En janvier, Bruce Springsteen va sortir un nouvel album, High Hopes, son trente-quatrième. Installé définitivement au panthéon des héros mythiques du rock, il n’en continue pas moins d’enregistrer régulièrement, alternant albums en studio et live, greatest hits et DVD de concert, que viennent aussi pimenter des projets hors pistes (The Seeger Sessions).
Ce nouvel album est un assemblage d’inédits, de reprises, de chutes de studio et de réenregistrements. L’album est marqué musicalement par la présence de Tom Morello, le guitariste de Rage Against The Machine, venu prêter main-forte au Boss en remplacement de Steve Van Zandt en plein tournage de la série de télé Lilyhammer.
C’est un album dont les chansons sont marquées politiquement avec, notamment, des reprises de American Skin, The Ghost of Tom Joad. C’est un des paradoxes du rock. Des artistes multimillionnaires ayant bâti leur fortune sur la contestation et l’engagement politiques ont su garder (pas tous, évidemment) une certaine crédibilité en ce domaine en dépit des millions amassés.
Pete Townshend, le brillantissime leader des Who, disait dans les années 70 : "Le jour où l’artiste [de rock] a le ventre rempli, le compte en banque bourré et les couilles vidées, il peut se dire qu’il a perdu l’essentiel de ce qui le faisait courir." Bruce Springsteen le fait mentir et fait partie de ces artistes dont on ne doute ni de l’engagement ni de la sincérité. Born to Run, le bonhomme court toujours, juste un peu plus confortablement.
"La politique ? J’y suis venu par accident"
Depuis le début de sa carrière, Springsteen fait un état des lieux d’un pays de plus en plus ravagé par la crise, le chômage, les expropriations, la pauvreté et pleure l’autodestruction de l’American Dream, la perte de l’innocence, comme il aime la nommer. "C’est une grande promesse qui a été brisée, dit-il. On a fait croire aux gens qu’ils pouvaient sortir et s’élever de leur milieu social.
Or, ils sont bloqués là où ils sont." Springsteen, dont les chansons ont toujours contenu des commentaires sociaux sur l’Amérique, s’était longtemps tenu officiellement à l’écart de la politique. "J’y suis venu par accident, dit-il.
Je n’ai jamais soutenu un politicien avant John Kerry, mais les années Bush furent si horribles qu’on ne pouvait rester assis sans rien faire. Mais ce n’est pas mon métier, je ne me sens pas investi tous les quatre ans du devoir de soutenir quelqu’un. Je préfère me tenir sur le côté. Je pense sincèrement qu’un artiste doit tenir le même rôle que le canari dans une mine de charbon.
" Mais on l’a revu l’année dernière aux côtés d’Obama. "Le président Obama a fait plein de choses positives, il a maintenu General Motors en vie, ce qui est très important pour Detroit et le Michigan, il a fait passer la résolution pour la couverture sociale, bien que j’aurais aimé qu’il aille plus loin et qu’il n’abandonne pas les victimes des compagnies d’assurances, et il a tué Oussama Ben Laden, ce qui était extrêmement important.
Il a réinstauré le bon sens au sommet de l’État. J’aurais aimé le voir plus actif dans la création d’emplois, dans la défense des expropriés, et plus ferme face au monde de la finance. Mais d’un autre côté, nous sommes sortis d’Irak et nous le serons bientôt d’Afghanistan."
Un habitant "normal" du New Jersey
Après une tentative californienne qui ne l’a pas satisfait, Bruce Springsteen est retourné vivre dans son New Jersey natal où il mène une vie aussi "normale" que son statut peut le lui permettre. On peut le croiser régulièrement dans les magasins de la région de Colts Neck et chez les quelques disquaires qui vendent encore des vinyles.
Lui et son épouse Patti Scialfa ont trois enfants, qu’ils tentent d’élever le plus normalement possible. Sa fille Jessica (22 ans) apparaît, désormais, dans les pages people des magazines, parce que, cavalière émérite, elle participe à travers le monde à des concours de sauts d’obstacles en rêvant des prochains Jeux olympiques de Rio.
Bruce assiste régulièrement aux concours de sa fille. Et quand on lui demande si ses enfants aiment venir le voir en concert, il répond en souriant : "Franchement, quel enfant a envie de voir son père ovationné par soixante mille personnes ? Si j’étais hué, là effectivement ça pourrait les intéresser."