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Edition du 19 Juin 2012



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Adolescence
Le téléphone portable remède contre le… tabagisme des adolescents !
19 Juin 2012

Tout le monde s’accorde à dire que le téléphone portable est vraiment l’invention la plus spectaculaire de ces cinquante dernières années en raison des nombreux bienfaits dont il gratifie ceux qui le possèdent. Parmi tous les services qu’il rend, il y a un qui est, à notre avis, passé inaperçu. Depuis que le téléphone portable est à la portée de toutes les bourses, les adolescents qui fréquentent le CEM et le lycée fument beaucoup moins. Et un grand nombre d’entre n’eux n’a jamais éprouvé le besoin de fumer !

Auparavant, il suffisait de passer devant un lycée ou un CEM pour surprendre quelques adolescents tirant sur une cigarette, discrètement ou de manière ostentatoire quand ils sont en compagnie de camarades du sexe opposé. Aujourd’hui, quand on passe devant ces deux types d’établissements, on ne voit que très rarement des jeunes en train de fumer. En revanche, on voit qu’ils sont nombreux à parler avec leurs téléphones portables. Il faut savoir, tout d’abord, que les jeunes, quand ils fument, n’obéissent pas à un besoin physiologique mais à une nécessité dictée par la psyché. Fumer a toujours été perçu par eux comme l’apanage des adultes, la chasse gardée du père, le no man’s land de ceux qui ont cessé d’être des «enfants» obligés de rendre compte tout le temps de leurs faits et gestes. Fumer à 15 ans ou 16 ans, c’est surtout envoyer des messages aux filles qu’on côtoie. «Vous voyez, je fume. J’avale la fumée par la bouche et je l’expulse par le nez. Exactement comme les hommes.» Ils ne tiennent pas verbalement ce discours mais le cérémonial avec lequel ils allument leur cigarette en dit long sur leur désir de faire voir et d’attirer l’attention. La cigarette a toujours été perçue comme le symbole de l’adulte mâle. C’est pourquoi les garçons ne fument pas devant leur père parce qu’ils ne veulent pasqu’ils sachent qu’ils sont devenus adultes et que, par conséquent, ils peuvent éprouver les mêmes besoins qu’eux et ont la capacité d’accomplir les mêmes actes. Et puis, le père, on évite toujours, autant que faire se peut, de lui montrer qu’on est grand, de peur qu’il manifeste de nouveau son autorité sur nous et qu’il parvienne à nous convaincre que nous sommes encore
petits ! Devant sa mère, on fume le plus normalement du monde parce que, elle, elle est femelle et qu’elle n’est pas notre concurrente. Au contraire, on est heureux lorsqu’elle nous regarde fumer et qu’elle ne dit rien. On a presque envie qu’elle nous dise : «Maintenant, tu es vraiment comme ton père.» Ah ! Il avait bigrement raison, le citoyen Freud ! Et pourquoi le
téléphone portable a-t-il été détrôné par la cigarette auprès des jeunes ? Tout simplement parce que ceux-ci le perçoivent comme un attribut des adultes. Et cela se comprend aisément parce qu’auparavant pour avoir un téléphone, il fallait d’abord avoir une maison. Et quand on a une maison, c’est qu’on a fondé une famille.
Ce qui signifie qu’on a largement prouvé qu’on est adulte ! La symbolique dont le téléphone portable est auréolé par les adolescents a largement dépassé l’aura de la cigarette. Le téléphone portable ne sert pas seulement à prouver qu’on est mâle adulte. Il facilite aussi la communication avec les filles, surtout que ces dernières l’utilisent également. Même beaucoup plus que les garçons mais plus discrètement pour des raisons sociales évidentes. Chez nous, la fille doit être discrète si elle veut que la société lui donne une bonne note. Le garçon, lui, il fonce. Sinon, à quoi lui servirait-il d’essayer de prouver qu’il est un homme ?

Allumer le portable pour…
allumer les filles !
Une des preuves (peut-être) que le portable est le… descendant de la cigarette du point de vue affectif est qu’auparavant au moment de sortir de la classe, on entendait les élèves dire : «Enfin on va pouvoir allumer une cigarette !» Maintenant, on dit : «Enfin, on va allumer le portable.» Dans les deux cas, le but est le même : allumer les filles !
Le téléphone portable non seulement permet de montrer qu’on est adulte, comme avec la cigarette, mais en plus, il possède un certain nombre de fonctions inédites. Il est d’abord senti comme un territoire privé que personne ne doit violer. Les parents, quand ils rentrent à la maison déposent leur téléphone négligemment sur la table du salon, sur la télé ou sur le guéridon du couloir, à côté du vieillot téléphone fixe. Pour eux, c’est juste un outil permettant de travailler ou de rester en contact avec la maison. Pour les adolescents, c’est une tout autre histoire. Il n’est pas
question de laisser trainer leur téléphone partout. C’est une propriété privée.
Nul ne doit savoir ce qu’il y a à l’intérieur. C’est un domaine interdit aux autres. Il est le symbole de l’indépendance
vis-à-vis des parents, qui ont pourtant fourni l’argent qui a permis son achat. Mais qu’y a-t-il dans le téléphone de l’adolescent qui justifie toutes ces précautions ? Les preuves qu’il n’est plus un enfant ! Très souvent on y trouve des numéros de téléphone des copains et des copines. Mais surtout des photos de copines à montrer aux copains pour leur prouver qu’on est un adulte… performant. Parfois, ces photos de copines sont montrées à la fille récalcitrante que l’on veut séduire, avec l’air de lui dire : «Non, mais, pour qui tu te prends, toi ? Tu as vu le nombre de filles qui sortent avec le mâle adulte que je
suis ? Tu as vu ce qu’il y a dans mon téléphone ?» Le plus grand coup dont rêve l’adolescent de nos jours, d’après ce
que nous a dit Lyès, un lycéen de 18 ans, c’est de se trouver en face d’une fille qui se donne des airs et qu’à ce moment-là, une autre fille lui téléphone pour lui demander quelque chose. En lui répondant, il active le haut-parleur pour que la fille sache qu’elle a intérêt à descendre sur terre si elle ne veut pas se retrouver isolée. Et isolés, les adolescents ne le sont plus depuis qu’ils possèdent le téléphone portable.
Ils sont en contact permanent avec leurs parents qui veulent tout le temps savoir où ils se trouvent. Là, il n’y a pas de problème. Quand on leur répond on désactive le haut-parleur surtout lorsqu’on est en groupe. Il n’est pas bon pour l’égo d’un ado que ses ami(e) s sachent que sa maman le cherche parce qu’il s’est attardé quelques minutes de plus avec un groupe de copains.
D’ailleurs, les adolescents dont les parents ont l’habitude de venir les chercher au collège ou au lycée sont de plus en plus nombreux à téléphoner à leurs parents pour leur dire qu’ils sortiront beaucoup plus tard que d’habitude alors qu’ils sont déjà dans le bus avec leurs camarades.
Et même lorsqu’il est chez lui, l’adolescent n’est jamais isolé de ses camarades.
Il peut à tout moment les joindre et il
en est de même pour eux avec lui.

Symbole d’intimité
Le téléphone portable est aussi symbole d’intimité. Donner son numéro de téléphone à une fille, c’est lui permettre d’entrer dans son intimité. Quand une adolescente donne son numéro de téléphone à un adolescent, celui-ci la considère comme définitivement conquise parce qu’elle lui a donné l’autorisation d’entrer dans son espace privé… Un peu comme s’il était parti chez elle et elle chez lui !
Le téléphone est perçu comme le reflet de sa personnalité, c’est pourquoi le lycéen et le collégien sont toujours à la recherche du bon téléphone et des belles sonneries qui rendent compte de leur intelligence, de leur romantisme et, en définitive, de leur séduction. Le téléphone portable est aussi un complice et un allié qui rend considérablement service dans les moments difficiles. Lorsqu’un adolescent manque de courage face à une fille pour exprimer de vive voix ce que son cœur éprouve, il fait appel aux SMS ! Et paraît-il, d’après Smaïl, un autre lycéen de Bordj El-Bahri, «les SMS donnent de très bons résultats… Surtout lorsqu’ils sont gentils et envoyés au milieu de la nuit ! Les filles aiment savoir que quelqu’un pense à elles, dans ce grand moment de solitude qu’est la nuit». Pour toutes ces raisons, le téléphone portable a remplacé la cigarette chez les adolescents en quête d’affirmation de soi. Et ce qui ne gâche rien, c’est que ce petit gadget magique ne nuit pas à la santé comme la cigarette même si, aujourd’hui, des voix s’élèvent de plus en plus pour attirer l’attention sur l’addiction des jeunes au téléphone portable. Addiction. Encore un point commun avec la cigarette…
Pendant des années, des campagnes de sensibilisation ont été menées pour dissuader les jeunes de fumer, en avançant comme argument les risques du tabac sur la santé. On a voulu utiliser l’arme de la peur. Cela s’est soldé par un cuisant échec parce que le souci principal des adolescents est de prouver qu’ils ne connaissent pas la… peur. Et là, en quelques années, le téléphone portable est en train de réussir là où des générations de psychopédagogues ont lamentablement échoué. Le téléphone portable ? On peut dire que, notamment chez les jeunes, il fait… un tabac !

Par : kamel Aziouali

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