Mahmoud, 64 ans, revenait ce soir-là de la mosquée où il s’était acquitté de la cinquième et dernière prière de la journée. Un trajet qu’il parcourait quotidiennement depuis des années.
Comme chaque soir, Mahmoud, à ce moment-là, se sentait aussi léger qu’une plume en raison d’une satisfaction morale qu’il éprouvait vis-à-vis de sa personne, heureux de s’être acquitté comme il se devait de la dette qu’il avait envers le Créateur. Plus que 150 mètres environ et il arriverait chez lui où l’attendait un repos bien mérité. Soudain, il vit un homme sortir d’une rue très mal éclairée et se ruer sur lui avec un couteau qu’il lui planta dans la poitrine à plusieurs reprises avant de s’enfuir à la faveur de la nuit. Des citoyens avaient assisté de loin à la scène et accoururent pour porter secours au vieil homme qui se retrouva quelques minutes plus tard au service des soins intensifs de l’hôpital de Hadjout.
Pendant que le vieil homme luttait contre la mort aidé par de nombreux médecins, sa famille, ses proches et ses amis se demandaient qui était la personne qui l’avait agressé et surtout dans quel but. Mahmoud n’avait que des amis et des gens qui appréciaient sa droiture et sa générosité. Avait-il été victime d’un des fous errants que l’on rencontrait à Hadjout et dans ses environs ? Ces fous là étaient connus pour être inoffensifs. Ils ne feraient pas de mal à une mouche. C’est du moins ce que tout le monde pensait, mais dans la vie tout était possible, dit-on.
Alors que Mahmoud venait de sombrer dans le coma, quelqu’un entra au poste de police de Hadjout. L’officier de service lui demanda ce qu’il voulait et il lui répondit :
- Je viens au sujet de l’agression dont a été victime aammi Mahmoud.
- Oui…Tu as des choses à nous dire ? Celui qui a voulu le tuer est jeune, très jeune ? Il était seul ou accompagné de complices ?
- J’ai très bien vu la personne qui a agressé aammi Mahmoud. Je connais son prénom son âge et son adresse.
L’officier écarquilla les yeux et se leva de sa chaise.
- C’est vrai ? Entrons dans cette pièce, nous y serons plus à l’aise pour parler de tout cela.
Une fois seul avec l’officier de police, le témoin parla :
- Je me trouvais au balcon en train de fumer une cigarette lorsque j’ai aperçu Hamid le neveu de ammi Mahmoud, se diriger vers une ruelle mal éclairée où il s’accroupit près d’une voiture. Hamid a le même âge que moi : 26 ans.
C’est par cette ruelle que son oncle passait chaque soir après la prière d’El Icha pour rentrer chez lui. Au début, je me suis dit bêtement que Hamid avait l’intention de voler une des voitures qui y étaient garées. Mais il avait derrière la tête une idée beaucoup plus effroyable, beaucoup plus incroyable. J’ai vu aammi Mahmoud emprunter la ruelle et se faire poignarder par son neveu qui a aussitôt pris la fuite.
- Tu es bien sûr de ce que tu avances ? Tu es bien certain qu’il ne s’agit pas plutôt de quelqu’un qui ressemble au neveu de ce vieux ?
- Il s’agit bien de Hamid. Je suis catégorique.
- Ce sont des accusations très graves…
- Je sais…
- Bien…Et pourquoi aurait-il voulu le tuer, selon toi ? Parce que les coups ont été donnés de telle manière qu’il meure.
- Ah ! là, je ne sais pas…Hamid est quelqu’un de très calme, quelqu’un qui n’aime pas les histoires…
- Justement, à propos d’histoires, tu ne sais pas s’il y a des histoires d’héritage ou des histoires de ce genre entre ce Mahmoud et son frère, c’est-à-dire le père de Hamid ?
- Là, je n’en sais rien. Tout ce que je sais c’est que aammi Mahmoud a été poignardé par son neveu Hamid que j’ai formellement reconnu depuis mon balcon.
- Très bien, khouya….le reste c’est à nous de le découvrir.
Le jeune homme fut arrêté chez lui où il faisait semblant de dormir. Interrogé, il eut des réponses déconcertantes, qui étonnèrent les policiers qui pourtant avaient la réputation d’avoir tout vu ert tout entendu en matière de crimes et de délits en tous genres.
- Oui, c’est vrai, j’ai tué aammi Mahmoud.
- Il est dans le coma, rectifia un des policiers. Mais tu reconnais avoir voulu le tuer ?
- Oui…parce que je commençais à trouver insupportable son harcèlement.
- Son harcèlement ? Sois plus clair ; comment te harcelait-il ?
- Chaque soir, il vient dans ma chambre et il essaie de …de m’étrangler.
- Chaque soir ? Et il y a des témoins ?
- Non
- Non ? Tu habites seul ?
- Non, avec mes parents.
- Et ton oncle paternel entre à la maison, dans ta chambre pour t’étrangler sans que personne ne le voie ! C’est étrange, non ?
- Non, il n’y a rien d’étrange. C’est dans le rêve qu’il me rend visite.
Les policiers demeurèrent un bon moment sans voix, pétrifiés.
- Il te rend visite dans le rêve ? finit par demander l’un d’entre eux.
- Oui…Cela fait maintenant plus de dix jours qu’il essaie de m’étrangler. Alors je me suis dit que je devais le tuer avant qu’il ne me tue ! C’est de la légitime défense, non ? Hamid est incarcéré en attendant l’expertise médicale le concernant et en attendant son jugement dans les tout prochains mois. Un jugement que tout Hadjout attend avec curiosité.