuait les gens et cette information relayée par tous les médias, les faisaient trembler de peur. Mais juste après le ramadhan, ils ont exprimé leur ras le bol d’être enfermés entre quatre murs. Ils ne tenaient plus en place". Avec son mari, Hafida a pris quelques jours de vacances à Jijel. "Alors avec leur papa, nous avons commencé à organiser des sorties et avons même loué un cabanon à Jijel, en août. Une fois rentrés de vacances, j’ai instauré un programme de révision : une heure chaque jour en alternant les matières. Comme la date de la rentrée n’a pas encore été fixée par les pouvoirs publics, nous continuons à les occuper comme on peut.
Nous leur avons acheté des vélos et effectuons des balades à la forêt de Bouchaoui et dans d’autres espaces de loisirs comme les Sablettes. Mes enfants ont hâte de retrouver leurs camarades et l’ambiance des classes ! Chaque matin j’ai droit à cette sempiternelle question : à quand la reprise ?". Le casse-tête des femmes actives Pour les femmes actives qui ont dû reprendre leur travail, c’est une autre histoire ? Comment s’organisent- elles avec les enfants ? Hanane (42 ans) travaille dans une entreprise de contrôle agroalimentaire. Elle est mère de quatre enfants dont deux scolarisés au collège. "Je travaille dans un petit bureau avec plusieurs collègues, alors pour respecter le protocole sanitaire, nous avons organisé une sorte de roulement. Je suis présente deux fois par semaine au bureau et le reste du temps je travaille à distance via Internet. C’est ma belle-mère qui me garde les enfants quand je me déplace à mon entreprise", explique-t-elle. Comme Lilia et Hafida, Hanane redoute le décrochage pédagogique de ses enfants.
"Cette situation inédite a complétement chamboulé nos vies. Depuis le Ramadhan, mes enfants veillent et fontd’interminables grasses matinées. La télé et les tablettes occupent leur temps libre. J’ai beau essayer de leur mettre livres et cahiers entre les mains, ils ne tiennent pas plus de 5 minutes. Après sept mois de coupure, et après ces vacances quatre-saisons, mes enfants ont complétement décroché !"
L’abandon scolaire guette-t-il les enfants ?
Jamais leur nombre n’avait été si important dans la rue, à cette période de l’année. Ils courent, pédalent, se hissent sur les toboggans avec une énergie sidérante. Tous les jours, les parcs, les jardins et les forêts sont pris d’assaut par des dizaines d’enfants déscolarisés pour cause de pandémie du coronavirus. Ghania (12 ans) a donné rendez-vous à deux copines au jardin Tifariti. "Je suis en 1re année moyenne. Je m’ennuie à mourir à la maison, alors je sors prendre un bol d’air au jardin. Durant les sept mois écoulés, j’ai passé beaucoup de temps sur les réseaux sociaux.
J’ai échangé avec mes amis et publié des vidéos sur TikTok. Depuis les vacances de printemps, date de l’arrêt des cours, je n’ai pas ouvert un seul cahier. Franchement, je suis complétement démotivée pour la reprise. J’ai bien envie que ces vacances providentielles se poursuivent même si mes parents, eux, sont complétement désemparés", avoue-t-elle. Le spectre de la déperdition scolaire, c’est ce qui inquiète Yacine (43 ans) : "Mes deux enfants âgés de 11 et 13 ans, ne veulent plus étudier", nous dit ce père de famille. "Après sept mois de vacances forcées, le plus jeune, qui était déjà médiocre m’a confié qu’il aimerait que le virus persiste encore pour ne plus avoir à retrouver le banc de son école. J’ai vraiment peur qu’il décroche définitivement si cette situation perdure, sachant que je n’arrive pas à le faire travailler à la maison".
Année blanche ? Maâliche !
Des parents zen, qui prennent les choses comme elles viennent, avec sérénité et philosophie, ça existe ! En cette fin de journée de cet été indien qui darde ses rayons chauds sur la ville, Fella 42 ans, femme au foyer, regarde ses trois filles (12 ans, 7 ans et 5 ans) profiter de l’espace jeu du parc de la Liberté à Alger. "Pourquoi se prendre la tête ?Même si une année blanche était décrétée, ce n’est pas grave, - maâliche -. A mes yeux, c’est la santé qui passe en priorité. Il faut que les conditions sanitaires soient réunies avant la reprise des cours", explique-t-elle. Fella reste positive et avoue avoir profité du confinement pour se reposer.
"Personnellement, j’ai profité à fond de ces sept mois pour me reposer. Je faisais le chauffeur quatre fois par jour, pour accompagner mes filles en classe et j’étais saturée par les insupportables bouchons d’Alger". Pour meubler les longues journées de confinement, Fella a regardé la télé avec ses enfants, essayé de nouvelles recettes de cuisine. " Après l’arrêt des cours en mars dernier, nous sommes restées confinées. Nous en avons profité pour veiller tard la nuit, regarder des films, réaliser des recettes culinaires… Mis à part quelques séances de lecture, je laisse mes filles tranquilles pour le moment. Mais j’ai un plan : dès que la date de la rentrée sera annoncée, je leur ferai faire une révision générale par un répétiteur. Ce sera plus frais dans leur tête avant la grande reprise"
Phobie de choper le virus !
Sur un banc, nous remarquons un petit garçon au visage dissimulé par une bavette qui lui arrive jusqu’aux yeux. Il regarde les enfants jouer mais lui reste figé comme une statue. Sa maman l’encourage à monter sur les toboggans mais il hoche la tête de droite à gauche. Naïla (42 ans) est divorcée. Elle accepte de nous parler de son cas qu’elle qualifie de particulier. "Regardez, c’est mon fils. Il a 7 ans et il a une peur bleue de choper le virus. Je partage la garde de mon garçon avec son père. Mon ex-mari diabétique est sujet à des anxiétés. Depuis le début de la pandémie, il a transmis sa phobie du virus àmon fils ainsi qu’à ma fille âgée de 17 ans. Résultat des courses, ils ne veulent plus mettre le nez dehors", raconte-t-elle. Infographiste dans une entreprise publique, Fella ne baisse pas les bras. "Quand je rentre le soir, je l’entraîne de force dans ce jardin mais il reste toujours en retrait des gens et me répète qu’il va tomber malade. D’ailleurs, il ne veut plus entendre parler de l’école. Mon fils a développé des phobies qu’il n’avait pas avant la pandémie de la Covid-19. Sa soeur, refuse carrément de sortir de la maison. Passionnée de mangas, elle passe ses journées à dessiner. Lorsque je lui demande d’aller m’acheter quelque chose à la superette, elle me lance :
- Quoi, tu veux ma mort ? -". Naïla fait défiler l’écran de son téléphone portable pour nous montrer les mangas réalisés par sa fille. Elle conclut dans un soupir : "Depuis qu’il a quitté son école -en mars dernier - mon fils n’a pas ouvert un livre ! J’ai peur qu’il abandonne complètement ses études !". Une chose est sûre, un accompagnement psychologique sera nécessaire à la reprise des cours. Après une rupture de sept moisqui risque encore de se prolonger - et face à une situation qui nécessite des mesures sanitaires draconiennes, les éducateurs auront fort à faire pour rassurer les enfants et les remettre en selle. Une rentrée attendue avec impatience et appréhension par de nombreux parents.